Excellence, après le périple d’octobre 2014 qui vous a conduit en Côte d’Ivoire, au Tchad et au Cameroun, vous voici, deux ans après, de nouveau sur le continent noir, à quelques mois de la fin du mandat du président Hollande. Que venez-vous y faire ?
Nous venons manifester notre amitié au peuple burkinabè. J’ai eu l’occasion de rencontrer le Premier ministre, le président de l’Assemblée nationale, et même le président du Faso que j’ai eu l’occasion de recevoir à Paris. Nous avons une coopération excellente avec l’Assemblée nationale burkinabè. Je pense qu’il n’y a pas de meilleure manière de renforcer, de manière significative, le travail que nous faisons ensemble, que de pouvoir nous rencontrer. Il nous semble important de montrer au Burkina Faso que, quelle que soit la période électorale, quels que soient les futurs résultats des élections, ce lien entre la France et le Burkina Faso doit être plus que présent.
Restons en France, comment analysez-vous la présidentielle française ?
Sans langue de bois, c’est une élection qui est originale. Elle est originale, dans la mesure où l’on voit finalement, que les deux grands partis qui ont structuré la vie de la Ve république dont les candidats sont issus d’une primaire citoyenne, sont aujourd’hui, dans les sondages, en difficulté. Nous allons devoir peut-être vivre avec un temps nouveau.
Depuis la renonciation de Hollande à se représenter, le moins qu’on puisse dire est que les différents prétendants semblent un peu faire du surplace. Votre commentaire.
Je pense qu’il y a cette impression qu’il y a beaucoup d’affaires judiciaires qui viennent aujourd’hui, donner une tonalité un petit peu particulière à cette présidentielle. Je pense que c’est un peu plus profond en France que dans de nombreux pays. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les grandes traditions idéologiques ont faibli. En France comme dans de nombreux pays, peut-être compte tenu de la mondialisation, compte tenu du débat économique qui donne quelques fois, l’impression de supplanter le débat politique, l’on se retrouve dans cette situation où on a l’impression que les lignes traditionnelles bougent. C’est pour cela que je vous le dis, on va vivre certainement cette élection présidentielle, un tout petit peu particulière. Je suis persuadé que les différentes analyses politiques, les différentes traditions politiques françaises, en particulier, notamment la gauche et la droite, se sentiront à nouveau d’une manière très forte, au moment des élections législatives.
Vous êtes un éléphant du parti socialiste. Le président français avait conditionné sa candidature à l’inversion de la courbe du chômage. Mais nonobstant cette baisse du chômage, il pouvait se représenter. Pourquoi a-t-il préféré s’abstenir ?
Il s’agit là, d’une question qu’il faudra poser au président François Hollande lui-même. Je crois qu’il y a plusieurs facteurs qui peuvent expliquer cela. Il est vrai que nous avons obtenu des résultats, en termes de chômage. Et en termes de résultats obtenus par cette volonté de dire que nous menons une politique de l’offre et de la demande, elle doit conditionner la reprise de la croissance. Les derniers chiffres en France n’ont pas à vous faire rougir, lorsque l’on voit ce que représentent les résultats par rapport à la situation que nous avons retrouvée en 2012. La présidentielle, c’est aussi une certaine alchimie, c’est la rencontre d’un individu avec le peuple français. Je crois que c’est ce qui a certainement posé des difficultés au président Hollande. D’un certain côté, si je voulais être provocateur, je dirai que les Français l’ont trouvé trop normal. Mais, je ne crois pas que ce soit sur l’échec économique que sa candidature doit être malheureusement, analysée.
Le Parti socialiste aujourd’hui, semble avoir implosé. Il y a Benoît Hamon, l’officiel, Macron, l’OVNI, Manuel Valls qui rumine, les députés et les ministres français qui ont du mal à avoir une posture. Il y a également des boules puantes qui rattrapent certains, tel Bruno le Roux. Sale temps pour le PS, serait-on tenté de dire. Qui pour sauver le parti ?
