Burkina Faso: l’émergence promise se fait toujours attendre

| 08.07.2014
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Burkina Faso: l’émergence promise se fait toujours attendre
© DR / Autre Presse
Burkina Faso: l’émergence promise se fait toujours attendre
Emergence. Voici un mot qui revient, de façon récurrente, dans les discours et déclarations des hommes politiques au Burkina Faso. Ceux-ci ne cessent d'en parler à longueur de journée dans les colloques, séminaires, conférences, points de presse, ateliers et meetings.

Du reste, le président du Faso, Blaise Compaoré, a baptisé son programme de société quinquennal (2010-2015): «Bâtir ensemble un Burkina émergent». De même, la chevauchée fantastique (vice-champion d'Afrique) des Etalons footballeurs à la Coupe d'Afrique des Nations (CAN) 2013 en Afrique du Sud avait été interprétée par les acteurs «politico-sportifs» comme s'inscrivant dans une dynamique d'émergence. Décidément, l'émergence est devenue un terme que les uns et les autres emploient à leur guise. Mais émergence là oh, c'est quoi-même? est-on tenté de s'exclamer, au vu de l'usage abusif qu'en font les «politiciens».

De nombreux dictionnaires et non des moindres (les encyclopédies) définissent l'émergence comme une évolution positive et significative d'une situation A vers une situation B, voire C jusqu'à Z. Emerger, «c'est sortir la tête de l'eau». Dans le contexte du développement, il s'agit de passer d'un stade de sous-développement à un niveau de développement beaucoup plus intéressant.

Qu'en est-il de cette situation au Burkina Faso? Le Pays des Hommes intègres peut-il se targuer d'être émergent comme le chantent de façon démagogique les discours entonnés par les «politicards»? On ne saurait hésiter à répondre à ces interrogations par la négative, tant les faits parlent d'eux-mêmes.

D'abord, le pays a occupé depuis plusieurs années le rang des derniers pays du monde en ce qui concerne le vrai développement, celui humain durable, si l'on se réfère aux chiffres publiés par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). Le Burkina Faso se dispute toujours la queue avec des pays victimes de la guerre dans ce classement du PNUB qui tient compte du niveau de vie et du bien-être des populations.

Cette situation déplorable a été favorisée par la corruption, l'impunité, l'injustice, la mauvaise gouvernance, etc. Elle n'est pas le fait, loin sans faut, des Burkinabè intègres qui se battent au jour le jour pour gagner leur pitance.

Ensuite, on a l'impression qu'au Burkina Faso, le processus du développement évolue dans le sens contraire. C'est comme si l'on assistait à un développement du sous-développement. D'un côté, il y a des familles, des clans, des militants de partis politiques qui profitent seuls des fruits du développement. Les richesses et avantages du pays sont concentrés exclusivement dans les mains de cette catégorie de personnes qui s'enrichissement sans cesse. De l'autre côté, une frange importante et très nombreuse de la population croupit dans la misère massive, la pauvreté, la paupérisation. Difficile pour cette catégorie de Burkinabè de relever le défi de l'obtention des 3 repas par jour. On ne saurait alors parler d'émergence pour cette frange majoritaire qui vivote et tire le diable par la queue car confrontée sans cesse à des problèmes de survie.

On avait assisté, depuis quelques années, voire quelques mois, à des mouvements de sit-in, de grèves, de marches de protestation tous azimuts pour revendiquer l'amélioration des conditions de vie des populations. Elèves, étudiants, commerçants, syndicats de toutes les couches sociales ont battu le pavé dans de nombreuses villes du pays pour faire des revendications légitimes. Il en est de même des hommes de tenue qui ont fait péter les armes pour les mêmes raisons. Il faut le reconnaitre, il y a un écart criard entre le niveau actuel de vie de la majorité des Burkinabè et une minorité aux affaires.

Somme toute, les discours sur l'émergence du pays à percer les tympans ne relèvent que de la démagogie. D'une part, on refuse obstinément de résoudre les problèmes des Burkinabè sous prétexte que le pays est pauvre. En revanche, on ne cesse de prôner l'émergence lors des meetings et des rencontres de haut niveau avec de faux chiffres à l'appui pour montrer que tout va bien au Burkina Faso. L'émergence n'est pas un vain mot, elle doit se traduire en acte concret. Peut-on parler d'émerger quand des écoliers, dans de nombreuses localités, sont dans des écoles sous paillotte? De même, où est l'émergence dans un contexte où l'accès aux centres de santé est devenu un casse-tête chinois? Même pour faire l'autopsie suite à un mort tragique, l'on est obligé de faire venir un médecin légiste depuis l'Hexagone, faute de matériel adéquat.

A l'heure qu'il est, la majorité de Burkinabè ne peut affirmer profiter d'une quelconque émergence. Les signes de cette émergence promise dans le programme quinquennal tardent à se faire voir. Certes, il y a un camp, un clan qui ressent cette émergence dans leur vie. Et pour cause, toutes les richesses minières, énergiques, commerciales, bref économiques et politiques sont concentrées entre leurs mains de ce clan. Il va de soi que ceux-ci parlent d'émergence, car telle est effectivement la réalité de leurs conditions de vie.

Ce qui contraste très fortement avec la souffrance et la misère de plusieurs millions de Burkinabè pauvres qui ne peuvent avoir accès à la santé, à l'éducation, à la formation, à l'hygiène et à l'eau potable, à un logement décent. Il faut donc arrêter de divertir les gens avec ce concept d'émergence que l'on a copié dans certains pays voisins pour en faire des slogans de campagne. L'émergence n'est pas un discours, elle ne se décrète pas par des déclarations creuses, des bavardages inutiles, elle ne tombera pas non plus du ciel. Pour que le pays accède à l'émergence, il faut être plus sérieux en s'engageant dans des actes concrets pouvant avoir un impact tangible sur le quotidien des populations. Ce qui n'est pas encore le cas. En un mot comme en mille, l'émergence promise par le président se fait toujours attendre.

D'ailleurs, les Burkinabé avertis ont trop attendu si bien qu'ils n'en croient plus. Ce pessimisme est fondé d'autant plus que les programmes quinquennaux précédents, à savoir «le large rassemblement», «la société d'espérance» n'ont pas apporté l'impact escompté. Les Burkinabè dans leur majorité virevoltent dans un pays «immergent» pour emprunter au Docteur Emile Pargui Paré.

Les Echos.net

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