Sitôt le Premier ministre, le Lt-cl Yacouba Isaac Zida, puisque vous l'aurez deviné, débarque et promet de congédier l'indésirable patron, et ne pas «priver la capitale économique de viande». Les conseils municipaux ? il les dissout sans ménagement. Le délit d'apparence ? Le chef du gouvernement fera voter une loi y relative. Ainsi fonctionnel, le PM, depuis qu'il a été nommé à ce poste le 18 novembre 2014. Atteint de bougisme, il est partout où il y a des problèmes et lorsqu'il arrive «en un temps deux mouvements», il décrète la solution, le plus souvent par une promesse, ou par un renvoi du patron contesté, sport d'ailleurs de plus en plus pratiqué depuis le cas Adama Sagnon. Depuis en fait, son irruption sur la scène, le 31 octobre 2014, à la place de la Révolution, Zida a fait apparaître ce côté «one man show», digne de celui qu'il tente de ressembler, même s'il se le professe pas : Thomas Sankara. Il y avait de quoi ce jour-là, pour ce militaire qui est monté sur l'estrade, micro à la bouche, s'est adressé à la marée humaine, laquelle masse avait contraint celui-là même dont il fut le sécurocrate pendant 18 ans à rendre le tablier, après... 27 ans de règne.
Rêvait-il, ce 31 octobre. Que nenni ! Et il y avait matière à griser un homme, fût-il n°2 du chef de corps du Régiment de sécurité présidentielle (RSP). Béatifié par la rue, Zida ne peut qu'écouter cette vox populi, et lui répondre pareillement, sous peine de ne pas être compris. Le voilà donc haranguant des foules, à la moindre occasion, prenant les décisions, séance tenante, et lançant des fatwas. S'étant moulé dans le costume de parangon du populisme et apôtre du changement, Zida plaît au petit peuple.
Cette posture fait rappeler une période, ou plus exactement, une icône. La pétaudière révolutionnaire des années 80 et Thomas Sankara. Oui, Zida joue au Sankara, en soft, car nul ne peut remplacer le père de la Révolution burkinabè, encore que tout homme est unique sur terre.
Opportuniste, le Lt-cl Zida ? Sans doute, mais s'il surfe sur cette vague, c'est qu'il n'ignore pas que la quasi-totalité des insurgés des 30 et 31 octobre font plus ou moins référence au défunt président du Faso. Beaucoup n'ont pas connu celui qui rebaptisa la Haute-Volta en Burkina Faso en 1984, mais se sont approprié ses idéaux.
Alors quand on affirme que Zida est un populiste, il y a du vrai, mais pourquoi continue-t-il à le faire, alors qu'il aurait pu y mettre un terme ?
A la vérité, il faut convenir qu'on sous-estime le militaire qui doit avoir une stratégie qu'il est en train de déployer. En tout cas, de plus en plus, les analystes ne manquent pas de souligner qu'il pourrait tenter de jouer à l'ATT burkinabè, sous couvert d'un Sankara light, ou plutôt en endossant la tunique d'un sankarien.
Sankarien, sémantiquement, est proche de sankariste, même s'il y a une petite nuance. La paternité de ce vocable revient à un des leaders du Balai citoyen, Sam's K. le Jah. Qu'est-ce qu'un sankarien ? L'artiste nous en donne sa conception. «Un sankarien est celui qui épouse les idées de Sankara, sans être un politicien... Un couturier qui fait la promotion du Faso Dan Fani est un sankarien, car il applique une idée de Sankara, une dolotière qui embouteille le dolo, et qui parvient à le vendre, est une sankarienne... C'est agir selon les idéaux de Tom Sank, sans tomber dans la politique politicienne».
Zida pourra-t-il être sankarien, tout en n'étant pas un politicien à la petite semaine ? A l'évidence, il fait des idées de cette idole, sa trame d'actions. En voulant jouer au sankarien, Zida va tenter de lutter contre les maux qui freinent le développement du Burkina (corruption, captation des ressources, déliquescence morale...), même s'il sait que le temps lui est compté.
Mais sa stratégie est de marquer positivement l'esprit de ces jeunes de 20 ans, ces trentenaires et quadra, qui verront en lui, le rédempteur de leur icône : Sankara.
A 49 ans, Zida pourrait, auréolé de ces qualités de militaire-démocrate et d'idéaux sankariens, revenir en 2020 ? En effet, pour bon nombre d'observateurs, Zida pourrait avoir été gagné par cette ambition : revenir par les urnes, pour s'installer à Kosyam, via l'onction de tous ces jeunes qui réclameront son retour, face à un bilan mitigé de ceux qui seront élus en 2015 ! Si rien ne permet d'affirmer avec certitude que ce schéma trotte dans la tête de Zida, et qu'il prévaudra en définitive, dans 5 ans, l'activisme sur le terrain du remplaçant de Luc Adolphe Tiao, n'interdit pas de penser à un investissement politique, à long terme. Légitime pour quelqu'un qui a vécu pendant plus de quinze ans dans les arcanes du pouvoir, et qui, un midi se retrouve président, de par le fait d'un peuple révolté.
Attention, cependant, cette posture pourrait s'avérer mortifère politiquement, si Zida reste postré dans les annonces suripeuses, douces à l'oreille, mais irréalistes ou irréalisables, voire démagogiques.
Sankara faisait ce qu'il disait, vivait la présidence comme un sacerdoce. Il n'était ni un saint, ni un dieu, mais croyait tout simplement, qu'un dirigeant qui agit avec le peuple («pas un pas, sans le peuple»), ne peut que faire des progrès.
En outre, si tant est qu'il pense avoir un destin national en 2020 ou 2025, Zida devrait nouer des atomes crochus avec les sankaristes, notamment Me Sankara, et...Mariam Sankara, dont le probable retour au Burkina va doper la cote des ouailles de l'ex-patron du CNR.
Les millions de Sankariens voueront-ils une admiration à Zida, pendant des années, y compris après la transition ? Tout dépend de l'intéressé, et des aléas du microcosme burkinabè et de ses actes à lui. Pour le moment, Zida, le sankarien, est sur un nuage. Mais qu'il sache que le peuple est comme la queue d'un oiseau, il prend la direction du vent.
Zowenmanogo ZOUNGRANA