Burkina Faso : La nécessaire réécriture de la Constitution

| 05.11.2014
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Burkina Faso : La nécessaire réécriture de la Constitution
© DR / Autre Presse
Burkina Faso : La nécessaire réécriture de la Constitution
En 1987, Blaise Compaoré avait justifié son avènement au pouvoir par son souci de mettre un terme aux dérives autocratiques du chef de la révolution d'août et de travailler à la restauration des libertés individuelles et collectives.

Dans cet esprit et dans le sillage du discours de la Baule du 20 juin 1990, appelant à des régimes démocratiques en Afrique, le Burkina Faso avait mis en place en 1991, une Constitution dont la vocation première était d'arrimer le pays à la démocratie. Mais Blaise Compaoré, dans les faits, avait travaillé, avec méthode et ruse, au fil des années, à vider la Constitution de son esprit pour n'en garder que la lettre. En effet, après avoir d'abord fait sauter la clause limitative des mandats présidentiels, il a été obligé de la rétablir pour sauver son pouvoir sérieusement ébranlé, consécutivement à la grave crise sociopolitique que le pays a connue suite à l'assassinat horrible du journaliste Norbert Zongo. C'était donc à son corps défendant qu'il avait concédé la limitation des mandats présidentiels. Sa dernière tentative de faire sauter de nouveau l'article 37 lui a été fatale. Mais si Blaise Compaoré s'est rendu coupable de tripatouillages répétés de la loi fondamentale pour s'éterniser au pouvoir, la faute pourrait en incomber aux rédacteurs de la Constitution. En effet, ces derniers semblent avoir écrit certaines clauses de la Constitution sous la dictée du prince régnant. L'article 37 par exemple, porte le sceau de ce péché originel. Blaise Compaoré l'a exploité à fond, en se basant sur la légalité pour le réviser. Juridiquement, rien ne l'en empêchait. Les seuls arguments qu'on pouvait brandir pour l'en dissuader, étaient ceux de la légitimité et de l'éthique. Mais la politique telle qu'on la conçoit sous nos tropiques, n'en a cure. N'eût été la détermination du peuple burkinabè, Blaise Compaoré serait encore président en 2015, en 2020, en 2025... parce que, simplement, il n'aura eu aucun scrupule à utiliser la lettre de la Constitution pour en assassiner l'esprit. C'est pourquoi aujourd'hui, la nécessité de réécrire la Constitution dans le sens d'en faire un instrument sacré de promotion de la démocratie, la vraie, se pose. Quelles pourraient être les idées-forces d'une telle réécriture ?

La pratique démocratique dans notre pays comporte beaucoup d'insuffisances

D'abord, dans le souci de ne plus jamais permettre à l'institution présidentielle d'écraser les autres institutions de la République, il serait intéressant d'envisager un autre type de régime, le régime parlementaire par exemple. En effet, les Etats africains, notamment ceux anciennement colonisés par la France, ont tous expérimenté le régime présidentialiste. Le résultat en termes d'ancrage de la démocratie n'est pas reluisant. Bien au contraire, ce type de régime a enfanté des « hommes forts » pour ne pas dire des monstres. Les autres institutions dans ce type de régime en Afrique, sont en réalité des gadgets avec lesquels les princes régnants jouent. Il faut en finir avec cette conception bonapartiste du pouvoir au Burkina Faso. Cela est d'autant plus justifié que nous sommes dans un contexte culturel où le rapport au pouvoir et les représentations sociales en sont arrivées à percevoir le président comme un démiurge, un demi-dieu. Nos présidents, surtout ceux qui sont avides de pouvoir, ont habilement surfé sur cette réalité pour régenter le pays comme un royaume. La réécriture de la Constitution à laquelle nous appelons, doit s'inscrire dans un autre paradigme.

La deuxième idée force qui doit être prise en compte dans cette réécriture, est l'équilibre des trois pouvoirs, tel que théorisé par Montesquieu en 1748. En effet, ce dernier, dans son ouvrage intitulé « De l'esprit des lois », a voulu faire passer l'idée selon laquelle l'équilibre des pouvoirs est non seulement protecteur des libertés, mais aussi source de la modération politique. Il faut, dit-il, pour empêcher les dérives autocratiques, que : « par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ». Si nous évaluons la pratique démocratique dans notre pays à l'aune des idées de Montesquieu, nous nous rendons vite compte qu'elle comporte beaucoup d'insuffisances. En effet, le pouvoir judiciaire est outrageusement à la botte du pouvoir exécutif. Dans la réécriture que nous préconisons, il faut mettre fin à la nomination des juges par le président de la République, si l'on veut aller vers une justice véritablement indépendante et par conséquent une démocratie digne de ce nom. Le pouvoir législatif est logé à la même enseigne que le pouvoir judiciaire. De ce fait, l'Assemblée nationale qui devrait être un des hauts lieux de la démocratie, est en réalité une véritable chambre d'enregistrement, prête à poignarder la démocratie dans le dos, pour plaire au prince régnant. La forfaiture du 30 octobre dernier que les députés de la majorité se préparaient à entériner l'illustre parfaitement.

La troisième idée-force de cette nécessaire réécriture de la Constitution consisterait à fixer en des termes univoques, les conditions dans lesquelles l'on peut procéder à la modification de la Constitution. Ces conditions doivent proscrire toutes les révisions taillées sur mesure. Et pour empêcher que l'article 37 soit malmené, il faut le sacraliser purement et simplement et donner au Conseil constitutionnel les prérogatives de sévir contre tout président en exercice qui aurait la fâcheuse idée de vouloir le désacraliser.

Enfin, la dernière idée force pourrait se rapporter à la problématique de la place de la Chefferie traditionnelle en politique. Il faut nécessairement légiférer sur la question, de manière à mettre l'institution dont l'importance pour la paix sociale est reconnue, à l'abri de toute instrumentalisation politique. Pour ce faire, dans la nouvelle Constitution, il faut réserver à ses représentants, un statut qui préserve leur dignité. Cela dit, le Burkina revient de loin. Son peuple a dû verser son sang pour se débarrasser d'un système qui s'apparentait à une monarchie. Pour que ce sacrifice ne soit pas inutile, il faut maintenant s'attaquer à la sève dont s'est nourri le système Compaoré pendant 27 ans. Un des éléments majeurs constitutifs de cette sève est de toute évidence notre Constitution. Sa réécriture s'impose absolument.

Pousdem PICKOU

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