CEDEAO et loi électorale : Appréciation d’experts

| 15.07.2015
Réagir
CEDEAO et loi électorale : Appréciation d’experts
© DR / Autre Presse
CEDEAO et loi électorale : Appréciation d’experts
Au lendemain de l'arrêt de la Cour de justice de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) sur la requête de l'ex-majorité sur le nouveau code électoral au Burkina Faso, nous avons recueilli, hier mardi 14 juillet 2014, les analyses de spécialistes du droit et de la politique. Ils apprécient la décision de la Cour communautaire qui a tranché en faveur de l'ex-parti au pouvoir et ses alliés, sans oublier de donner les conséquences d'un tel verdict.

Abdoul Karim Sango, juriste, enseignant à l'ENAM : «La décision de la Cour est en phase avec l'esprit qui a prévalu à l'adoption de la disposition de l'article 135»

«La Cour de justice de la CEDEAO, dans sa décision, dit une chose qui est claire. Elle considère que les articles qu'on peut considérer «exclusionnistes» ne sont pas conformes aux traités que le Burkina Faso a ratifiés. Il s'agit de façon particulière, de la Déclaration universelle des droits de l'homme et du Pacte international relatif aux droits civiques et politiques. Il faut comprendre un peu la démarche de la Cour. Les droits politiques ou les droits d'éligibilité sont considérés comme étant des droits fondamentaux de l'être humain. En principe, ces droits ne doivent souffrir de restrictions qui ne sont pas nécessaires dans un système démocratique. C'est pourquoi, par exemple, les restrictions au droit d'éligibilité sont prononcées, le plus souvent, par le juge lui-même (...) Ce sont des droits tellement importants que, lorsque le juge les prononce, cela est limité dans le temps. La question est de savoir jusqu'à quel degré les articles du code électoral burkinabè d'avril 2015, privaient certains citoyens de leur droit d'éligibilité. Dans l'entendement de la cour, tel que la loi est formulée, en disant ''toute personne ayant soutenu un changement anticonstitutionnel'', elle a craint que finalement, on en fasse une application massive, donc aveugle. Cela voudrait dire qu'aux prochaines élections, on n'admette pas la candidature d'une seule personnalité de l'ex-majorité. Mais, la Cour reconnaît quand même que lorsque des individus opèrent des comportements anticonstitutionnels comme c'était le cas au Burkina Faso, le législateur peut restreindre leur droit d'éligibilité. Seulement, la Cour estime que les restrictions et sanctions ne devraient concerner que les dirigeants. Si l'on interprète, la Cour n'aurait pas vu d'un mauvais œil, que le code électoral ait dit que ''tous les dirigeants de l'ancien régime sont exclus''. Pour la Cour, il faudrait une application mesurée de la loi. Ce qui veut dire que le juge constitutionnel à qui appartient le dernier mot, en ce qui concerne les élections législatives et présidentielles, devrait, au cas par cas, examiner les dossiers. Quand on regarde la décision de la Cour, elle est en phase avec l'esprit qui a prévalu à l'adoption de la disposition dont l'article 135. Parce que le législateur ne pensait pas à une application généralisée, mais plutôt à une application sélective, donc au cas par cas. De ce point de vue, il me semble que la portée de la décision de la cour est un fait (...) Les conséquences sont qu'en pareille circonstance, l'Etat est interpellé. C'est à juste titre que le gouvernement a réagi, en disant qu'il prend acte. Ce que le gouvernement peut faire, c'est d'introduire un projet de loi modificatif du code électoral. Le CNT (Conseil national de la transition, Ndlr) va voir si par rapport, à son règlement intérieur, on est encore dans les délais requis pour procéder à la modification. A mon sens, c'est sans utilité, en réalité, puisque même si on modifie le code, la charte de l'Union africaine (UA) sur la démocratie et les élections demeure toujours. Et la même disposition se retrouve dans la charte. Donc, toute personne qui voudrait contester les candidatures des personnalités de l'ex-majorité, peut toujours invoquer l'article 25 de la charte de l'UA devant le Conseil constitutionnel. Sinon, si l'Etat ne se conforme pas à la décision, il n'y a pas de sanction particulière. Sauf que ce n'est pas ce qu'il faut souhaiter. Ce qui est recommandé dans un Etat de droit, c'est que les premières autorités respectent les décisions rendues par les juridictions supranationales et même nationales».

