Sidwaya (S) : Quelles sont les raisons qui ont prévalu à la création de la Commission de la réconciliation nationale et des réformes?
Fréderic Nikiéma (F.N) : La Commission de la réconciliation nationale et des réformes est le dernier organe de la Transition. Un Président de la Transition a été désigné, un Premier ministre a été nommé, de même qu'un gouvernement, le Conseil national de la transition (CNT) fonctionne avec l'adoption d'un certain nombre de lois. Il restait maintenant à mettre en place la CRNR. C'est pour répondre aux exigences de la Charte de la Transition, notamment à son article 17, qui préconise la mise en place de cette structure. Son rôle est important. Il s'agit de travailler à renforcer la cohésion sociale, l'unité nationale, de réconcilier les Burkinabè par rapport à tout ce qui s'est passé. Que l'on puisse s'asseoir discuter, voir qui a fait quoi et voir dans quelle mesure trouver des solutions et travailler ensemble à travers un mécanisme de réconciliation. Cette commission vise aussi à réfléchir et à faire adopter un certain nombre de propositions de réformes qui vont dans le sens de la consolidation du jeu démocratique. Elle vise également la promotion d'un certain nombre de valeurs comme la paix, la tolérance qui permettront de construire un nouveau pays sur la base d'institutions démocratiques fortes pour prendre un nouveau départ.
S : Il est prévu 5 sous – commissions dans la commission. Comment se fera de façon concrète le travail dans chaque sous commission ?
F.N : il ya effectivement 5 sous commissions. Il ya la sous commission Justice vérité et réconciliation, il ya celle des réformes politiques et constitutionnelles, il ya la sous commission qui s'occupe de la gouvernance électorale, il ya la sous commission sur les finances publiques et du respect des biens publiques et celle relative à la gestion des médias et de l'information.
En termes d'attribution, la première sous commission a un rôle important à jouer. C'est de voir dans quelle mesure on pourra mettre en place des mécanismes de dialogue et de justice transitionnelle qui permettront aux Burkinabè de se pardonner
Il ya aussi la question de la réforme de la justice. C'est vrai que les Etats généraux de la justice auront lieu bientôt mais cette sous commission va proposer des réformes afin que nous puissions avoir une justice véritablement indépendante. En plus de cela, il ya il ya la saisie et la documentation des cas de crimes politiques et économiques dans notre pays. Vous savez que c'est l'une situations difficiles que l'on a connu ces dernières années avec les crimes impunis. Il s'agit donc pour cette sous commission de faire des propositions pour faire avancer des dossiers.
Au niveau de la sous commission qui s'occupe des questions constitutionnelles, politiques et institutionnelles, il s'agit de revoir un ensemble de dispositifs au niveau constitutionnel qui permettent de renforcer le jeu politique. Il s'agit des questions liées à l'efficacité constitutionnelle, la séparation des pouvoirs, des questions liées au droit humains, à la limitation du mandat présidentielle pour aller vers l'intangibilité. C'est pour vraiment analyser dans le fonds les dispositions constitutionnelles de telle sorte que l'on puisse avoir des textes qui répondent aux exigences internationales et faire du Burkina Faso un exemple en matière de démocratie.
La troisième sous commission, celle traitant de la gouvernance électorale, travaillera sur les questions de la professionnalisation de la CENI, fera des propositions pour l'adoption du nouveau code électorale. Parce que même s'il y avait des avancées au niveau de l'ancienne, il y avait des limites qui avaient été décriées par certains acteurs.
La quatrième sous commission portant sur les finances publiques est aussi très importante. Elle travaillera à revoir le système de gestion des finances publiques, à contrôler ce secteur pour nous permettre d'avoir plus de transparence, moins de corruption, et permettre aux citoyens d'avoir accès à l'information budgétaire.
