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Invalidation de la loi électorale par la CEDEAO : L’Etat burkinabè est coinçé

| 14.07.2015
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Invalidation de la loi électorale par la CEDEAO : L’Etat burkinabè est coinçé
© DR / Autre Presse
Invalidation de la loi électorale par la CEDEAO : L’Etat burkinabè est coinçé
S'il y a une affaire qui va tenir le point d'accroche des médias, des gargotes et des salons cosy, cette semaine, éclipsant la guéguerre Zida/RSP, c'est bien la décision de la Haute Cour de justice de la CEDEAO qui est tombée hier, 13 juillet 2015, à Abuja. En effet, Léonce Koné, Achille Tapsoba, Eugène Bruno Sompebré, Yacouba Barry... représentant le CDP et ses alliés, avaient déposé un recours par rapport à cette loi électorale, qu'ils jugent discriminatoire.


La Haute Cour de la justice de la CEDEAO siégeant dans la capitale nigériane a donné raison à l'ex-majorité présidentielle et ses alliés. Elle estime que l'actuel code électoral est une violation de la libre participation aux élections, comme le prévoit la législation internationale et elle exhorte l'Etat à lever tous les obstacles à une libre participation à la compétition électorale. L'ex-parti majoritaire et ses alliés ont donc, obtenu gain de cause, dans le fond, même si, immédiatement, le CNT n'a pas tardé à réagir. car le verdict dit, la loi est légale et légitime, (or le CDP et Cie l'avaient attaquée pour inconstitutionnalité) mais qu'elle frappe toute une masse.

Peu de temps seulement après, autour de 13 heures, comme si l'on voulait contenir l'effet d'une bombe, le compte Facebook du Conseil national de la transition (CNT) affichait : «La cour de la CEDEAO a reconnu en substance, que cette disposition n'est ni illégale ni illégitime. Elle ne demande donc pas la modification du code électoral actuel. Elle souhaite simplement que ses effets soient circonscrits aux dirigeants politiques».

Il n'y a rien d'ahurissant, les décisions de justice ont été, de tous les temps et de toutes les époques, caution à des interprétations et à des analyses diverses et multiformes, qui frisent parfois la fantasmagorie.

Cette posture du CNT, incommodée par le verdict de la juridiction supranationale, témoigne qu'il refuse de perdre la haute main sur cette question. A moins d'un revirement inattendu, il espère encore faire avaler une glauque mixture dont ne voudrait aucun chien aux dirigeants politiques de l'ancienne majorité et ses alliés. En effet, presque concomitamment après l'annonce du verdict, le CNT publiait un texte annonçant en substance, que les ministres, les députés de l'ex-régime ne peuvent pas compétir.

Cela risque alors, de réveiller des susceptibilités nationales, avec la mobilisation de zélateurs qui n'ont pas d'autre objectif que la satisfaction de leurs penchants. Toute chose qui sera de nature à ajouter de la confusion à la confusion et à rendre la situation plus explosive qu'elle ne l'est.

Quoi qu'il en soit, les dirigeants du CDP et leurs alliés de l'ADF/RDA, l'Autre Burkina/PSR, le RDF, le RSR, l'ODT, l'UBN, l'UNDD, de la NAFA et autres ont enregistré un succès d'estime, avec la décision de la juridiction supranationale de l'Ouest-africain qui prend le pas sur les textes de loi nationaux. De quoi leur donner des zèles. Une décision surpranation qui dit clairement que «cette loi électorale est difficilement justifiable», même si l'on sait que le Burkina est un pays souverain.

On verra bien comment vont réagir les défenseurs de cette loi d'exclusion qui, de tout temps, se sont réfugiés derrière l'article 23 de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance. On verra aussi, donc comment réagiront les autorités de la transition. Accepteront-elles de jouer un rôle essentiellement passif, sans tenter d'influencer les sages du Conseil constitutionnel à qui revient le dernier mot ? En tous les cas, à écouter les avocats de l'Etat burkinabè, Me Guy Hervé Kam et le bâtonnier Mamadou Savadogo, cette interprétation d'une victoire du CDP n'est pas évidente, car la charte même visait l'inclusion.

La parole est donc, au gouvernement de la transition qui est invité par la Cour de cette organisation sous-régionale, à revoir sa copie. Une invite qui n'est pas une première en Afrique de l'Ouest, et dont les exécutions n'ont pas toujours été effectives.

L'exemple très peu flatteur du Togo voisin est illustratif; c'est un pays qui a outrageusement refusé de respecter de nombreux arrêts de la Haute Cour, relatifs aux dossiers à l'ex-ministre Pascal Bodjora, privé de liberté pour une histoire d'arnaque financière cousue de fil blanc ou aussi aux victimes de la contestation postélectorale de 2005 et l'exclusion des neuf (09) députés de l'Alliance nationale pour le changement (ANC) du parlement. Tous des dossiers invalidés par la Cour de la CEDEAO, mais non suivis d'effet. Reste maintenant à savoir si le Burkina Faso va, à son tour, refuser d'exécuter les décisions ou se complaire dans une exécution partielle, en se parant de subterfuges. En tout cas, cette décision va donner des ailes à l'ex-majorité qui va se gargariser du caractère inique de cette loi. Mais, cette décision vient alourdir aussi une atmosphère déjà pesante avec cette affaire pendante Zida/Armée. Bref, ce verdict pourrait être source d'étincelles, car déjà à bien des égards, la loi électorale du 6 avril dernier était conflictogène, et comme la probabilité que les deux camps restent arc-boutés chacun à leur position, le Burkina n'est pas sorti de l'ornière politique. A présent, soit le Burkina revient sur l'article 135 de la loi et dans ce cas, il faut toucher à cette loi querellée, or la même CEDEAO ( cf: le protocole additionnel) dit qu'on ne modifie pas une loi électorale 6 mois avant les élections. Du coup, soit on rétropédale, et alors on reboule le calendrier électoral, ou on laisse la loi en l'état, pour affronter les bagarres. L'Etat burkinabè est coinçé dans tous les cas.

Christian N. BADO

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