Burkina Faso : L’alternance piégée

| 27.10.2014
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Burkina Faso : L’alternance piégée
© DR / Autre Presse
Burkina Faso : L’alternance piégée
L'information est désormais officielle. Le 25 octobre dernier, le secrétariat exécutif et le bureau politique de l'ADF/RDA ont donné quitus aux députés membres du groupe parlementaire dudit parti, de voter pour la révision de l'article 37 de la Constitution portant sur la limitation des mandats présidentiels. Pour le premier responsable de cette formation politique, Me Gilbert Ouédraogo, ce choix est celui de la paix et de la stabilité du Burkina. Mathématiquement, l'affaire est donc pliée. Les 18 députés de l'ADF/RDA se joindront le 30 octobre prochain, aux 81 autres de la mouvance présidentielle pour faire entériner par l'Assemblée nationale, la révision de l'article 37 de la loi fondamentale. Par ailleurs, l'ADF/RDA dit être parvenue à un compromis avec ses partenaires de la mouvance présidentielle sur une nouvelle mouture de la Constitution, consacrant la limitation des mandats à trois consécutifs.

Le choix de la troisième force politique du Burkina Faso pourrait susciter les observations suivantes. D'abord, l'on peut dire qu'il a le mérite d'être clair. Cela doit être relevé d'autant plus que, pour une fois, le parti de l'Eléphant semble avoir rompu avec le jeu du clair-obscur qui était en passe de devenir un des éléments constitutifs de son label politique. De ce point de vue, Me Gilbert Ouédraogo n'a pas bradé l'héritage politique de Me Hermann Yaméogo. Le premier ne doit pas craindre d'essayer la camisole du second. Elle lui conviendrait parfaitement. Ensuite, l'on peut avoir envie de demander à Me Gilbert Ouédraogo s'il croit véritablement à ce fameux compromis de trois mandats consécutifs. En effet, si Blaise Compaoré ne s'est pas gêné de remettre en cause le pacte politique national, entendez par là, la Constitution, qui a été établie par les Burkinabè dans leur écrasante majorité en 1991, ce n'est pas un compromis qui a été arraché au détour de tractations politiques entre quelques acteurs politiques sur le dos du peuple burkinabè, qui le lierait. Ce fameux compromis qui compromet de toute évidence l'alternance, sera purement et simplement froissé, au cas où il serait écrit, et jeté tel un kleenex, une fois la tempête passée. La troisième observation que l'on pourrait faire à l'ADF/RDA est la suivante : ce parti prétend avoir fait le choix de la paix et de la stabilité. En est-il si sûr ? Et si demain, les choses venaient à évoluer dangereusement au point de mettre à rude épreuve la paix et la stabilité du Burkina, l'ADF/RDA serait-elle prête à assumer toute la responsabilité des conséquences qui pourraient en découler ? En réalité, l'ADF/RDA vient de poser un acte attentatoire à l'alternance. Elle a beau s'en défendre, c'est cela la vérité.

Ce n'est pas demain la veille que les Burkinabè connaîtront une alternance démocratique

En effet, de 1960 à 1987, le Burkina a connu 5 présidents pendant 27 ans. De 1987 à nos jours, Blaise Compaoré a passé 27 saisons à lui seul au pouvoir. Et ce n'est pas fini, puisqu'il n'en est pas encore rassasié. Il rebelotera en 2015 grâce à l'onction de l'ADF/RDA. Jusqu'à quand se décidera-t-il à arrêter ? Seul Blaise Compaoré peut répondre à cette question. Dans une démocratie digne de ce nom, il n'appartient pas à un individu de trancher une telle question. Franchement, le Burkina Faso offre actuellement au monde l'image d'une démocratie véritablement bananière. L'emballage institutionnel est reluisant. On veut même le parfaire en mettant en place un Sénat. Mais derrière cette façade démocratique se cache un système qui pourrait s'apparenter à celui du roi-soleil, Louis XIV, en France. A la question de savoir ce qu'est l'Etat, celui-ci n'avait pas craint de dire : « l'Etat, c'est moi ». De la même manière, et toute proportion gardée, il n'y a personne au Burkina, sauf Blaise Compaoré. Une république ne peut pas fonctionner avec ce postulat. Seules les monarchies fonctionnent de cette manière. L'ADF/RDA semble ne pas être de cet avis, puisqu'elle prétend être pour l'alternance. Mieux, elle pourrait même présenter un candidat en 2015. Justement, dans les républiques bananières, ce ne sont pas les candidats qui manquent lors des scrutins présidentiels. Le plus souvent, leur nombre est pléthorique. Certains sont suscités par le pouvoir. Les autres comptent pour quantité négociable. Tous s'en sortent avec des scores qui n'honorent pas la démocratie. Me Gilbert Ouédraogo pourrait vivre cette réalité en 2015 si d'aventure il venait à se porter candidat. C'est peut-être pour cette raison qu'il a toujours fait le choix facile mais pragmatique d'accompagner Blaise Compaoré pour que celui-ci reste éternellement au pouvoir. Avec en contrepartie quelques macarons ministériels ou Premier ministériels.

Autre observation : par son ralliement au parti au pouvoir, le CDP, l'ADF-RDA veut manifestement éviter le recours au référendum, « au nom de la paix et de la stabilité ». Le sort du Burkina Faso devrait donc être scellé à l'hémicycle et tant pis pour le peuple burkinabè dont la soif d'alternance est de plus en plus manifeste. Tous les Burkinabè qui ont 35 ans aujourd'hui, et ce sont les plus nombreux, n'ont pas connu d'autres présidents que Blaise Compaoré. L'ADF-RDA pense-t-elle véritablement avoir rendu service au peuple burkinabè ?

Et puis, comme cela se susurre, il n'est pas exclu que des mallettes d' argent aient circulé pour rallier des camps politiques au CDP. Si telle était le cas, nos élites politiques seraient-elles encore bien placées pour emboucher la trompette de la croisade contre la corruption ? Quel bel exemple peuvent-elles encore donner ?

Le moins que l'on puisse dire, est que l'alternance est piégée au Burkina. Ce n'est pas demain la veille que les Burkinabè connaîtront une alternance véritablement démocratique dans leur pays. Les plus jeunes d'entre eux qui n'ont connu que Blaise Compaoré, attendront encore pendant longtemps. Cela dit, Blaise Compaoré est assuré aujourd'hui de se présenter en 2015. Ce qu'il faut craindre désormais, c'est la suite après 2015.

Pousdem PICKOU

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