Burkina Faso : l’Armée va-t-elle confisquer les élections d’octobre prochain ?

| 01.03.2015
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Le Régiment de sécurité présidentielle tient à rassurer toute la population qu’il n’est pas en marge de la transition voulue par le peuple burkinabè. Il est engagé pour une issue heureuse du processus et du calendrier de la transition qui permettrait de mettre en place un pouvoir légitime issu des élections démocratiques.
© DR / Autre Presse
Le Régiment de sécurité présidentielle tient à rassurer toute la population qu’il n’est pas en marge de la transition voulue par le peuple burkinabè. Il est engagé pour une issue heureuse du processus et du calendrier de la transition qui permettrait de mettre en place un pouvoir légitime issu des élections démocratiques.
Au commencement, un colonel travaillant à l'étranger se déclara candidat aux élections présidentielles d'octobre 2015. Puis, un général lui emboîta le pas. Par la suite, un autre colonel sortit du bois, dans le même sens. Ultérieurement, un caporal avoua lui aussi ses ambitions nationales. Enfin, la formation politique chassée du pouvoir par l'Insurrection populaire d'octobre 2014 menace, semble-t-il, de présenter la candidature d'un autre général audit scrutin. Cette inflation de candidatures militaires serait-elle un message aux civils ? L'armée, ayant goûté aux doux délices du pouvoir, de 1966 à 2014, voudrait-elle s'y éterniser ?


En octobre prochain, à l'heure des élections présidentielles et législatives, les Burkinabè seront divisés en deux camps : les partisans de l'armée au pouvoir, d'un côté, et les partisans d'un régime civil, de l'autre. Avec, déjà, cinq candidats déclarés, les militaires tiennent à jouer un rôle déterminant lors de cette échéance politique. Même si chacun d'eux ne récoltait que 5% des voix, cela ferait d'eux des leaders à courtiser, en cas de second tour. Les femmes et hommes politiques civils sont prévenus : une fois de plus, le pouvoir suprême risque de leur échapper ! Cette farouche volonté de rester aux commandes s'était manifestée, dès le lendemain de l'Insurrection, peut-être, avec l'aval de certains partis réunis autour de l'ex-Chef de file de l'opposition politique (CFOP). Ils ont cru qu'avec la chute de l'ancien régime, l'armée allait juste diriger la Transition, organiser les élections, puis quitter l'arène politique.

Le « mouvement d'humeur » du Régiment de sécurité présidentielle, les 30 décembre 2014 et 04 février dernier, aura eu le mérite d'ouvrir leurs yeux sur deux faits : non seulement, les élections pouvaient être perturbées par des faits militaires, mais encore, l'armée pouvait se maintenir au pouvoir, même à l'issue du scrutin, en faisant élire un officier. Est-ce cette prise de conscience qui a poussé l'ex-CFOP, élargie à d'autres partis politiques, à créer, un Cadre de concertation des partis politiques (CCPP), officiellement destiné à « veiller à la bonne marche de la transition ». A demi-mots, certains responsables des partis politiques membres évoquent « la possibilité d'alliances, en cas de second tour ». Encore faudrait-il qu'il y ait un second tour avec maintien d'un candidat civil...
Dans les faits, la désignation d'une candidature unique du CCPP, dans le but de barrer la route de la présidence du Faso aux militaires, pourrait s'imposer. Ce serait une évolution notoire des femmes et des hommes politiques de ce pays. L'exercice ne serait pas facile, tant les égos des uns et des autres paraissent surdimensionnés, et, les ambitions, aiguisées à leur paroxysme.

