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Burkina/Côte d’Ivoire: pourquoi le mariage est indissoluble?

| 09.04.2016
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Entretien du Président du Faso, S.E.M. Roch Christian Marc KABORE avec le Président ivoirien, S.E.M. Alassane OUATTARA, ce vendredi 29 Janvier 2016, à Addis-Abeba (Éthiopie), en marge du 26 ème Sommet de l'Union Africaine. Photo d'archives, utilisée à titre d'illustration
© DR / Autre Presse
Entretien du Président du Faso, S.E.M. Roch Christian Marc KABORE avec le Président ivoirien, S.E.M. Alassane OUATTARA, ce vendredi 29 Janvier 2016, à Addis-Abeba (Éthiopie), en marge du 26 ème Sommet de l'Union Africaine. Photo d'archives, utilisée à titre d'illustration
Vivre ensemble en intelligence n’est plus malheureusement une valeur promue. Pourtant, en Afrique, les hommes vivaient en parfaite symbiose avec leurs voisins. Les relations entre eux étaient si bien entretenues, protégées. Autrefois, en tout cas, les gens avaient le sens des relations de bon voisinage. A l’image du Burkina et de la Côte d’Ivoire aux destins communs, obligés de s’entendre. Les économies burkinabè et ivoirienne sont complémentaires, et les deux pays ont des rapports séculaires liés par l’histoire et la géographie.


C’est pourquoi, malgré de sérieux problèmes, en bons voisins, les deux Etats ont toujours su préserver les intérêts de part et d’autre au bénéfice des deux peuples frères. Constat.

S’il est des relations humaines qui sont en train de perdre leur place dans la quotidienneté contemporaine, ce sont bien les relations entre voisins. Le contexte dans lequel vivent les citadins fait qu’ils privilégient les relations intimes au détriment des relations interpersonnelles, collectives et de voisinage. Leurs comportements, leurs manières de vivre empêchent l’épanouissement des rapports entre voisins.

Autrefois, être voisins impliquait des responsabilités. Des devoirs de part et d’autre. Cette valeur sociale est tombée en désuétude au point que la revendiquer, c’est s’exposer au courroux, au mépris et aux médisances des autres. Les relations entre personnes vivant dans le même environnement se dégradent progressivement. Vivre ensemble en intelligence n’est plus une valeur promue.

En Afrique, les rapports entre voisins étaient soudés de telle sorte qu’ils se présentaient plutôt comme frères et sœurs que voisins et voisines. Il existait de ce fait, une étroite collaboration entre eux. Tout ce qui pouvait arriver de mieux ou de pire à l’un concernait l’autre au même degré.

C’est pourquoi, lors des manifestations de mariage, de baptême, de funérailles, chacun s’investissait matériellement, financièrement, physiquement, écartant toutes barrières pouvant le tenir pour étranger dans la situation. Les voisins se rendaient mutuellement service sans rien attendre en retour et sans arrières pensées. La solidarité en toute épreuve était le mot d’ordre qu’ils se devaient de respecter et de suivre. Ne pas participer aux différentes activités familiales de ses voisins était un casus belli incompréhensible; car il signifiait qu’on se mettait en situation de rebelle susceptible de refuser d’assister sa propre famille en cas de besoin. Attitude impardonnable. La matérialisation d’une entente parfaite, d’une vie harmonieuse entre familles se faisait aussi par le mariage. Par l’accomplissement de cet acte, les liens se resserraient davantage et les familles devenaient une seule et même entité sociale.

Au sein de cette entité, le droit et les obligations du voisin était respectés par tous les membres de la société. Les comportements de tous les jours devaient prouver que chaque voisin avait de la considération et du respect pour l’autre. Contrairement aux sociétés occidentales trop individualistes, chaque voisin se faisait le devoir de saluer, de visiter et de respecter l’autre dans sa dignité et son honneur. Cette attitude qui nourrit des rapports privilégiés entre voisins est perceptible lorsqu’un voisin décide de défricher son champ ou d’entreprendre de grands travaux. Les premiers à apporter leurs aides matérielles sont les voisins immédiats. Les nécessiteux d’une famille voisine sont aidés par les voisins qui ont plus de moyens. Que ce soit pendant les fêtes ou de manière régulière, les voisins s’offrent des plats succulents.

