Elections présidentielle et législatives : les personnes handicapées ont voté

| 23.12.2015
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Elections présidentielle et législatives : les personnes handicapées ont voté
© DR / Autre Presse
Elections présidentielle et législatives : les personnes handicapées ont voté
Le 29 novembre 2015, les Burkinabè se sont rendus aux urnes pour choisir leur président et leurs représentants à l’Assemblée nationale. Ces élections saluées par l’ensemble des acteurs et la communauté internationale ont été une occasion pour les populations d’exprimer leurs droits politiques en tant que citoyens. Très souvent laissées-pour-compte, les personnes handicapées cette fois-ci ne sont pas restées en marge de la dynamique électorale. A travers le pays, elles ont bravé diverses barrières pour manifester et jouir de leurs droits de citoyens avec l’appui des nombreuses organisations non gouvernementales et de personnes handicapées.


Dimanche 29 novembre 2015. A Ouagadougou, tôt le matin, le temps est un peu glacial malgré le soleil. Dès 6 heures, heure officielle de l'ouverture des bureaux de vote, les citoyens burkinabè s'y rendent pour élire leur président et leurs députés. Déjà à 7h30, le bureau de vote n° 8, situé à l'école Apostolique de Gounghin, grouille de monde. Une foule se presse. Chacun veut gagner du temps pour aller vaquer à ses occupations. Clarisse Nikièma, une personne handicapée physique, arrive sur son tricycle, sa carte d’électeur en main. Malgré la foule, elle tient à exercer son droit civique, car elle veut que sa voix soit comptée. Pour cela, depuis 7h 30, elle était devant le bureau de vote. La présidente, Mme Cathérine Kologo demande aux électeurs de lui céder le passage, conformément aux consignes de la Commission électorale nationale indépendante(CENI) enjoignant les membres des bureaux de vote à donner la priorité d’accès aux personnes handicapées le jour du scrutin. A l’aide de sa paire de cannes anglaises, Clarisse quitte son tricycle et entame la marche vers le bureau de vote sur une distance de 3 mètres la séparant de la porte du bureau de vote. L’accès n’est pas facile car, il n’y a pas de rampe. De plus, le niveau élevé de la salle par rapport au sol rend la marche difficile. Mais, elle est déterminée. Pour jouir de son droit, il y a un prix à payer. Et ce prix, c’est son effort physique. Elle redouble alors de courage et d’efforts et accède enfin à la salle. La première barrière est franchie. Après les constatations d'usage, Clarisse peut maintenant accomplir son devoir civique. Mais le pari n’est pas encore gagné. La hauteur de l'accoudoir de l'urne conjuguée à son état fragile est un autre handicap à surmonter. Cependant, la jeune fille n’est nullement pas découragée. « Je voterai advienne que pourra et cela autant de fois, que mes forces me permettront » dit-elle. Enfin, elle finit par glisser son bulletin dans l’urne. D’abord pour la présidentielle et ensuite pour les législatives. Le devoir est accompli. Le droit est exercé. Elle en est fière. Pour Clarisse Nikièma comme pour bon nombre de personnes, ces échéances électorales présentent un enjeu majeur. Elles permettent de mettre fin au régime de la Transition survenue après l'insurrection des 30 et 31 octobre 2014 et qui risquait de plonger le pays dans une situation d’instabilité permanente. Mais, pour les personnes handicapées, l’intérêt est double car l’insurrection d’octobre a ouvert, pour elles, une nouvelle ère d’espoir. Celle de la démocratie, et surtout de la liberté et de la promotion de leurs droits. De ce fait, ces élections constituent une occasion de faire prévaloir leurs droits en tant que citoyennes et citoyens à part entière. Pour ce faire, elles doivent surmonter plusieurs obstacles du fait de leur situation de handicap. « Concernant le vote des personnes handicapées, beaucoup de choses restent à faire pour nous permettre de nous exprimer librement et dignement », lance Clarisse Nikièma. « Mon cas est éloquent. Le bureau de vote n'est nullement pas adapté à ma condition physique. Je suis encore un peu valide parce que, je peux me déplacer à l'aide de cannes anglaises, ce qui n'est pas le cas de plusieurs personnes handicapées physiques obligées de se déplacer en fauteuil roulant », déplore-t-elle.

