Interrogé sur la suite qu'il va donner à ce rapport, lors de sa visite à Paris au début du mois de juin, le président Kafando avait botté en touche en arguant qu'il réservait la primeur aux Burkinabè une fois de retour au pays. Depuis lors, il est rentré, mais il ne pipe mot sur le fameux rapport. Visiblement, il a du mal à le partager aux Burkinabè. Son Premier ministre parle également du travail de la commission sans divulguer ses principales recommandations. Lors de sa visite aux Etats-Unis en avril dernier et le 12 juin devant la Représentation nationale, Yacouba Isaac Zida s'est contenté de dire que « le pays a besoin du RSP ». La dissolution du RSP ne serait pas la meilleure solution pour le pays, répètent en chœur le président Kafando et son PM. Que doit-on faire alors de ce régiment dont le maintien dans sa mission principale actuelle (la protection du président et des institutions) n'est pas acceptable non plus pour les Burkinabè ? Ils n'apportent aucune réponse. Au vu du rapport de la commission pilotée par Diendéré, le président et son PM ont des raisons d'avoir des appréhensions sur sa publication. Les principales recommandations de ce rapport ignorent royalement la demande populaire, s'il ne la méprise pas tout simplement. Pouvait-il en être autrement au regard de la composition de la commission ?
Une commission couleur RSP
Peut-on être juge et partie et faire un travail objectif sur une telle question ? A l'évidence NON. La commission sur le RSP n'a pas fait exception. Sur les dix membres, le RSP à lui seul en compte six. C'est également parmi eux que le président et le rapporteur de la commission ont été désignés, c'est-à-dire les deux pièces maitresses du groupe de travail. Le Général de Brigade Gilbert Diendéré a présidé et le colonel-major Boureima Kieré a rédigé le rapport. Les quatre autres officiers du RSP ayant siégé dans la commission ont fait le contrepoids pour parer à toute éventualité, un vote par exemple. Il s'agit du chef de corps du régiment, le lieutenant-colonel Moussa Céleste Coulibaly, du chef du cabinet militaire de la présidence du Faso, le lieutenant-colonel Théophile Nikiéma, du médecin-colonel du RSP, Saïdou Yonaba et du colonel Mahamady Deka. C'est ce « contingent » qui a épaulé le Général et le Colonel-major pour le travail qui s'est déroulé dans les bureaux du chef d'état-major de la présidence du Faso qui n'est autre que Boureima Kieré, l'ancien chef de corps du RSP. Les quatre autres membres de la commission non issus du RSP pouvaient-ils peser dans ces conditions malgré leur bonne volonté ? Il est permis d'en douter. Ils n'auraient alors fait qu'accompagner le travail des officiers du RSP. Ces officiers allogènes viennent de l'armée de terre (le colonel Jean-Baptiste Kaboré), de l'armée de l'air (le colonel Soyo Ardiouma Palé), de l'Intendance militaire (Yamba Léonard Ouoba) et d'une autre unité en la personne du colonel Raymond Ouédraogo. La question que l'on se pose, c'est comment la commission a pu se retrouver être l'otage de Diendéré et du RSP ? C'est simple, le président Kafando dit qu'il a confié la mission au chef d'état-major général des armées, le Général Zagré et c'est ce dernier qui a refilé le travail au Général Diendéré. Pour le président, c'est une « cuisine interne » à l'armée. Mais il feint d'oublier que dans la situation actuelle de l'armée burkinabè, surtout dans sa couche supérieure, c'est le Général Diendéré qui détermine le menu de la cuisine. C'est donc une fausse parade que de s'en remettre entièrement à l'état-major sur cette question des hommes qui devaient siéger dans la commission. Aujourd'hui, le président Kafando reconnait que c'est une erreur. Est-ce la raison pour laquelle il donne l'impression de ne pas accorder trop d'importance au contenu du rapport qui sera examiné par les membres du gouvernement et les membres de la Commission nationale des Réformes et de la Réconciliation nationale ? Une manière de rattraper les nombreux impairs dans l'installation et le travail de cette commission qui peut légitimement être appelée de « commission Diendéré ».
Des civils exclus du processus
Autre anomalie de forme, on constate que la commission n'a été qu'une affaire de militaires comme si la question du RSP n'est qu'une affaire militaro-militaire. Le RSP ne constitue pas un problème uniquement que dans l'armée, où il est fortement décrié malgré la débauche d'énergie de ses communicants pour faire admettre son caractère d'élite. Mais c'est surtout dans la population civile que son image est définitivement ternie. Tout projet de restructuration devrait logiquement prendre en compte l'avis des autres composantes de la Nation. Les civils ont leur mot à dire sur la restructuration de ce corps qui cristallise tant les ressentiments des Burkinabè. Diendéré et ses collaborateurs ont estimé cependant que les civils n'avaient pas leur place dans cette commission. C'est pourquoi, aucun civil n'a été consulté ou auditionné dans le cadre de leur travail. Comme on le dit, l'affaire a été gérée entre militaires, pour ne pas dire entre officiers du RSP. Pourtant, il faut rappeler que c'est à la suite de la désapprobation populaire, donc essentiellement de civils, en février dernier, que le président Kafando a décidé de la mise en place de la commission. Il aurait fallu en tenir compte dans la composition de la commission ou lors de ces travaux. Mais visiblement, les patrons du RSP ne voulaient avoir aucune voix dissonante dans leur « machin ».