En outre, personne ne pouvait vaquer à ses occupations quotidiennes sans s’être, au préalable, enquis des nouvelles de son voisin. Cette attitude dénote l’intérêt et l’attention qu’on lui accorde et sa disposition à lui venir éventuellement en aide. Bref, autrefois, les gens avaient le sens des relations de bon voisinage. Même les Etats, comme le Côte d’Ivoire et le Burkina Faso, savent entretenir et garder leurs relations malgré les vicissitudes et les grandes crises qu’ils ont connues.

Côte d’Ivoire et Burkina Faso: comme des frères siamois!

Les relations se sont beaucoup dégradées au cours des derniers mois de la transition politique au Burkina. Il y a eu notamment, d’une part, l’éclatement de l’affaire des conversations téléphoniques soutenant le putsch manqué de septembre 2015 entre Djibrill Bassolé, l’ex-ministre des Affaires étrangères sous la présidence de Blaise Compaoré, et le président de l’Assemblée nationale ivoirienne Guillaume Soro, qui a contesté l’authenticité des enregistrements. Et d’autre part, l’émission du mandat d’arrêt international le 21 décembre 2015 contre Blaise Compaoré, exilé en Côte d’Ivoire et accusé dans le cadre de la réouverture du dossier du meurtre de Thomas Sankara.

C’est dans ce contexte potentiellement explosif que la visite à Ouagadougou du président ivoirien, le 29 décembre, pour la cérémonie d’investiture du nouveau président burkinabè a eu lieu. En faisant le déplacement, le chef de l’Etat ivoirien Alassane Ouattara a créé la surprise.

Pour autant, Abidjan n’est pas prête à donner une suite favorable à l’extradition de l’ancien président Compaoré que réclame la justice burkinabè dans le cadre de l’affaire Sankara. On connaît le soutien apporté par Compaoré à la rébellion qui a sévi en Côte d’Ivoire tout au long de la dernière décennie débouchant sur l’arrivée au pouvoir d’Alassane Ouattara en 2011. Ce dernier n’a rien oublié de ce qu’il doit à l’ancien potentat burkinabè qu’il a reçu à bras ouverts lorsque celui-ci a dû quitter son pays suite à l’insurrection populaire d’octobre 2014. C’est même le président Ouattara qui avait décidé son homologue français à voler au secours de son ami Blaise et à faciliter son exfiltration. Il n’est sans doute pas aujourd’hui prêt à le lâcher, malgré le changement de la donne à Ouagadougou.

Or, avec l’émission par la justice burkinabè du mandat international contre Compaoré, l’affaire est maintenant dans le camp ivoirien. Ce serait un geste inamical et contraire à l’esprit de séparation des pouvoirs de la part du président Ouattara d’empêcher la justice ivoirienne de s’exercer librement. Dilemme, tout de même.

Car, il faut reconnaître que l’émission de ce mandat d’arrêt international a compliqué les relations entre Ouagadougou et Abidjan. Ami de longue date de Compaoré, le président ivoirien Alassane Ouattara a accueilli son «frère» Blaise après sa chute et semble peu disposé à le laisser tomber comme nous l’avons souligné plus haut. Mais il est aussi en bons termes avec son nouvel homologue Roch Kaboré, qu’il connait depuis longtemps et avec lequel il devra composer durant les cinq années à venir. Par ailleurs, nouvellement installé dans ses fonctions, parmi les nombreux défis que le nouveau pouvoir de Ouagadougou devra relever, figure la normalisation des relations avec Abidjan. Un défi des plus coriaces.

Destins communs, obligés de s’entendre

Les présidents Roch et Ouattara se connaissent bien. Leurs liens sont anciens et débordent la sphère politique. Ils remontent au début des années 1980 où le père du président Kaboré était vice-gouverneur de la BCEAO et Ouattara conseiller du gouverneur de la banque. Ce dernier a été aussi l’un des premiers chefs d’Etat à féliciter le président Kaboré après son élection en novembre dernier.

C’est pourquoi le président Ouattara, conscient de la dégradation des relations, cherche à se faire pardonner, mais dans la dignité et le tact diplomatique.

En effet, sa présence à Ouagadougou a été interprétée par les analystes comme le signe du réchauffement des relations bilatérales particulièrement tendues entre les deux pays depuis le renversement du régime Compaoré en octobre 2014. C’est même à la tête d’une forte délégation que le président ivoirien Alassane Ouattara était venu à Ouagadougou. Son ministre de l’Intérieur, Hamed Bakayoko – un proche de Kaboré -, celui des Affaires étrangères, Charles Koffy Diby, ou encore Amadou Gon Coulibaly, le secrétaire général de la présidence avec rang de ministre d’État, l’avaient ainsi accompagné.

