Côte d'Ivoire-Burkina : Ouattara peut-il ne pas perdre le Nord ?

| 05.06.2015
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19 Mai 2015 - Michel Kafando a eu un entretien avec son homologue ivoirien, Alassane Ouattara à l'occasion de la 47ème session ordinaire de la Conférence des chefs d'Etat et de Gouvernement de la CEDEAO. Photo d'archives, utilisée à titre d'illustration
© © Photo : Leonard Bazié / Présidence
19 Mai 2015 - Michel Kafando a eu un entretien avec son homologue ivoirien, Alassane Ouattara à l'occasion de la 47ème session ordinaire de la Conférence des chefs d'Etat et de Gouvernement de la CEDEAO. Photo d'archives, utilisée à titre d'illustration
Entre le Président ivoirien, Alassane Dramane Ouattara, et les autorités de la Transition burkinabè, ce n'est décidément pas le grand amour. Pour le premier, qui ne digère toujours pas l'éviction de son parrain Blaise Compaoré, toutes les occasions sont bonnes pour dire tout le bien qu'il pense de M'Ba Kaf et de ses collaborateurs.


ADO n'a pas tardé à dégainer. Ne devait-on pas s'y attendre? Sa présidence en exercice à la Cedeao ne lui a pas donné beaucoup d'occasion de défendre son ami Blaise Compaoré depuis le début de la crise jusqu'à la fuite du pouvoir par ce dernier. Dans les tractations pour la mise en route de la Transition, lui, le président en exercice de la Cedeao, a été royalement ignoré du fait de sa proximité très suspecte avec le régime défunt du Burkina. «Le sommet a demandé la tenue d'élections inclusives, sans discrimination dans les meilleurs délais (...), l'exclusion ne sera pas acceptable.» Voilà ce que penserait la Cedeao, ou du moins ce que pense ADO de la Transition en cours au pays des Hommes intègres.

Alors, ils ont été très peu nombreux, ceux qui n'ont pas été surpris de cette nouvelle "bourde" du président ivoirien, Alassane Dramane Ouattara, à la fin du dernier sommet de la Cedeao, des propos tenus dès son retour en Côte d'Ivoire. Cette sortie a sonné comme un coup de tonnerre dans le microcosme politique burkinabè ainsi qu'au sein des OSC et même de l'opinion nationale en général. Politiquement et diplomatiquement, il y a quelque chose qui ne tourne pas rond.

ADO avait-il vraiment besoin de s'étendre sur la situation au Burkina de la sorte? En un mot comme en mille, il a osé. Et c'est le mot.

Vraisemblablement il ne s'est pas fait conseiller. S'il a été conseillé, c'est qu'il l'a mal été, et s'il a été mal conseillé, c'est alors qu'il n'a pas les bons conseillers, ou ces derniers sont susceptibles d'être accusés de mauvaise foi ou de connivence avec lui sur le dossier du Burkina. En somme, c'est ce qu'on appelle une réaction épidermique et inopportune.

Au moment où ce dernier quitte la présidence en exercice de la Cedeao, il tente le tout pour le tout et se fait l'avocat de son encombrant hôte. Encore une fois, il est dans le décor et il en est bien conscient. Aucun parti politique n'est exclu au Burkina, mais «tous ceux qui auraient soutenu le projet de modification de l'article 37». C'est l'esprit du nouveau Code électoral tel que redit par les autorités burkinabè.
L'Ivoirien a malheureusement raté l'occasion de se faire une certaine image auprès des Burkinabè et de ses concitoyens ivoiriens. Que n'ont-ils d'ailleurs pas dit, certains Ivoiriens: «Qu'est-ce que ADO va faire dans cette affaire encore? Héberger Blaise te coûte déjà et nous aussi et tu t'en vas te chercher de noises?»

Bref, le successeur de Gbagbo aura inévitablement des soucis à se faire, car la lecture faite par lui de la Transition est bien un faux. Oui, un vrai faux. Et se raviser ne serait pas trop lui demander. Même les puissances occidentales, qui ont une grande capacité d'influencer des politiques africaines, se sont gardées de faire une telle analyse.

Les USA ont, à l'époque, très vite fait de rectifier le tir. Alors, pourra-t-il imposer son point de vue à la Transition? Pas si sûr. Ce qui donne alors à sa sortie l'image de quelqu'un qui se noie, lentement mais sûrement. Tout cela ressemble en beaucoup de points à une dernière tentative de sauver un bateau noyé, celui de Blaise et Cie.

La pilule ivoirienne aurait eu un meilleur sort si, depuis le début de la Transition, son auteur avait eu à l'esprit de rappeler à son ami qu'on ne reste pas indéfiniment au pouvoir, que la souveraineté appartient au peuple. Mais rien.

Bien au contraire. Muet comme une carpe, il retrouve subitement de la voix et se débat. Après avoir essuyé un cuisant échec dans ses tentatives de médiation, il a fini par héberger l'homme chassé du pouvoir. Il en a bien le droit.

Mais dès lors, il devra laisser le peuple burkinabè «tranquille». On constate d'ailleurs que depuis l'échec de cette fausse médiation envisagée à l'époque et la fuite de Blaise, l'homme fort d'Abidjan n'attend apparemment plus rien du peuple burkinabè.

Il lui voue en plus une désaffection qu'il cache difficilement. C'est à ce peuple-là qui, pourtant, il veut donner des leçons d'inclusion. Inclusion pour inclusion, on a vu ce que Ouattara a fait de ses adversaires politiques, et surtout des pro-Gbagbo. Où sont-ils?

Des enquêtes aux résultats douteux les ont tous envoyés en prison.

Prendront-ils part aux élections à venir en Côte d'Ivoire? L'ex-majorité burkinabè a eu un meilleur sort que celle de la Côte d'Ivoire. ADO est un très mauvais maçon et c'est se méprendre donc que de demander une hideuse inclusion de cette manière-là. Le peuple burkinabè demande le respect entre Etats.

Le Président ivoirien devra alors faire sa propre inclusion d'abord avant de penser à celle des Burkinabè. En sus, il devra se rendre à l'évidence que les intérêts des Nations vont au-delà des intérêts des individus Alassane Ouattara et Blaise Compaoré. Que reste-t-il à Blaise Compaoré, qui plus est est déjà dans le collimateur de la Justice et fait l'objet de poursuites judiciaires devant les tribunaux nationaux par les organisations de défense des droits humains? Pas grand-chose, sinon qu'une amitié forcée.

A. Traoré

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