Sale temps pour les partis politiques traditionnels. Même si dans la délégation qui est en visite au Burkina Faso, il n’y a pas de députés LR, je ne suis pas sûr que si actuellement, vous aviez devant vous un député de ce parti, il vous dira que le parti est en grande forme. Je parle des partis traditionnels, les partis qui ont structuré la Ve république qui, aujourd’hui, pour des raisons différentes, connaissent des difficultés. Pour les partis socialistes d’une certaine manière, c’est un débat que nous aurons à avoir. Je ne vais pas vous cacher la situation que nous avons eu à vivre. Des divisions sont apparues, depuis le début de cette législature ou elles viennent aussi, peut-être de plus loin. Je m’explique, pour faire vivre le Parti socialiste, nous avons plutôt décidé de chercher le compromis sur un certain nombre de questions, notamment la question économique que j’ai soulevée tout à l’heure, en évoquant l’offre et la demande. Nous n’avons pas été au bout de la discussion entre nous pour choisir, y compris la majorité, y compris la minorité. Je vous rappelle que le président Mitterrand a fait vivre des gens extrêmement différents, au sein du Parti socialiste, avec des idées différentes. Je sais, y compris dans les derniers jours de cette campagne, que Benoît Hamon en particulier, saura retrouver cet élément fondateur du Parti socialiste. Il faut savoir rassembler les siens, rassembler la gauche au deuxième tour, et être capable de rassembler plus largement, pour constituer une majorité.
Pourtant votre cœur bat pour Emmanuel Macron ?
J’ai eu l’occasion d’accorder une grande interview à un journal français, en l’occurrence «Le Monde», dans laquelle j’ai dit que moi la priorité que je me fixe, avant tout, pour l’honneur de la France, c’est d’éviter des difficultés sur la perception de notre pays. Je ferai tout pour éviter que Le Pen fille passe au deuxième tour. Je ne veux pas de l’extrême droite pour le pays des droits de l’homme. Je ne veux pas non plus de François Fillon qui a des difficultés avec la justice. De son côté également, ce ne serait pas une bonne image pour la France. J’essaie de gagner un tout petit peu de temps avec mes compatriotes, et jusqu’à la dernière minute, je serai animé de cette idée de dire qu’il faut tout faire pour éviter un deuxième tour «Le Pen-Fillon».
Revenons à l’Afrique où le débat qui fait rage concerne le terrorisme et l’arrimage du CFA à l’euro. D’abord, l’aspect sécuritaire : que pensez-vous de l’intervention française en Afrique, notamment au Mali, en Centrafrique et l’opération Barkhane ?
C’est une intervention où je le rappelle, le président Hollande a répondu à la demande de nos amis maliens. Il n’y a pas d’intérêt pour la France. Je le dis simplement, parce que quelques fois, des voix s’élèvent pour demander si ce n’est pas le retour de la Françafrique ? Pour certains, l’intervention française n’est pas liée à la préservation des intérêts de la France au Mali. Franchement au Mali, quel était l’intérêt économique ? Si la France n’était pas intervenue, il n’y aurait plus de Mali, aujourd’hui. Vous avez évoqué mon dernier déplacement sur le continent africain, j’ai très vite été marqué à la fois, quand je suis allé au Mali, mais aussi au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Cameroun, par la remarque qui m’a été faite. Il m’a été dit que si les Français n’étaient pas intervenus, ce n’est pas simplement Bamako qui serait tombée. Je crois que nous avons répondu, dans le cadre d’une mission des Nations unies, à l’appel d’un pays ami, d’un peuple frère et nous avons bien fait de la faire. Bien sûr, il revient aux responsables de chacun de ces pays de trouver la solution pour stabiliser la situation politique, économique et sociale. Je le dis, nous demandons beaucoup d’efforts à nos militaires qui interviennent sur le terrain. Cependant, il revient à chacun des Etats du continent africain de répondre à la question politique qui est posée pour permettre aux différents peuples de vivre, ensemble.