Un précédent fâcheux en 1978

En 1978, le grand parti d'alors, le Rassemblement démocratique africain (RDA), était déchiré par les rivalités personnelles entre deux de ses principaux dirigeants, Gérard Kango Ouédraogo et Joseph Ouédraogo dit Jo Weder, au sujet de la désignation d'un candidat en vue des présidentielles. Incapable de s'entendre sur le nom d'un des siens, le RDA présenta... le général Sangoulé Lamizana, à la satisfaction du premier. En réaction, Jo Weder créa le Front du refus RDA , et se présenta aux élections, dénonçant, au passage, cette « absence de discipline organique ». Ce n'était pas fini. Le 14 mai 1978, le général Sangoulé Lamizana fut mis en ballotage par le banquier Macaire Ouédraogo , le candidat de l'UNDD, Union nationale pour la défense de la démocratie, à l'époque. Une première en Afrique que de voir un président en exercice dans cette position inconfortable. Arrivé quatrième, à l'issue du premier tour, derrière les deux finalistes et JO Weder, le professeur Joseph Ki-Zerbo, candidat de l'Union progressiste voltaïque (UPV), refusa d'appeler à voter le civil Macaire Ouédraogo. Il invoqua deux raisons à sa prise de position : il n'était pas propriétaire de ses voix, et aucun accord ni politique ni de désistement n'avait été signé entre l'UNDD et le l'UPV. L'opinion voltaïque se divisa, une première fois, entre partisans d'un civil et ceux d'un militaire.

Jo Weder fut constant, dans son opposition à une candidature militaire. Pendant la campagne du second tour, il soutint Macaire Ouédraogo. L'une des images les plus poignantes de son action fut le tour du grand marché de Ouagadougou qu'il accomplit, levant le bras de son poulain, ralliant le petit peuple dynamique de cette place. Sa réputation de frondeur, Kiisda en mooré, naquit de cette persistance dans le refus. Grâce, en partie, à Jo Weder et à une certaine opinion antimilitariste ayant pris de l'ampleur à l'issue du premier tour, Macaire combla, quelque peu, son retard vis-à-vis de son grand rival. Mais, le 28 mai 1978, le général Lamizana remportait les élections avec 55,48 % des voix contre 43,02 % à Macaire. D'aucuns accusèrent les intellectuels d'avoir préféré un militaire à la tête de l'Etat, plutôt que supporter d'y voir un des leurs.

Au fur et à mesure du déroulement de la Transition, et que nous nous rapprocherons du scrutin d'octobre 2015, le Cadre de concertation des partis politiques risque de se retrouver dans la même situation que le RDA en avril 1978. Une alternative : ou ses vingt-six (26) membres présentent une candidature unique et gagnent, ou, déchirés, ils dispersent leurs voix et le scrutin pourrait échapper à un civil, dès le premier tour ou à l'issue du second. En effet, compte tenu du paysage politique de la Transition, difficile d'imaginer un civil gagner, au second tour, contre un officier. Tous les gros moyens seraient mis en branle, et il ne manquerait point d'intellectuels civils déçus ou en colère pour rallier une cause en train de triompher, comme nous l'avons vu, dans ce pays, sous l'ancien régime.

Un certain courant politique, qui traverse aussi bien les partisans de l'ancien régime que l'Opposition, a une dévotion spéciale pour les militaires. A preuve, les appels à « Lougué au pouvoir ! », entendus pendant l'Insurrection populaire, et le fait qu'une fraction de la société civile se soit rangée derrière l'actuel Premier ministre de Transition, lieutenant-colonel de son état. Au regard de l'expérience historique de notre pays, des esprits pensent indispensable le maintien d'un militaire à la tête de l'Etat. Notre pays, cette « démocratie militaire », ainsi que l'avait caractérisé Jean-Pierre Cot, ministre de la Coopération sous l'ancien président français François Mitterrand, ne se sentirait sécurisé qu'à l'ombre d'un képi d'officier ! En réalité, nous pouvons rappeler deux choses, fondamentales : en République, le militaire obéit au civil, et, en démocratie, même les affaires militaires doivent être contrôlées par le parlement. Le fameux secret Défense n'est guère opposable à cette supervision civile. A cet égard, les nostalgiques de l'ancien nom du pays ont raison, car il était précisé « République de Haute-Volta ». Maintenant que nous vivons au Burkina Faso...

André Marie POUYA
Journaliste & Consultant

Son Excellence Frédéric Guirma s'est présenté aux présidentielles de 1998, sous la bannière de ce parti qu'il avait réactivé.
Macaire Ouédraogo, fils du président du Conseil général de Haute-Volta, Guillaume Ouédraogo, dirigeait, alors, la Banque nationale de développement (BND). En campagne électorale, le président Lamizana le limogea, le qualifia de « jeune prétentieux », et le remplaça par un autre banquier, Patrice Ouattara.

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