Tout a commencé mercredi en fin de journée quand la population burkinabé a appris que son président, Michel Kafando ainsi que le premier ministre Isaac Zida étaient retenus au palais de Kosyam. Très vite, la population s’est organisée et a marché sur le palais pour réclamer la libération du président de la transition et des membres de son gouvernement.
Contre toute attente, et malgré toute l’énergie mise en place par le peuple, le président et ses collègues ont passés la nuit au palais sans qu’aucune libération n’ait été opérée.
Tôt ce jeudi sur la chaîne de Télévision nationale RTB, un homme en uniforme de la RSP que certains identifieraient comme Aziz Korogo est apparu pour lire la proclamation du Conseil National de la Démocratie qui mettait clairement fin à la transition et entraine par la même occasion la dissolution de tous les organes de la transition.
La situation a ensuite rapidement évolué, faisant place à l’auto proclamation de Gilbert Diendéré (ancien chef d’état-major particulier de Blaise Compaoré) comme étant le nouvel homme fort du Burkina Faso. Situation que le peuple refuse d’admettre. A quelques semaines de la présidentielle du 11 octobre la situation est désormais tendue au Burkina Faso où la société civile affirme ne pas avoir dit son dernier mot.
Tous les yeux sont actuellement rivés vers la gendarmerie
A l’heure actuelle, toutes les forces vives burkinabé ont répondu massivement à l’appel du mouvement citoyen "le Balais Citoyen" (entre autre "responsable" de la chute de Blaise Compaoré le 31 octobre 2014) qui appelle à une mobilisation massive et exhorte l’armée régulière a joué son rôle principale, celui du maintien de l’ordre et des valeurs de la République. "Nous ne reconnaissons pas le pouvoir en place, pour nous ce sont des putchistes. Chérif Sy reste pour nous le président du Conseil National de la transition. Il est donc le seul à pouvoir donner des directives dans ce pays actuellement. La population le reconnait comme l’actuel président", souligne Touwendada Zongo, directeur de publication du bimensuel Mutations et membre fondateur du Balai Citoyen, avant de poursuivre: "Nous n’avons pas loupé le coche, nous étions engagé dans un processus qui n’est pas achevé. Les élections doivent se tenir le 11 octobre prochain et cela signait l’arrêt de la transition. Nous ne comprenons pas pourquoi il y a eu irruption des "forces du mal" pour stopper la marche radieuse de cette transition. Aujourd’hui nous appelons l’ensemble de la population à dire non aux putchistes. Nous avons lancé un appel au peuple pour converger vers la gendarmerie. Des conversations que j’ai pu avoir avec des hauts gradés de l’armée indiquent que ces putchistes sont des éléments incontrôlés de l’unité chargée à l’époque de la garde du président Compaoré. Toute l’armée régulière est restée loyaliste et se mobilise pour contrer ces putchistes".
Les femmes entendent jouer un rôle déterminant
Pour Fatmata Savadogo, vice-présidente du Mouvement Progressiste Sankariste, comme l’année dernière, les femmes entendent jouer un rôle déterminant dans la résolution de cette crise. Et même si elles ne disposent que de leurs balais et spatules face à des hommes armés il est hors de question de baisser les bras.
Comme tous les autres citoyens de son pays, elle aussi va répondre à l’appel de la mobilisation et se diriger vers la gendarmerie. "Nous sentions venir les choses mais sincèrement nous avons pensé que le scénario que nous vivons actuellement allait se dérouler après les élections. Comme tout le monde, je vais aller à la gendarmerie, l’armée doit comprendre que c’est la nation qui est en péril, le mot d’ordre a été lancé et nous allons tous y aller. Les femmes ne se sont pas encore concertées, mais chacune a répondu au mot d’ordre. Hier nous étions au rond-point de la Patte d’Oie et ce matin à la Place de la Nation. Beaucoup n’ont pas su se déplacer parce que les militaires n’ont pas hésiter à tirer des coups de feu pour nous interdire de rejoindre la place de la Nation. La nation étant en danger, nous sommes des filles de la nation, nous n’allons pas laisser inachevé ce que nous avons entrepris depuis octobre de l’année dernière".
De quoi seront faites les prochaines heures ?