Au Mali, la position de la France, notamment avec le MNLA, a souvent été ambivalente. Comment l’expliquez-vous ?
Je ne pense pas qu’il y a ambivalence. Il y a aujourd’hui, une mission qui est la nôtre dans le cadre d’une délibération des Nations unies et nous la respectons, d’une manière stricte. Après, c’est aux pouvoirs politiques locaux de tenir compte de la situation, quelques fois difficile, que pouvait connaître un certain nombre de régions. Au Mali par exemple, dans la région du Nord, il doit pouvoir y avoir une politique de réconciliation nationale, y compris une politique de régionalisation qui permet à chacun de se sentir concerné. Mais, ce n’est pas à la France de choisir, c’est au peuple malien de prendre son destin en main.
Un autre sujet africain lié à la France, le franc CFA. Ils sont nombreux les Africains qui dénoncent la parité et la convertibilité du CFA par rapport à l’euro, et les 50% de leurs réserves de change déposées au Trésor français. Qu’en pensez-vous ?
Je vous rappelle la décision du président Hollande qui me paraît la meilleure position pour éviter toute incompréhension avec nos amis africains ; c’est à vous de faire des propositions. Le franc CFA, c’est une monnaie africaine, ce n’est pas une monnaie française. Nous avons jusqu’à présent, eu cet accord, parce qu’on était en termes d’échanges, de commerce et de sécurisation de la monnaie. Nous avons répondu à une demande de nos amis africains, c’est la solution financière et technique qui a été apportée. La France n’a aucun intérêt particulier, si ce n’est de dire que nous voulons faciliter, en termes monétaires, l’intégration des pays qui utilisent le franc CFA, leur garantir la valeur de la monnaie et la convertibilité. S’il y a une demande d’une règle monétaire différente, c’est aux nations africaines concernées de faire des propositions.
D’aucuns proposent que les 2 banques centrales utilisent une partie des 13 000 milliards de F CFA (20 milliards d’euros) qui dorment dans les caisses du Trésor français, pour financer des projets de développement de la zone CFA. Qu’en pensez-vous ?
C’est un fonds de garantie, il n’y a aucune utilisation de ces sommes de la part de la France, je tiens à le dire. Moi, je ne veux pas trancher, mais aujourd’hui, ce qui a donné de la stabilité à cette monnaie, ce qui a empêché un certain nombre de dévaluations avec la difficulté que cela pourrait représenter pour les citoyens les plus humbles, c’est justement cette garantie. Je vais vous prendre un exemple : pour sortir de la comparaison entre la France et les pays africains concernés, le jour où nos amis anglais ont décidé du Brexit, la monnaie anglaise a été dévaluée, parce qu’il n’y avait plus ce lien avec l’euro, et ce sont les retraités les plus humbles qui ont perdu 20% de leur pouvoir d’achat. Vraiment, cette proposition du président Hollande me paraît centrale. Nous sommes à la disposition des pays pour qui le franc CFA est leur monnaie et c’est à eux de nous dire quelle est la règle qu’ils souhaitent établir pour, je l’espère, continuer à maintenir une stabilité de leur monnaie, garantir l’échange et leur permettre une intégration dans le commerce mondial.
Est-ce que vous estimez que le système monétaire en cours dans les espaces UEMOA et CEMAC, est encore pertinent, à l’heure des économies émergentes, et des investissements publics massifs pour le développement des infrastructures ?
Ce qui m’a toujours marqué, pour moi qui suis un éléphant comme vous le dites, autant j’ai des critiques à faire sur la manière dont l’Europe s’est comportée, mais au moment de Maastricht,j’avais souhaité soutenir le traité, justement parce qu’il y avait la monnaie unique qui apparaissait. Je suis bien placé, parce que François Hollande qui a été élu pour la première fois, en même temps que moi, pourrait vous rappeler des moments où nous avions le franc français et nous étions dans l’obligation, compte tenu de la situation économique, de procéder à des dévaluations régulières ; qui paye le coût d’une dévaluation ? Ce sont les plus humbles pour qui les matières premières sont plus chères, pour qui la situation conduit à un plan de redressement. Je n’ai pas le culte de la monnaie, mais je sais ce que pourrait représenter une monnaie qui n’aurait pas de base solide. Si l’on veut vraiment qu’il y ait ce partenariat et cette confiance entre les uns et les autres, il faut accepter l’idée que c’est aux pays qui ont le franc CFA comme monnaie, de faire des propositions, pour définir la règle de jeu qu’ils veulent et de mesurer les conséquences que cela pourrait avoir pour leurs populations.