La dernière sous commission qui est celle de la gestion des médias et de l'information nous permettra de voir un ensemble de dispositifs au niveau institutionnel et même des textes. C'est-à-dire revoir le code de l'information, revoir comment appuyer la presse privée et travailler sur les questions de dépénalisation. Voila autant d'éléments qui seront discutées dans cette sous commission et qui permettra d'obtenir des avancées dans le domaine de la liberté de la presse et d'expression dans notre pays
S : Pensez-vous que les anciens dignitaires de l'ancien régime accepteront passer devant une commission réconciliation nationale?
F.N : L'idée est de repartir sur de nouvelles bases. Dans certains pays, l'expérience a marché. Des personnes sont venus dire ce qu'elles ont fait afin qu'éclate la vérité. Et lorsqu'on regarde la Charte, on se rend compte qu'elle fait référence aux valeurs de réconciliation, d'inclusion. Mais si on veut aller à l'inclusion, il faut qu'on puisse se parler, que des gens viennent dire ce qu'ils ont fait. Et sur cette base, on verra ce qu'il ya lieu de faire. Si les gens sont vraiment engagés dans la dynamique de la reconstruction du pays, il n'ya pas de raison pour qu'ils ne viennent pas à cette commission pour qu'ensemble nous puissions avoir des mesures consensuelles pour reconstruire le pays. On espère qu'avec l'appropriation des valeurs de la Charte et surtout avec la volonté de mettre en place des institutions de qualité, tous les Burkinabè seront d'accord pour passer devant cette commission et contribuer au succès des travaux.
S : La bonne gouvernance économique est une préoccupation majeure pour les autorités de la Transition. Quels changements la commission pourrait apporter?
F.N : Nous attendons beaucoup de la commission. Il ya 5 commissions qui ont été mis en place et nous attendons des propositions et des réformes qui vont contribuer à renforcer le système de gouvernance, que ce soit sur les finances publiques, la constitution ou les élections. Pendant très longtemps, nous avons été classés dans la catégorie des régimes semi autoritaires, c'est à dire qui allie les pratiques autoritaires et les principes démocratiques. Et c'est cela qui nous a conduit à l'insurrection. Il est donc important qu'avec cette période de transition, nous profitions faire adopter des textes de qualité afin de servir de référence dans les questions de bonne gouvernance et de droits humains. Nous comptons durant cette période prendre en compte et faire adopter un certain nombre de valeurs par le CNT qui permettront de faire de notre pays un exemple en matière de droits humains et de démocratie
S : Quelle est la période concernée pour le travail de la commission. Faut-il remonter aux débuts des années 80 ou on a assisté aux premiers assassinats politiques ou le travail de la commission se limitera à la période post insurrectionnelle ?
FAN : De part le passé, des commissions ont travaillé sur ces questions mais des résultats n'ont pas pu être mis en œuvre. Et la nouvelle commission va susciter beaucoup d'espoir. Mais c'est à elle, à travers un règlement intérieur, de pouvoir fixer les modalités de son opérationnalisation et déterminer aussi à partir de quand elle va axer son travail. Je reste persuadé que cette volonté de prendre en compte cette question de justice fera l'objet de débats et cette commission décidera de ce qu'il ya lieu de faire. Mais n'oublions pas que nous sommes limités par le temps et que l'objectif ici, c'est de lancer les bases, de sorte que ceux qui viendront plus tard soient obligés de continuer sur cette dynamique, de faire la lumière sur tous les crimes commis dans ce pays au cas ou cela n'a pas pu être fait.
S : Il ya justement le collège des sages qui avaient fait des propositions dans le sens d'une réconciliation nationale. Est-ce que ces recommandations seront prises en compte
F.N : Des recommandations pertinentes avaient effectivement prises par le collège des sages et il n'ya pas de raisons que l'on ne puisse pas s'appuyer sur ces propositions notamment sur celles qui sont d'actualité. Par exemple, il y avait la question de la limitation du nombre de mandats présidentiel. Certains experts qui seront nommés dans la commission auront certainement déjà fait partie de structures similaires comme le collège des sages. Cela permet de voir comment ces personnes apporteront leur contribution en prenant en compte ce qui a été déjà fait.
