Le marteau, ici, ce n'est ni plus ni moins que la menace que le bras de fer au sein de l'Armée en général, du Rugissement d'inSécurité Présidentielle (RSP) en particulier, fait peser sur un processus de transition dont la fin est prévue dans seulement trois mois. Et l'enclume, c'est naturellement l'opinion nationale qui aura légitimement du mal à admettre un coup d'arrêt au processus de transition.
C'est justement parce que le principal pilote du navire qu'est M'Ba Michel se sent si près du but que les effets et les conséquences éventuelles de la guéguerre apparaissent encore plus lourds à supporter par les seules épaules du président de la Transition. En effet, dans un pays miné par plus d'un quart de siècle d'un pouvoir kaki conçu et pétri par le RSP, on savait que la tâche de la Transition n'allait pas être des plus aisées.
Mais de là à ce que ceux qui ont fait et contribué à défaire le pouvoir du Blaiso national se retrouvent en première ligne de ceux qui mettent les bâtons dans les roues du processus de transition, il n'y avait qu'un pas. Et la redoutée et redoutable garde prétorienne l'a allégrement franchi seulement deux mois après l'insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014. Sous prétexte de «problèmes de pécule» ou encore de «nominations peu respectueuses des principes de la hiérarchie militaire», des éléments avaient déjà tenté de faire capoter les choses à la veille du nouvel an. Cette fois-là, on n'a eu besoin ni de Collège, encore moins de Cadre de concertation de sages.
Le Vieux Kaf' a réussi à «gérer» le problème par sa seule médiation. Mais le retour à la case départ moins de deux mois après devrait amener le gouverne-et-ment de Zinedine Zida à prendre la vraie mesure de la situation qui couvait. Seulement dans ce Faso où l'on a presque toujours joué à négliger les vrais remèdes aux vrais problèmes, on a laissé pourrir la situation, pensant ainsi ruser avec le temps. Sauf qu'entre-temps, le Premier sinistre, qui n'est autre que l'ancien n°2 du RSP, a voulu s'émanciper de sa fratrie d'origine. Il a choisi d'être davantage solidaire de ses «frères en Christ» que de ses «frères d'armes». Conséquence: il a fait monter les aigreurs des seconds, non pas seulement contre les premiers, mais contre toute la machine même du processus de transition.
La haine cordiale que ses frères d'armes du RSP lui vouaient désormais dans la caserne du camp Naaba Koom de Ouaga 2000 a fini par déborder jusqu'au palais de Kosyam. Difficile pour le Vieux Kaf' de ne pas se mêler de cette bagarre qui ne devrait pas le concerner directement. Seulement, il est lui aussi gardé par les éléments de ce corps. Il est donc obligé non seulement de s'impliquer, mais également d'entendre des «choses», même si cela ne l'intéresse pas a priori. Malgré lui, il a été pris dans l'imbroglio. Ce qui explique le rôle de «médiateur» qu'il a dû s'octroyer pour tenter de calmer le jeu. Mais hélas. Le RSP et Zinedine Zida sont visiblement allés loin, voire trop loin.
La preuve de cette rupture entre la garde prétorienne et le Premier sinistre peut s'expliquer par le fait que ce dernier ait voulu, de gré ou de force, s'affranchir de l'autorité ou du diktat de ses mentors que sont le général Gilbert Diendéré et l'exilé et président déchu Blaise Compaoré. Ceci expliquerait aujourd'hui pourquoi ceux-ci lui en voudraient au point de pousser des éléments du corps à exiger sa démission sans condition.
Difficile de ne pas croire à cette hypothèse, tellement la succession des faits militaires, politiques et judiciaires semblent le justifier dans le contexte sociopolitique burkinabè actuel. Car, c'est un secret de Polichinelle de rappeler que si Zinedine Zida avait continué à jouer le jeu de l'ancien régime, il n'aurait jamais permis certaines choses qui mettent ses mentors dans des difficultés aujourd'hui. Il s'agit, entre autres, du Code électoral ou «Loi Chériff», du nom du président du Conseil national de la Transition qui a porté la croix de cette loi.
Mais au-delà de l'équation d'exclusion politique que posent certaines dispositions de la loi électorale, il y a surtout le déverrouillage judiciaire du dossier Thomas Sankara. L'accélération que celui-ci a connue au cours des dernières semaines achève de convaincre que «l'affranchi» Zinedine Zida a véritablement pris ses distances et qu'il entend aller jusqu'au bout de sa logique d'émancipation politique. Selon des sources bien introduites, l'inculpation de certains «suspects sérieux» et pas des moindres ne serait qu'une question de jours.
Il s'agirait, entre autres, de la «mise au frais» de Hyacinthe Kafando, un ancien «bras droit» du Blaiso national qui a connu la traversée du désert, avant de revenir comme député à l'Assemblée nationale. Cet ancien du RSP aurait prétendu lui-même, non sans fierté à l'époque, avoir joué un rôle dans ce dossier. Maintenant qu'il est possible de mettre la main sur lui pour vérifier ces propos très compromettants, le juge d'instruction commis au dossier se préparait logiquement à fouiner de ce côté.
Si on imagine que, dans la quête de la vérité, la piste de Hyacinthe Kafando pourrait croiser celle du général Gilbert Diendéré, on comprend aisément pourquoi cette éventualité crée la panique dans les rangs des partisans de celui-ci. Et pourquoi le Premier sinistre Zinedine Zida apparaît comme «le traître» parfait.
A. Wédraogo