Et pourquoi le peuple burkinabè se diviserait-il sur la question de l'article 37 de la Constitution ?
Le 12 décembre 2013 à Dori, au cours d'une conférence de presse, le président Blaise Compaoré a laissé entendre qu'il appellerait au référendum si le peuple est divisé sur la question de l'article 37. Et depuis, et cela conformément aux pratiques éprouvées des régimes dictatoriaux accomplis, ses partisans, à travers les associations et les partis politiques, revendiquent la révision de l'article 37 pour que celui-ci puisse continuer à régner au motif qu'il est une intelligence et une conscience uniques, une créature indispensable et irremplaçable, à la limite une âme ou un esprit. Nous ne porterons pas de jugement de valeur sur leur choix, car chaque personne apprécie et évalue les choses en fonction de la hauteur de son idéal, de la noblesse des valeurs morales et éthiques auxquelles elle se réfère et de sa capacité à cogiter. A contrario, nous avons la latitude d'examiner la question suivante : « Le peuple burkinabè est-il divisé sur la question de l'article 37 ? » Si la question paraît incongrue, la réponse n'est cependant pas évidente. Du point de vue du bon sens et du point de vue juridique, le peuple burkinabè n'est pas divisé sur la question de l'article 37 et ne peut l'être en ce moment.
Relativement au bon sens, imaginons un homme qui entre dans un marché et découvre un vêtement qui le charme énormément ; d'abord, il l'examine sous toutes les coutures : qualité du tissu, adaptabilité du vêtement à son environnement, couleur, taille, coût d'entretien ... Lorsqu'il s'enquit du prix, il se rendit compte qu'il n'avait pas suffisamment d'argent sur lui pour l'acquérir. Vite, il courut chez lui et rassembla toutes ses économies qui n'atteignirent toujours pas le prix du vêtement. Il emprunta alors le reste aux voisins, amis et connaissances, retourna au galop au marché et s'empara du vêtement qui le tenait tant à cœur. Une fois à la maison, il le plaça soigneusement au fond de sa valise, attendant avec impatience le jour du grand dassandaga pour le porter afin d'être distingué, admiré, respecté. Enfin, ce jour vint. Notre homme sortit le précieux vêtement de la valise et, subitement et à la surprise de tous, il remit en cause son propre choix et cela, sans avoir essayé le nouveau vêtement, sans avoir découvert un défaut sur le vêtement qui lui était caché au moment de l'achat, sans qu'une tierce personne ne porte un jugement quelconque sur ledit vêtement. Il finit par devenir aphone à force d'hurler et de traiter d'imposteurs le commerçant et tous ceux qui voulaient lui faire entendre raison.
Cet homme-là, jouit-il de toutes ses facultés ? En termes plus clairs, est-il sensé ? Assurément pas ; il est illogique et irresponsable. De même, clamer que le peuple burkinabè est divisé sur l'article 37, ne revient-il pas à le traiter comme notre homme, parce que le peuple burkinabè a aussi librement opté pour la limitation des mandats présidentiels et cela, en conformité avec ses réalités historiques, sociales, politiques et culturelles. En effet, c'est le constituant originel à savoir le peuple qui l'a consacré à travers le référendum de 1991. Mais c'est plutôt le président Blaise Compaoré qui, par des contournements, a fait sauter le verrou de la clause limitative des mandats présidentiels en 1997 aux fins d'asseoir un règne à vie. Est-ce cela qui a été à l'origine de la mort de Norbert Zongo ? Bien malin qui saurait le dire ? Toujours est-il que le collège des sages institué consécutivement à sa mort, est parvenu à la conclusion que la mort mystérieuse de journalistes et d'opposants, en un mot la violence en politique, est intrinsèquement liée au déverrouillage de la clause limitative des mandats présidentiels ; par conséquent, il fallait de nouveau les limiter. Blaise Compaoré a non seulement reconnu le fait mais en a été si convaincu au point que, de façon consensuelle, nous en sommes revenus à la limitation des mandats présidentiels en 2002.