S : Depuis le début de la transition, l'on a constaté des contestations par rapport aux choix de certaines personnalités pour occuper des fonctions importantes. Est-ce que cette fois-ci, des dispositions sont prises pour minimiser ces mouvements dans le choix des membres de la commission ?
FAN : Je suis d'accord qu'il ya eu des contestations par rapport aux choix de certaines personnalités. Evidemment nous en sommes conscients et nous avons pris des mesures avec des critères spécifiques qui ont été adoptés dans la loi organique qui permettront d'avoir des personnalités consensuelles. Quant vous prenez le président de cette commission, il sera une personnalité civile, compétente d'une haute moralité qui n'a pas soutenu le projet de modification de l'article 37 et qui a une grosse expérience sur certaines questions. Voila des critères retenus, qui en plus de la compétence, mettent l'accent sur les valeurs et qui permettent d'avoir des personnes consensuelles.
S : La durée de la commission est de 5 mois. Est-ce que ce temps est suffisant pour permettre la commission de boucler ses travaux ?
F.N : Cette question a déjà été l'objet de débats au niveau du gouvernement et du CNT et nous en sommes conscients. De toutes les façons, la commission fera son travail, un rapport sera transmis au Premier ministre et à partir de là, des mesures seront prises pour les rendre opérationnelles. Il faut être objectif, on ne pourra pas tout faire, mais l'on s'assurera que certains cas trouvent des solutions et donner le signal pour que ceux qui viendront puissent poursuivre le travail.
S : Quelles sont les dispositions prises par le gouvernement de la Transition pour que le gouvernement qui viendra après lui, mette en œuvre les recommandations de la commission ?
F.N : Après les travaux de la commission, le gouvernement verra ce qu'il y a lieu de faire pour assurer la continuité de la mise en œuvre. S'il ya des avants projets de loi à transmettre au CNT, le gouvernement n'hésitera pas à prendre des mesures dans ce sens. Deuxièmement, nous comptons sur l'opinion publique pour qu'un certain nombre d'acquis, que nous avons obtenus ne soient pas remis en cause parce qu'il ya un nouveau gouvernement.
S : Peut-on s'attendre à ce que des partis qui ont soutenu la révision de l'article 37 fassent partie de la commission ?
F.N : Il ya les critères de compétences qui sont importants pour les autres membres de la commission. Il est dit que le Président du Faso doit nommer 7 experts et les 5 autres doivent provenir de la société civile, des partis politiques, des syndicats et des personnes vulnérables. Voici des indications pour donner plus de représentativité, mais on s'assure qu'il ya des valeurs qui sont pris en compte dans la désignation de ces représentants pour ne pas créer des remous. Dans un souci d'inclusivité, la Charte dit clairement qu'il faut impliquer tout le monde et c'est pour cela que l'on voit certains acteurs de l'ex majorité dans les organes de la Transition. Mais, il faut s'assurer que ceux qui ont des positions très tranchées ou qui ont été très actifs ne soient pas au devant de la scène pour nous permettre d'avancer et travailler sereinement.
S : A quand le début des travaux de la commission ?
F.N : La loi a été adoptée au CNT et suit son cours. Elle doit être actuellement au conseil constitutionnel. Après le Conseil constitutionnel, elle sera certainement promulguée et publié au journal officiel. Les choses devraient aller vite compte tenu des enjeux. Je pense que d'ici début février, elle devait être fonctionnelle pour le début des travaux de la commission.
C'est une institution clé pour le processus démocratique dans notre pays. Elle fera un travail de réconciliation, de justice et proposera des réformes qui vont aller dans le sens de la consolidation de notre processus démocratique. Dans le domaine de la presse, la commission va proposer des réformes pour une plus grande liberté de la presse et il faut absolument soutenir ces efforts pour permettre d'adopter des textes de qualité.
Propos recueillis par
Gabriel SAMA