Me Bénéwendé Stanislas Sankara, juriste, président de l'UNIR/PS : «La décision de la CEDEAO a une valeur pédagogique»

« D'abord, une décision de justice est une décision de justice. Il faut de prime à bord, prendre acte, l'analyser et puis l'exécuter, si c'est une décision de justice qui n'a plus de voie de recours. En ce qui concerne la décision de la CEDEAO, elle a été rendue, en dernier ressort. C'est une décision supranationale, en ce sens que le Burkina Faso est partie prenante au Traité de la CEDEAO. De ce point de vue, nous sommes, en tant que partie-Etat, liés par les décisions de la Cour de justice de cette institution (...) La décision est tombée et le Burkina Faso a pris acte, à travers son gouvernement, les citoyens burkinabè que nous sommes, avec. Seulement, de mon point de vue, en tant que juriste et homme politique, je pense qu'il est toujours mieux d'aller vers les structures de règlement pacifique des litiges. En cela, me félicite de la saisie de cette Cour. Le spectacle désolant qu'on a voulu nous servir le 7 avril 2015, en voulant marcher sur le CNT, allait être une aberration (...) Je pense que ceux qui ont saisi la cour de la CEDEAO ont été bien inspirés et ont compris aujourd'hui, la portée de leur acte. Maintenant, la cour a ordonné à l'Etat du Burkina Faso de lever tous les obstacles à la modification du code électoral. Cette Cour a dit que l'article 135 a du nouveau violé le droit à la libre participation des citoyens aux élections, mais en lisant, on se rend compte que la Cour de justice de la CEDEAO ne nie pas l'esprit de la loi. Elle reconnaît à l'Etat du Burkina Faso, la possibilité d'apporter des cas d'éligibilité. Moi, j'ai compris que la Cour estime que le libellé de la loi était très flou, ambigu et laissait libre cours à des interprétations pouvant endiguer des citoyens burkinabè quant à leurs droits d'user d'éligibilité qui est un droit protégé, du point de vue constitutionnel et par les instruments internationaux. C'est dans ce sens qu'on demande à l'Etat du Burkina Faso de réajuster la loi, afin qu'elle soit conforme aux traités et au droit positif en vigueur. Lever ces obstacles, de mon point de vue, ne pose pas de problème. Je pense comme le Pr Soma, qu'on peut exploiter la voie de l'interprétation par le constitutionnel. Dans ce cas, l'on n'a pas besoin de repartir devant le CNT. Je pense aussi, que la décision de la CEDEAO a valeur pédagogique. En effet, elle permet de clarifier le jeu politique, d'aller vers des élections plus sécurisées, parce que dans la clarification des dispositions de l'article 135, l'Etat burkinabè va certainement mettre l'accent sur le cas de ceux qui, au regard de la Charte de l'Union africaine (UA), ne peuvent pas prendre part aux élections. Notre gouvernement prendra des dispositions plus claires et précises. Cela permettra au gouvernement d'être plus serein dans l'examen de la question. Il faut dire que le temps aussi presse. Bientôt, le gouvernement va convoquer le corps électoral. Je ne pense pas que cette décision va remettre en cause, le calendrier électoral ».

Luc Marius Ibriga, constitutionnaliste, contrôleur général d'Etat (interrogé sur la RTB Télé) : «On doit s'incliner devant la décision de la justice»

«Ce qu'il faut souligner, c'est que la Cour, quant au fond, ne remet pas en cause la démarche de l'Etat. Elle considère que c'est parce que la décision est ambiguë, c'est-à-dire que le libellé est ambigu, et qu'il s'agit d'une application massive. Elle prend le soin aussi, de dire que les éléments concernant les changements anticonstitutionnels peuvent être appliqués aux dirigeants. Cela veut dire que si le code avait été rédigé de façon plus précise, en prenant en compte que les seuls dirigeants, la Cour ne l'aurait pas annulé (...) Je pense que le code devrait être modifié pour prendre en compte l'arrêt de la Cour de justice de la CEDEAO(...) La cour a rendu sa décision, nous sommes dans un Etat de droit, on doit s'incliner devant la décision de la justice, dans la mesure où les décisions de la Cour de justice de la CEDEAO sont sans appel et il n'y a pas de pourvoi possible (...)La décision de la Cour vient résoudre un problème important. Dans la situation où nous sommes actuellement, l'application du code électoral aurait été un prétexte pour faire en sorte que les élections n'aient pas lieu. Aujourd'hui, il y a un argument de moins qui est enlevé à ceux qui voulaient perturber les élections et donc, il n'y aura plus de raison que nous n'allions pas aux élections dans la mesure où, par la décision de la Cour, les uns et les autres pourront se présenter ».

Avis recueillis par Alexandre TRAORE et Karim TAGNAN

Publicité Publicité

Commentaires

Publicité Publicité