Politique nationale : Faut-il aller aux élections avec la Constitution de la compaorose?

| 05.06.2015
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Politique nationale : Faut-il aller aux élections avec la Constitution de la compaorose?
© DR / Autre Presse
Politique nationale : Faut-il aller aux élections avec la Constitution de la compaorose?
Après la loi Chérif qui continue de provoquer le courroux des anciens gourous de la compaorose, une nouvelle polémique pointe à l'horizon, avec le lancement d'un débat public sur l'opportunité d'un passage à la Ve République.


Sur la base de quelle Constitution faut-il aller aux élections présidentielle et législatives couplées du 11 octobre prochain? Telle est la question qui sous-tend la série de débats publics initiée le 30 mai dernier simultanément à Bobo-Dorosso, capitale de la région des Beaux-Bassins, et à Dori, dans le Sahel, par le Conseil national de la Transition (CNT). Dans une faune politique burkinabè où le nouveau Code électoral continue de faire des gorges chaudes malgré sa promulgation, par tchocoroba, le Vieux Kaf', certains ne s'embarrassent pas de voir dans cette initiative une manière subtile pour Zinedine Zida et les autres camarades transitaires de s'offrir le fameux «lenga» ou prolongation de la transition.

C'est de bonne guerre, puisqu'ils se disent «exclus» par la loi-Chériff, les anciens barons de la compaorose font feu de tout bois, multiplient les occasions pour mettre les bâtons dans les roues de la Transition et font tout pour discréditer ses principaux pilotes. Presque chaque jour, Zinedine Zida en prend pour son grade de lieutenant-colonel et le Chériff Sy, le président du CNT, reçoit des boulets rouges et noirs sur ses boubous blancs. Ainsi va la politique politicienne au Faso.

Mais au-delà de la haine cordiale que se vouent anciens et nouveaux caïmans du même marigot, la question de la Constitution ne manque pas de pertinence dans le Burkina post-insurrectionnel. Reléguer le débat au second plan ou le noyer dans le bain des bisbilles politiciennes, c'est courir le risque de signer un chèque en blanc pour le président du Faso qui sortira des urnes le 11 octobre prochain. Car, si l'on convient que c'est le non-verrouillage de l'article 37 de l'actuelle Constitution qui avait donné au Blaiso l'envie de s'essayer à un pouvoir ad vitam aeternam, force est de constater que l'insurrection populaire sera inachevée si la Transition venait à laisser la loi fondamentale en l'état.

Ce serait alors le statu quo, qui pourra permettre au prochain président de développer toutes les envies de tripatouillage possibles. Et si rien ne peut l'arrêter, il vaut mieux prévenir la dérive que de vouloir la guérir. Car, pour en arriver à l'insurrection populaire de fin octobre, il a fallu se battre contre le rouleau compresseur de la compaorose pendant au moins deux décennies. Et ce n'est pas rien. Combien de vies humaines ont-elles été sacrifiées? Des ressources publiques qui auraient pu servir au développement économique et social dilapidées dans des campagnes inutiles?

Le bon sens politique voudrait qu'«on n'enterre pas le cadre en laissant ses pieds dehors», c'est-à-dire qu'on ne tourne pas la page de l'ancien régime sans adopter une nouvelle loi fondamentale. Mais la classe politique et ses pseudo-politiciens des Organisations de la société civile (OSC) étant ce qu'ils sont, il n'est pas toujours aisé de s'accorder sur l'essentiel. Chacun voit midi à sa porte. En plus, la suspicion et la pêche en eau trouble étant les choses les mieux partagées, il n'est pas évident que l'enjeu du changement soit perçu de la même façon par tous.

Tandis que les uns veulent continuer à faire de la compaorose sans l'enfant terrible de Ziniaré, d'autres veulent qu'on rompe avec la Constitution du 2 juin 1991, qui a fini par provoquer la boulimie du pouvoir dans l'hypothalamus du Blaiso. Ce n'est pas pour rien qu'il l'a fait réviser 7 fois en seulement 24 ans d'existence. Lorsqu'après l'odieux assassinat de Norbert Zongo et de ses compagnons d'infortune, le Collège de Sages a demandé le rétablissement de la limitation des mandats présidentiels, cela n'a pas empêché les apprentis sorciers du tripatouillage de revenir à la charge, d'abord en 2005 -pour assurer une nouvelle virginité au Blaiso-, puis en 2015, pour tenter de lui offrir le pouvoir à vie.

Mais les limites de la Constitution du 2 juin 1991 ne sauraient se réduire aux seuls aspects touchant aux mandats présidentiels. Celle-ci est truffée de dispositions tendant à faire du président du Faso un «demi-dieu». Il suffit d'élire n'importe quel quidam et de lui permettre d'être à la fois «président du Faso, président du conseil des ministres, chef suprême des armées, président du conseil supérieur de la magistrature, seul pilote de la politique extérieure...», pour se rendre compte de l'immensité du pouvoir qui est confié à une seule personne. Et quand on sait que «le pouvoir corrompt, tout pouvoir corrompt et le pouvoir absolu corrompt absolument», on n'a pas besoin d'un dessin pour se rendre compte que le ver est dans le fruit. Le Blaiso n'est nullement la cause de la boulimie du pouvoir qui s'est emparée de lui, mais le symptôme et la conséquence de dispositions constitutionnelles qui lui ont donné l'impression que tout lui était permis.

Il est donc clair que si on ne soigne pas le mal de la malgouvernance qu'a connu le Burkina Faso à sa racine, les mêmes causes peuvent produire les mêmes effets après la Transition. C'est là tout l'intérêt d'un débat sur la nature de l'ordre politique qui doit prévaloir à l'édification de la nouvelle société burkinabè dont l'insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 a donné l'élan. Cette préoccupation n'est pas incompatible avec l'organisation des élections présidentielle et législatives couplées du 11 octobre prochain. On n'a pas non plus besoin de prolonger la Transition pour affronter une équation aussi vitale pour l'avenir immédiat et lointain du Faso pendant qu'il est encore temps. C'est une question de volonté politique et de responsabilité historique.

A. Wédraogo

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