Les pays de l’UEMOA et de la CEMAC doivent–ils battre monnaie ?
D’une certaine manière, ils le font déjà. Ce n’est pas la France qui détermine la valeur du franc CFA, c’est ça qu’il faut avoir à l’esprit. Je vois très bien, au travers de la question que vous posez. C’est que votre argent est à la banque de France. Franchement, à la limite, c’est totalement secondaire, parce que c’est un dépôt, et le problème, c’est de savoir quelle est la valeur de ce dépôt. J’entends quelques fois, la remarque qui dit que compte tenu que nous sommes liés à l’euro, nous sommes obligés de faire face à un certain nombre de critères, notamment en termes de déficit. C’est pourquoi je dis que c’est aux pays de faire des propositions.
Un peu de passé qui ne passa pas : il y a 30 ans, Thomas Sankara a été assassiné, beaucoup de voix s’élèvent, demandant à la France de lever le secret défense. Le député socialiste, Pouria Amirshahi, vient d’écrire à François Hollande, dans ce sens. Vous, en tant que président de l’AN et socialiste, y souscrivez–vous ?
J’y souscris, parce que la question de l’assassinat de Thomas Sankara est une question qui concerne le Burkina Faso. Je souhaite que toute demande qui soit faite à la France pour permettre au Burkina de faire la vérité sur ce dossier qui le concerne, reçoive une réponse positive. En tant que député français, je comprends la volonté des Burkinabè de faire la vérité sur leur histoire, et la France doit être à la disposition de ses amis pour les aider.
On se rappelle que Sankara dérangeait, surtout la France, on se rappelle la passe d’arme, en novembre 1986, entre lui et le président Mitterrand à Ouaga. «Vous êtes tranchant, mais vous tranchez trop», avait dit Mitterrand, au fougueux capitaine. Toute proportion gardée, est-ce que les socialistes n’ont pas peur de ces archives, vu que le père de la Révolution a été assassiné, sous un pouvoir socialiste ?
Si chaque fois qu’il y avait un assassinat dans le monde, on devait mettre ça sur le dos des gouvernants qui sont au pouvoir... Pour nous, soyons clairs, en tant que députés, français, socialistes, soyons clairs, en tant que députés, français, socialistes, nous n’avons rien à voir avec cette affaire qui concerne le Burkina. Mais, s’il y a des demandes de la justice burkinabè vis-à-vis de la justice française pour la communication d’un certain nombre de pièces qui permettent au Burkina de faire toute la transparence avec son histoire, nous n’y voyons que des avantages.
Quel regard portez-vous sur le pouvoir de Roch Kaboré, élu après une insurrection, la chute d’un pouvoir qui aura duré 27 ans ?
Pour éviter qu’il puisse avoir une interprétation sur les liens qu’il puisse avoir sur les liens que pourrait avoir la France avec ses partenaires, c’est un choix du peuple burkinabè. Il y a eu une élection et des résultats, nous, nous faisons avec les responsables qui nous sont donnés par les peuples amis. Sur les questions de sécurité comme sur les questions de développement, sur les questions qui concernent ce nouvel axe Nord-Sud que nous devons renforcer et qui nous paraissent tellement importantes pour l’Afrique et pour l’Europe, nous travaillons avec les responsables politiques que les peuples amis nous ont donnés. Dans le cadre des échanges que nous avons avec le président et son premier ministre, les choses se passent très bien, d’une manière amicale et en confiance.