D'abord au nom du gouvernement burkinabè, le ministre délégué en charge des affaires étrangères et de la coopération régionale, Moussa B. Nébié, s'est voulu être rassurant, en relevant les raisons qui ont présidé à l'adoption de la nouvelle loi sur le code électoral et les arrestations de dignitaires du régime déchu. Il a signalé que les deux actions gouvernementales, qui cristallisent les passions sous le ciel grisé du Burkina Faso, entérinent la volonté populaire. A l'en croire, le peuple ne veut pas voir les dirigeants de l'ancien régime, qui se sont obstinés à vouloir modifier l'article 37 de la Constitution, occuper de hautes fonctions immédiatement, c'est-à-dire lors des prochaines élections. Volonté corroborée par l'article 25, alinéa 4 de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, dit-il. En réaction, l'ambassadeur des Etats-Unis, Dr Tulinabo Mushingi, a relevé que c'était un impératif pour les partenaires d'entendre la voix du gouvernement sur ces deux questions. Ceci étant, il a souhaité que les actions de l'exécutif soient calquées sur les principes de base du pays de l'oncle Sam : la coordination, le consensus et l'inclusion. Pour lui, il revient aux électeurs de désigner leurs élus; s'ils n'aiment pas tel ou tel candidat, ils ne voteront pas pour lui. «Et le peuple burkinabè doit avoir l'opportunité de choisir son candidat, et les candidats doivent venir de toutes les couches sociales de la population», parole de l'ambassadeur américain, soutenue par l'ambassadeur de l'Union européenne, Alain Holleville qui appelle, également, à un caractère inclusif de la transition, afin de permettre aux électeurs de juger. C'est établi que les ambassadeurs américain et européen ont usé de discours trempés à l'art magistral de la diplomatie, mais leur propos est, on ne peut plus clair. On n'a pas besoin d'être savant pour comprendre. Ils ne veulent pas que les autorités de la transition maintiennent, à force d'expédients, les bonzes du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) et tous ceux qui ont servi les desseins de Blaise surtout durant les mois crépusculaires de son règne, à l'ombre chaude. Ils ne veulent pas non plus que de pauvres gens aillent partager le purgatoire avec trop de fantômes, évocateurs des années radieuses passées au sommet de l'appareil de l'Etat. En vérité, et cela n'est pas subliminal dans les propos d'un Tulinabo : il n'est pas nécessaire de concocter une loi pour empêcher X ou Y de compétir à une élection, si tant que ce scrutin est transparent, c'est aux mandants, en l'occurrence au peuple, de décider à qui il donnera sa confiance. Point besoin à coup d'oukaze légal, d'écarter donc ex-Cdépistes et anciennes étoiles de la galaxie Compaoré, le peuple souverain saura trier l'ivraie du bon grain !
En insistant sur le caractère inclusif qui régit toute pratique démocratique, et inscrit dans la charte, l'Européen Holleville embouche la même trompette que le diplomate américain. La position de ces grandes chancelleries est louable et respectable, mais le Burkina Faso est un pays souverain.
Encore que même dans ces vieilles traditions démocratiques, le vote de certaines lois donne lieu à des polémiques, de sempiternelles controverses et des marches à répétition dans les rues.
En France, pour prendre la dernière en date, la loi Macro a été très durement malmenée et a même divisé la majorité socialiste.
N'empêche que dans le contexte actuel, et au regard même des querelles que suscite ce nouveau code électoral, il serait abscons de balayer d'un revers de main les observations de ces représentants de ces grands pays et pour deux raisons :
- d'abord, économiquement, ils biberonnent le Burkina en temps ordinaire, et même à ces élections, leurs concours ne sera pas de trop. A l'échelle internationale, c'est-à-dire dans le concert des nations, leurs voix sont prépondérantes pour ne pas dire que ce sont eux qui décident. Un pays blaklisté par les USA et l'UE vit difficilement, surtout s'il est en queue du peloton de l'indice du développement humain ;
- ensuite, ces ambassadeurs ont repris mezzo voce ce qu'une partie de l'opinion burkinabè, fut-elle minoritaire, pense de cette loi, et c'est dire que quelque part, cette loi posera problème, même après les votes.
Le nouveau code électoral a été promulgué et c'est l'autorité de la loi votée. Elle est en vigeur. Cependant, il n'est pas tard de rendre concret le caractère inclusif de la chose, sans toutefois effectivement confondre inclusion et impunité, sous peine de vendanger les objectifs de l'insurrection des 30 et 31 octobre 2014.
Les ambassadeurs sont dubitatifs sur le bien-fondé de cette loi, car justement, ils estiment in peto, en dépit des circonlocutions diplomatiques, qu'elle pourrait être source d'exclusion avec ses corolaires d'une césure sociétale. On tomberait alors de Charybde en Scylla.
La loi doit donc s'appliquer, mais il est impératif de trouver des passerelles pour renforcer le vivre-ensemble, suprême bien visé par la politique, selon un des grands politologues de l'Antiquité. Il s'appelait Platon.
Christian N. BADO