Ensuite, n'est pas fondée, la revendication du déverrouillage de la clause limitative des mandats présidentiels faite par les partis politiques et les associations de divers ordres. La raison est que la candidature à l'élection présidentielle intéresse les personnes physiques et non les personnes morales, si fait que les syndicats, les associations et les partis politiques ne peuvent pas faire acte de candidature à l'élection présidentielle. Toutefois, une personne membre de ces regroupements sociaux peut le faire pour autant qu'elle n'est pas frappée d'interdiction légale. C'est pour cela qu'il n'est pas aisé de comprendre certains partis politiques et associations qui réclament à cor et à cri la révision de l'article 37 et qui, en aucun lieu ne les lèse. Ce n'est qu'un seul Burkinabè qui est concerné par l'article 37: Blaise Compaoré. Si ce dernier s'estime lésé, mieux que quiconque, il connaît la voie à suivre pour entrer dans ses droits, encore que l'article 37 ne dispose pas de façon spécifique pour lui ou contre lui. A partir de là, il est assez aisé de constater que ceux qui revendiquent la modification de l'article 37 au motif que le peuple est divisé sur la question, ne cernent pas la notion de peuple, moins, ils ne maîtrisent pas l'opération de soustraction en arithmétique. Observons alors leur démarche : nous sommes 16 000 000 de Burkinabè ; un seul Burkinabè, le président Blaise Compaoré, est concerné par la modification de l'article 37 de la Constitution ; 15 999 999 Burkinabè ne sont pas concernés. La logique des diviseurs de peuple veut que les 15 999 999 de Burkinabè qui ne sont pas concernés par la modification de l'article 37, soient la première partie du peuple et Blaise Compaoré qui est le seul Burkinabè concerné, la seconde partie... et boumm, le peuple est divisé et pour l'unir il faut vite modifier l'article 37 afin de garantir la paix et la stabilité.
Plus indescriptible est la revendication de la modification de l'article 37 pour que Blaise Compaoré puisse être candidat en 2015, alors même que les porteurs de ladite revendication déclarent n'avoir jamais été mandatés par Blaise Compaoré, de même que celui-ci n'a jamais indiqué son intention d'être candidat en 2015, et c'est en cela que le peuple est divisé. Evidemment, des positions opposées sans objet conduisent à des dialogues sans objet. Est-il étonnant que ces dialogues finissent avant d'avoir commencé ?
De plus, ceux qui demandent la modification de l'article 37 pour que Blaise Compaoré puisse continuer sans jamais s'arrêter ; sans toutefois avoir été mandatés par l'intéressé, ont de fait mis celui-ci sous tutelle comme on le ferait pour des mineurs ou des majeurs incapables. C'est cela qui augmente davantage les craintes et les inquiétudes du peuple.
Le constat est limpide : du point de vue de l'histoire, de la logique, de l'éthique et du droit, le peuple burkinabè ne peut pas être divisé sur l'article 37. La prétendue division du peuple n'est qu'un subterfuge de thuriféraires qui ramènent tout à Blaise Compaoré: le passé, le présent et le futur du Burkina.
Ceci étant, si malgré tout ce qui précède, Blaise Compaoré veut résolument réviser l'article 37, c'est qu'il a irrévocablement opté pour la violence en politique, et c'est du reste le dénominateur commun des « Hommes forts ».
Dans tous les cas, en l'article 37 se jouent la crédibilité de trente ans de règne et la personnalité réelle du président Blaise Compaoré. S'il est un homme intègre, il sacrifiera ses intérêts personnels afin de léguer à la postérité un pays dans la paix et la stabilité. Par contre, s'il est égoïste, au nom de ses intérêts, il précipitera le Burkina dans la tragédie.
Mon Président, qui êtes-vous alors ?
David DABIRE
Conseiller d'Administration scolaire et universitaire