Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’en lieu et place des gadgets qui permettaient à certains de garder quelque chose de concret de leur «champion», il faut maintenant compter avec des «projets de société». Une innovation politique qui aurait plus abondé dans le sens du «plus rien ne sera comme avant», si seulement tous les électeurs pouvaient lire entre les lignes de documents et les comprendre avant d’aller glisser leurs bulletins dans les urnes. Mais hélas! Dans ce pays qui compte heureusement ou malheureusement -c’est selon- 80% d’analphabètes, il est complètement illusoire de vouloir gagner une élection sur la seule base d’un projet de société, aussi documenté et chiffré soit-il.
Il faut rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. Si les projets de société faisaient gagner des élections, le frère Laurent Kilachiu Bado méritait, depuis belle lurette, d’être élu président du Faso. Bien avant et bien plus souvent que le Blaiso national, son meilleur adversaire de tous les temps. «Le candidat à la tête chauve», comme le désignait l’enfant terrible de Ziniaré, avait et savait qu’il détenait une arme redoutable. Il savait de quoi il parlait. Il avait -et a toujours- une idée claire de la manière dont il comptait gouverner ce pays. Mais cela n’a pas suffi à le faire passer devant ses challengers.
Le Blaiso déchu et emporté par l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014, les jeux sont plus qu’ouverts désormais. Pour la première fois, on peut dire que tous les candidats qui sont sur la ligne de départ ont la même chance de remporter la présidentielle. Aucun d’eux n’y va avec la faveur ou la défaveur d’un bilan. Ils sont tous des novices face à l’électorat, quoique certains aient des dents plus longues que d’autres. En cela, le projet de société peut jouer un rôle déterminant, surtout dans les centres urbains où sont concentrés les lettrés du Faso.
Pour les journaleux qui étaient autrefois obligés de se griller au soleil pour écouter des discours insipides jusqu’au bout, l’introduction de projet de société dans les kits de campagne apporte un soulagement sans précédent. Ils peuvent désormais s’asseoir tranquillement pour analyser, commenter et livrer des appréciations beaucoup plus objectives de ce dont les candidats sont capables. Ce n’est pas rien dans ce pays où la matière à débat public a toujours fait défaut pour laisser trop de place aux empoignades, voire à des injures.
Mais combien sont-ils, les candidats capables d’aller jusqu’au bout de la logique des projets de société? Combien sont-ils prêts à se prêter au jeu de la discussion avec des électeurs qui veulent poser des questions pour mieux comprendre? Les candidats ont-ils effectivement derrière eux des équipes capables de concevoir et d’animer des espaces d’échange autour de ces fameux projets de société?
Des réponses sans équivoque à ces questions auraient permis de faire un pas qualitatif en avant. Mais le chemin qui mène à une campagne électorale rationnelle reste encore long et plein d’embûches. Il y a encore des conditions à remplir pour pouvoir faire des «projets de société» les principaux outils et supports de campagne. De part et d’autre, il y a encore beaucoup de travail à faire pour tirer le meilleur parti de cette façon «civilisée» de faire de la politique.
Certes, le nouveau Code électoral -ou loi Chériff- a supprimé les gadgets publicitaires des campagnes électorales pour faire place aux débats d’idées, au triomphe de la force de l’argument et non à celui de l’argument de la force. Mais aussi longtemps que la masse des analphabètes continuera d’écraser celle de quelques lettrés qui s’agitent en ville et sur les réseaux sociaux, certains candidats et pas des moindres vont continuer à faire l’économie de projets de société. D’autres ne vont même pas se donner la peine de sacrifier à cette exigence managériale.
C’est déjà un bon signe que cela s’invite à cette période électorale de tous les espoirs, mais aussi de tous les dangers. Il est important pour l’électeur de savoir exactement ce que lui propose celui qui vient à la pêche de sa voix. C’est à cette seule condition qu’il peut voter librement et en toute connaissance de cause. Pour les candidats aux différentes échéances électorales, le projet de société constitue, à ne point douter, l’expression d’une feuille de route, mais aussi d’une crédibilité certaine.
A. Wédraogo