Pour le professeur Tshiyembe Mwayila, directeur de l’Institut Panafricain de Géopolitique de Nancy, on est passé allègrement du kidnapping du président du chef de l’État et de son premier ministre à un coup d’État.
"Il faut savoir, rappelle le professeur Mwayila, que quand Compaoré a été démis de ses fonctions, le général Diendéré n’a pas eu de poste officiel au sein du gouvernement de la transition. Il a quasiment été limogé pour parler en langage militaire. Quand on l’entend aujourd’hui, il parle d’une relance du processus démocratique qui doit être inclusif. Pendant la nuit d’hier, des questions ont été posées aux membres de la famille politique de Blaise Compaoré, ils ont clairement dit qu’ils ne condamnaient pas le putsch parce qu’ils ont été exclus de la charte de la transition et de la participation aux élections. A cet argument venait s’ajouter un autre: il y a plus de 48 heures, il avait été demandé un rapport devant répondre à la question de savoir s’il faut dissoudre la garde prétorienne de Blaise Compaoré."
"Depuis qu’il a été chassé du pouvoir, poursuit-il, il y a eu plus de quatre tentatives à chaque fois que la question de la dissolution du RSP (ndlr : régiment de sécurité présidentielle) a été posée clairement. Les enjeux seraient que si les élections sont organisées au Burkina Faso et que les caciques sont chassés, alors Blaise Compaoré pourrait comparaitre pour les crimes pour lesquels il est soupçonné, il y a peut-être cette peur de jugements futurs. Ces craintes-là, combinées à celle de la dissolution de ce corps d’élite, ont entrainé ces hommes de Compaoré à sortir du bois."
Pour le professeur Tshiyembe Mwayila, difficile de se prononcer quant au scénario des prochaines heures voir des prochains jours.
Cependant il entrevoit quelques pistes. "Pour l’instant, on ne sait pas de quoi demain sera fait. Dans les prochaines heures il faudra attendre et voir si le Général Diendéré a toute l’armée derrière lui. S’il s’avère qu’il a l’armée derrière lui, ils risquent de faire peur à la population. Deuxième étape, il faut voir ce que seront devenus le président séquestré et son ministre et les autres membres du gouvernement, troisièmement quel sera le destin des autres membres de la transition autre que ceux qui sont séquestrés. Cette question a d’ailleurs été posée à Monsieur Diendéré qui a répondu qu’ils seront libérés. Quand voudra-t-il les libérer, auront-ils le droit de parler."
Gouvernement d'union nationale?
La mobilisation sociale serait, selon le professeur une autre perspective. "Est-ce que cette mobilisation qui a mis en route Blaise Compaoré pourra être assez mobilisée contre la junte, rien n’est moins sure. Étant entendu que la classe politique est divisée, il faut peut-être s’attendre à ce qu’elle mobilise ses militants pour qu’ils les mettent (mettre) dans la rue contre ceux qui a tort ou à raison ne veulent pas du régime institué depuis ce matin. A l’époque de Blaise Compaoré la mobilisation était générale, ici la situation est différente. Maintenant que des hommes politiques de Compaoré ont l’argent et les militaires derrière. Quelle sera leur mobilisation par rapport à celle que l’on a connue avant? Ça c’est une question pour laquelle on n’a pas de réponse actuellement."
Peut-on imaginer un gouvernement d’union nationale? Pour le professeur Thsiyembe Mwayila, si la mobilisation sociale tient le coup et que la communauté internationale maintient une pression, il est possible que les militaires cèdent le terrain ou qu’un gouvernement d’union nationale soit mis en place, ou alors obtenir que les dirigeants politiques du clan Compaoré qui ont été évincés par le principe constitutionnel, qui a été adopté et qui stipule que tous ceux qui ont demandés la violation de la constitution, ne puissent pas être candidats aux futures élections, probablement que le compromis serait de retirer cet article.
A l’heure actuelle, la situation reste floue au Burkina Faso où se joue un bras de fer tendu entre les militaires et la population qui n’a sans doute pas dit son dernier mot. Dans les prochaines heures, la position de l’armée régulière sera sans doute celle qui fera basculer la situation dans le pays.
Avec Rtbf.be