La commission prône le statu quo
Dans le langage juridique, on dit que la forme tient le fond à l'état. Cette assertion est aussi valable pour la commission. Au regard de sa composition, il était difficile de s'attendre à des conclusions que celles qui arrangent les patrons du RSP. Ils avancent trois principaux arguments pour recommander le maintien du RSP dans ses missions actuelles. Le premier est tiré d'un adage du terroir qui dit que « si vous abattez votre chien au prétexte qu'il est méchant, c'est la chèvre du voisin qui vous mordra ». A première vue, on croirait que l'utilisation de cet adage vise à montrer l'importance du RSP face au danger extérieur. Mais que nenni. Le danger serait interne aux yeux des responsables du RSP : « Cet adage sied bien à la situation du RSP dans cette situation post-insurrection où tout le monde est apte à revendiquer tout, tout de suite et maintenant. », soutient le rapport. On voit bien que pour Diendéré et ses obligés, l'ennemi est intérieur, et le danger viendrait des différentes couches sociales qui revendiquent de meilleures conditions de vie et de travail. Il faut alors protéger le président et les institutions contre ces « hordes de Barbares ». Les Burkinabè apprécieront le mépris à leur endroit qu'affichent les rédacteurs de ce rapport.
Mais ce qu'ils ne nous disent pas, c'est qui va protéger le président et les institutions contre un projet de coup d'Etat venant du RSP. Ou bien considèrent-ils cette hypothèse de surréaliste ? L'histoire est pourtant là pour nous renseigner que depuis 1983, c'est à l'intérieur de cette unité que des putschs et contre putschs réels et imaginaires se jouent et se déjouent de manière tragique. C'est du RSP que le Burkina traine les plus grosses affaires criminelles de son histoire et qu'il a du mal à solder jusqu'à présent. Des Burkinabè de presque toutes les catégories sociales y ont laissé leur vie. Du Président du Faso au chauffeur en passant par des Professeurs d'université, des journalistes, des étudiants, des officiers et militaires de rang, etc. De ce bilan, il ne fait aucun doute que le RSP, dans sa mouture actuelle, est un enfant incestueux et criminel. Un père de famille responsable ne saurait garder dans sa cour un chien méchant qui mord et tue ses enfants (même s'il n'aboie pas) au prétexte qu'il a peur d'une prétendue chèvre du voisin.
Le deuxième argument servi pour proposer le maintien de « la mise à disposition du RSP pour emploi à la Présidence du Faso », c'est « le besoin de stabilité des institutions républicaines ». Pour la commission, c'est le RSP seul qui constitue la garantie de la stabilité de nos institutions. Si on le démantèle comme l'a recommandé le Collège des sages depuis 1999, il est fort à craindre que la rue dicte sa volonté aux gouvernants. « Aujourd'hui plus qu'hier, ce besoin reste d'actualité et même qu'il est accentué avec la volonté de la rue de participer coûte que coûte à la décision politique souvent au mépris des textes et règlements en vigueur », assène le rapport. On voit là toute l'aversion que les patrons du RSP ont pour les citoyens de ce pays. Dans quel pays démocratique, les gouvernants doivent tenir à l'écart ses citoyens, museler leur expression dans la prise de décision ? Cette mentalité autoritaire, voire dictatoriale des responsables du RSP rend davantage légitime la revendication populaire d'éloigner cette unité de la Présidence et des institutions. Dans un système démocratique normal, la protection du chef de l'Etat et des institutions républicaines incombe aux forces de la gendarmerie et de la police. C'est seulement en cas de situation exceptionnelle et de manière ponctuelle qu'on fait appel aux forces de défense (l'armée). Pourquoi vouloir inverser l'ordre si ce n'est pour protéger des intérêts égoïstes et inavouables ?
Enfin, pour les rédacteurs du rapport, il doit y avoir une « reconnaissance de la nation à ces hommes » du RSP. Et cela passe par le maintien du RSP à la Présidence et dans ses missions actuelles. Pour les Burkinabè, c'est une véritable insulte. Insulte à la mémoire de nombreuses victimes des hommes de ce régiment, insulte à la souffrance de la Nation qui a enduré des années les diktats du régime autoritaire de Blaise Compaoré sous la bienveillante protection du RSP. S'il doit avoir « reconnaissance », c'est auprès de Blaise Compaoré et de ceux qui ont profité de son régime que le RSP doit se retourner, mais pas à la Nation burkinabè qui a plutôt souffert de ses agissements à l'intérieur comme à l'extérieur du pays.
Comme on le voit, tous les arguments développés par la « commission Diendéré » souffrent d'un subjectivisme et d'un narcissisme prononcés. Ils visent simplement à maintenir un statu quo pour sauver les privilèges de quelques individus au sein du RSP. Ce rapport ne pourrait donc prospérer aux yeux des Burkinabè. Au mieux, il peut être reversé auprès de la Commission nationale des réformes et de la réconciliation (CNRR) qui fera des propositions plus objectives et acceptables pour la Nation. Personne ne connait mieux le RSP plus que le peuple lui-même qui réclame sa profonde restructuration, à défaut de sa dissolution pure et simple. Le Président Kafando, s'il est véritablement le Chef suprême des armées, comme lui confère la Constitution, doit assumer pleinement ses prérogatives pour mettre fin aux longs tiraillements sur le RSP en lui confiant d'autres missions que celles qui sont actuellement décriées par la population. La place du RSP n'est pas à la Présidence du Faso ni dans aucune autre institution. Une véritable unité d'élite de l'armée ne créé pas autant de polémique autour de ses missions. Il y a une maldonne qu'il faut accepter corriger pour le bien de la Nation et de la démocratie.
Abdoulaye Ly
In Mutations N°79 du 15 juin 2015