Avec l’ensemble de la délégation ivoirienne, ADO avait ensuite rendu visite au Moogho Naaba. Chef suprême des Mossi et plus haute autorité traditionnelle du pays. «Comme s’il était venu demander la bénédiction du roi pour la suite», s’était exclamé Abdoul Karim Saidou, politologue rattaché au Centre pour la gouvernance démocratique.

De toutes les façons, les priorités du nouveau gouvernement burkinabè sont telles qu’il faut privilégier les intérêts économiques, à l’image de la France qui n’a pas d’ami, mais des intérêts!

La véritable priorité du nouveau gouvernement burkinabè est économique. Roch Kaboré a en effet remporté l’élection présidentielle en promettant de résoudre rapidement le problème du chômage qui touche massivement les jeunes. Avec les moins de 30 ans représentant jusqu’à 70% de la population, la jeunesse burkinabè fait et défait les gouvernements. N’avait-elle pas été à la pointe de la lutte anti-Compaoré?

Dans son discours d’investiture, tout en invitant les Burkinabè à se «mettre au travail immédiatement», le nouveau président a réitéré ses promesses en matière sociale: «gratuité des soins pour les moins de 6 ans», universalité de l’éducation pour les moins de seize ans, accès à l’eau pour tous...

Or, pour pouvoir tenir ses promesses de campagne, le président doit relancer l’économie qui est très dépendante de la Côte d’Ivoire où vit une diaspora burkinabè forte de quelque 4 à 5 millions d’âmes. Le président Kaboré, qui a occupé des positions ministérielles importantes sous le régime Compaoré, n’est pas sans savoir combien les économies burkinabè et ivoirienne sont complémentaires. Il a donc à cœur de donner une nouvelle vigueur à la coopération entre les deux pays en remettant sur le tapis notamment leurs projets de coopération en matière d’infrastructures: construction de l’autoroute Ouagadougou-Yamoussoukro, réhabilitation de la ligne de chemin de fer Abidjan-Ouagadougou, l’interconnexion au réseau électrique ouest-africain pour la production déficitaire burkinabè en électricité.

Dans ce contexte d’intérêts complémentaires, il faut s’attendre à un règlement à l’amiable de l’affaire Compaoré. Il n’est vraiment pas dans l’intérêt du nouveau pouvoir de Ouagadougou aujourd’hui qu’Abidjan réponde favorablement à la demande d’extradition de Compaoré. C’est un dossier potentiellement déstabilisateur qui va empêcher le gouvernement de prendre à bras-le-corps les problèmes économiques.

C’est pourquoi, comme deux voisins obligés de s’entendre, le président du Faso, S.E.M. Roch Marc Christian Kaboré, avait été reçu en audience par son homologue ivoirien, S.E.M. Alassane Ouattara, à Addis-Abeba le 29 janvier 2016 en marge des travaux du Conseil de Paix et de Sécurité de l’Union africaine. Les deux dirigeants avaient échangé sur les relations entre les peuples burkinabè et ivoirien.

Selon le président du Faso, le Sommet de l’Union africaine a toujours constitué une opportunité pour les Chefs d’Etat d’échanger sur les voies et moyens pour la consolidation de l’amitié qui existe entre les différents peuples. Son tête-à-tête avec son homologue ivoirien s’inscrit donc dans cette dynamique.

Il pense que «au regard des rapports séculaires qui lient le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire, les plus hautes autorités ont le devoir de faire en sorte que cette relation soit renforcée, que cet axe soit consolidé».

Pour y arriver, le président Roch souhaite que «nous (Burkina Faso et Côte d’Ivoire) puissions faire en sorte que les évènements qui ont pu se passer çà et là puissent être considérés comme relevant du passé».

C’est la raison pour laquelle il émet également le vœu que les deux Etats travaillent «à faire en sorte que véritablement nous puissions rétablir la confiance au sommet de l’Etat et entre nos peuples».

Le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire ont des relations séculaires et sont liés par l’histoire et la géographie. Les deux pays ont de ce fait des intérêts de part et d’autre. Il convient pour les dirigeants de préserver ces intérêts au bénéfice des deux peuples frères. C’est ça aussi le bon voisinage. Saurons-nous nous en inspirer pour vivre en bonne intelligence avec nos voisins?

Les Echos du Faso

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