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Burkina Faso : le double jeu du colonel Zida

| 28.11.2014
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Burkina Faso : le double jeu du colonel Zida
© DR / Autre Presse
Burkina Faso : le double jeu du colonel Zida
Il a quitté la place de président de transition pour revenir comme Premier ministre de Michel Kafando, conservant ainsi les rênes du pouvoir.

 

Chassez les militaires par la grande porte, ils reviennent par la petite. C'est l'histoire qui vient d'arriver au Burkina Faso, à la grande déception d'une partie de la société civile et des pays africains voisins, qui ne sont pas loin de penser qu'ils se sont fait berner.

Il aurait probablement fallu écouter plus attentivement le lieutenant-colonel Yacouba Isaac Zida, 49 ans, lorsqu'il s'est installé au pouvoir en prenant de vitesse ses concurrents, au lendemain du départ de Blaise Compaoré, fin octobre. Il assurait alors qu'il ne serait qu'un président de transition, mais, au début du moins, sans préciser la durée de celle-ci.

Puis, feignant de céder sous la pression de l'Union africaine, de la société civile burkinabée, de Paris et de Washington, qui lui enjoignaient de reprendre le chemin de la caserne dans les deux semaines et de laisser le pouvoir aux civils sous peine de sanctions contre son pays, l'ambitieux lieutenant-colonel s'inclinait. Un collège de vingt-trois membres, militaires et civils, représentant les différents secteurs de la société, désignait Michel Kafando, 72 ans, ancien ministre des Affaires étrangères, pour prendre la présidence de la transition.

Élections "sous contrôle"

Le colonel Isaac Zida n'avait pas cédé pour autant. Il a fait pression pour obtenir le poste de Premier ministre d'un nouveau président obligé de s'incliner. L'armée ne tient-elle pas le pouvoir dans le pays depuis 1966 ? Depuis, les Burkinabés sont perplexes : Kafando, l'ancien diplomate, va-t-il faire le poids face au remuant colonel ? Qui va véritablement diriger le pays ? Ce n'est peut-être pas un hasard si, sur les photos, depuis leurs nominations respectives, le président de la transition semble toujours marcher trois pas en arrière de son Premier ministre.

Depuis le départ, le lieutenant-colonel Isaac Zida agit en sous-main, avec habileté, pour garder (lui ou l'armée) les rênes du pouvoir. Lors de la discussion sur la charte de la transition, début novembre, il a pesé pour que l'intérim soit assuré par le Premier ministre, et non le président de l'Assemblée nationale, si le président de la transition était empêché.

Puis, nommé Premier ministre, il a entamé des tractations longues et difficiles avec le président Kafanda pour désigner le nouveau gouvernement. Quatre portefeuilles sur vingt-cinq, "seulement", reviennent aux militaires. Mais ils sont de poids. Et suffisent pour que l'armée - ou une partie de l'armée - tienne les rênes du pays. Le nouveau Premier ministre s'est attribué le ministère de la Défense, et a placé un de ses plus proches collaborateurs, le colonel Auguste Denise Barry, à l'Intérieur (ministre de l'Administration territoriale et de la sécurité). En clair, les élections législatives et présidentielles prévues en novembre 2015, à la fin de la période de transition, seront "sous contrôle", même s'il est prévu que les responsables actuels ne puissent pas s'y présenter. Les ministères des Mines (l'or est la principale richesse du pays) et des Sports ont aussi deux titulaires issus de l'armée.

Dérive affairiste

Que veut faire le lieutenant-colonel Isaac Zida de son nouveau pouvoir ? Il a certes promis d'asseoir les "bases inébranlables d'une démocratie", mais aussi, en substance, de "nettoyer les écuries d'Augias", dans un pays qui a connu une incontestable dérive affairiste ces dernières années. Il a déjà fait des exemples alors qu'il n'était encore qu'un militaire putschiste au pouvoir. Une coupure de courant à Ouagadougou lors de la cérémonie de signature de la nouvelle Charte de la transition se soldait par le limogeage du directeur de la Société nationale d'électricité qui, depuis, dort en prison. Son homologue patron des hydrocarbures a aussi été licencié. Tous deux étaient réputés proches deBlaise Compaoré.

Militaire justicier, Isaac Zida voudrait-il chausser les bottes de Thomas Sankara, le chef d'État révolutionnaire resté le héros de beaucoup de Burkinabés, en particulier les jeunes ? Sankara a été assassiné en 1987 lors du coup d'État de Blaise Compaoré, son compagnon d'armes et son numéro deux. Son flirt avec le colonel Kadhafi commençait à inquiéter dans la région. Trente ans plus tard, Isaac Zida, volontiers populiste, a pris des accents sankaristes en s'installant au pouvoir. Levant le poing pendant ses interventions publiques comme sous Sankara, il a dit parler depuis la "place de la Révolution", nom donné, il y a trente ans, à la place de la Nation par Sankara, et qui a été abandonné depuis.

S'il semble fin politique, le nouveau Premier ministre n'aura peut-être pas la tâche facile. Il reste sous le contrôle de la société civile et des jeunes qui ne sont guère ravis de voir un militaire reprendre le pouvoir, même s'il adopte le costume civil comme lors de son premier conseil des ministres, le 24 novembre. Deux jours plus tard, les manifestants obligeaient le nouveau ministre de la Culture, Adama Sagnon, à démissionner. Ils lui reprochaient d'avoir été le procureur dans l'affaire Zongo, du nom d'un célèbre journaliste assassiné. Sagnon aurait couvert les commanditaires du crime, proches du frère de l'ancien président, ce dont il se défend. Pour le colonel Zida et l'armée, qui ne veulent pas lâcher le pouvoir, la transition risque peut-être de réserver des surprises.

 

Avec LePoint.fr

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