De nombreuses barrières à surmonter

Voter au Burkina Faso, n’est pas un acte facile pour les personnes en situation de handicap. Elles doivent surmonter plusieurs obstacles pour jouir de ce droit pourtant inaliénable. Selon la Secrétaire permanente du Conseil national multisectoriel pour la protection et la promotion des droits des personnes handicapées (COMUD-HANDICAP) Agnès Kaboré, les obstacles au vote des personnes handicapées sont multiples, malgré les dispositions juridiques et les efforts consentis. « Les personnes vivant avec un handicap peinent à jouir pleinement de ces droits inaliénables et éprouvent des difficultés quant à leur satisfaction », regrette-t-elle. Au nombre de leurs difficultés, elle cite, entre autres, l’auto-stigmatisation des personnes handicapées qui se mettent en marge du processus électoral, le faible niveau de citoyenneté, le manque d’actes de naissance pour les personnes handicapées, leur faible niveau d’instruction, les difficultés de déplacement pour accéder aux bureaux de vote, le problème de choix du bulletin pour des personnes handicapées visuelles, le faible enrôlement des personnes handicapées sur les listes électorales, la non traduction des messages électoraux en langue de signes et en braille. De même pour Souleymane Ouédraogo, une personne handicapée visuelle qui a voté à l'école Gounghin, « malgré les appels des organisations des personnes handicapées, force est de constater qu'il demeure une avalanche de difficultés variant en fonction de la spécificité du handicap. Les personnes handicapées visuelles rencontrent, au-delà des difficultés factices, un réel problème lié au secret du scrutin ». Sita Kaboré et Koalès Nebié, deux personnes handicapées auditives déplorent le déficit de communication à l'endroit des personnes handicapées auditives lors des campagnes électorales. Malgré ces difficultés, de nombreuses personnes handicapées à travers le pays ont participé aux scrutins du 29 novembre 2015 grâce aux efforts de l'ONG Light for the world et ses partenaires, en particulier les services de Réadaptation à base communautaire des personnes handicapées (RBC) de l’Organisation catholique pour le développement et la solidarité (OCADES Caritas) dans certaines provinces du pays. Selon les données recensées par ces services RBC à Kaya, Manga, Diébougou, Nouna et Garango, au total 651 personnes handicapées ont pu voter dans ces villes avec précisément 249 personnes à Kaya contre 146 personnes à Diébougou, 211 à Garango, 20 à Nouna et 25 à Manga. Ces chiffres s'expliquent par le fait que dans certaines de ces localités notamment à Kaya, des agents RBC et des représentants d'Organisations des personnes handicapées (OPH) sont membres de bureaux de vote. De plus, bon nombre de bureaux de vote sont accessibles et ne présentent pas d'obstacles à l'accès des électeurs handicapés. Cette participation constitue une source d’encouragement pour les organisations et l’ensemble des acteurs qui se battent pour la promotion des droits des personnes handicapées.

Le vote des personnes handicapées, un droit reconnu

Selon le Recensement général de la population et de l’habitat réalisé en 2006, le nombre des personnes handicapées au Burkina Faso s’élève à 168 094, soit 1,2% de la population. Exclure donc cette frange de la population constituerait une grave violation de leurs droits civiques. Pour la secrétaire permanente du COMUD-HANDICAP, Mme Agnès Kaboré, la participation des personnes vivant avec un handicap au processus électoral, plus qu’une nécessitée, est une question de droit et les engagements pris par le Burkina Faso sur les plans national et international confirment cette idée. En effet, la Constitution du 2 juin 1991, en son article 12 stipule que : « tous les Burkinabè sans distinction aucune ont le droit de participer à la gestion des affaires de l’Etat et de la société. A cet titre, ils sont électeurs et éligibles dans les conditions prévues par la loi ». Ces dispositions sont réaffirmées par la loi N°012-2010/AN du 1er avril 2010 portant protection et promotion des droits des personnes handicapées au Burkina Faso en ses articles 40 à 43 de même que l’article 91 du code électoral. Par ailleurs, la convention relative aux droits des personnes handicapées, ratifiée le 23 juillet 2009 par le Burkina Faso, recommande en son article 29 que : « les Etats parties garantissent aux personnes handicapées la jouissance des droits politiques et les possibilités de les exercer sur la base de l’égalité avec les autres ». Au regard de ces dispositifs juridiques nationaux et internationaux, la puissance publique devrait prendre des mesures appropriées pour que les personnes vivant avec un handicap puissent effectivement et pleinement participer à la vie publique et politique, surtout qu'elles aient le droit et la possibilité d'être électeurs et éligibles. Les procédures ainsi que les équipements pour les élections devraient être accessibles et faciles à comprendre. Hélas, la réalité sur le terrain contraste bien avec ces textes juridiques en faveur des personnes handicapées.

En parcourant les différents bureaux de vote dans la ville de Ouagadougou, le constat est visible. Il y a urgence à prendre des mesures idoines pour faciliter l’accès des personnes handicapées aux bureaux de vote et améliorer leur participation aux consultations électorales. Les acteurs impliqués dans l'organisation de ces élections (les observateurs nationaux comme internationaux, les membres des bureaux de vote, les partis politiques, etc.) reconnaissent unanimement la nécessité et l'urgence qu'il y a à améliorer les conditions de vote des personnes handicapées. Pour Djibril Diakité et Bernard Samouth Affro, observateurs internationaux de la CEDEAO, la décision de la CENI faisant des personnes handicapées des électeurs prioritaires est à saluer. Mais, elle doit être accompagnée d’actions concrètes visant l'amélioration de leur participation afin qu'elles puissent s'exprimer pleinement. «La première des solutions est de prévoir des fauteuils roulants au niveau des emplacements pour faciliter l'accès des personnes handicapées», suggère Clarisse Nikièma. Pour cela, la secrétaire permanente du COMUD/Handicap, Agnès Kaboré, plaide pour que lors des prochaines échéances électorales, des mesures concrètes soient prises pour une pleine participation des personnes handicapées aux scrutins. « Les autorités politiques qui ont été démocratiquement élues, notamment le président du Faso, doivent prendre en compte les besoins des personnes handicapées, afin de bâtir une société inclusive où chaque personne se retrouve comme citoyen à part entière », conclut Zoénabou Sawadogo, une personne handicapée.

Charles OUEDRAOGO
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