Blaise Compaoré ivoirien : Naturalisation pare-feu judiciaire ?

| 24.02.2016
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Blaise Compaoré ivoirien : Naturalisation pare-feu judiciaire ?
© DR / Autre Presse
Blaise Compaoré ivoirien : Naturalisation pare-feu judiciaire ?
Ce qui se murmurait depuis des jours, a été finalement confirmé. L’ancien président du Burkina Faso, celui qui a survécu à Thomas Sankara et a «régné» sur l’ancienne Haulte-Volta pendant trente ans, est désormais ivoirien. Il a acquis la nationalité de sa femme et de son pays d’accueil, depuis maintenant plus d’une année et quelques mois.


Ainsi donc, le passeport ivoirien délivré à Blaise Compaoré, il y a quelques semaines de cela n’était qu’une officialisation avant la lettre de l’ivoirisation de l’ex-président du Faso. En effet, à la faveur d’une visite le 22 février du chef de la diplomatie burkinabè, Alpha Barry à Abidjan, on apprendra dans la foulée, que Blaise Compaoré et son frère cadet ont été naturalisés depuis le 14 novembre 2014, soit deux semaines, après le début de l’exil de l’ancien chef d’Etat burkinabè au bord de la lagune Ebrié.

En soi, cela n’est vraiment pas une surprise. Mais là où le bas commence à blesser, c’est parce qu’il ne hume pas les brumes de la lagune Ebrié de son plein gré. Des Burkinabè furieux l’ont obligé à quitter précipitamment, son palais doré de Kosyam pour franchir les frontières du Burkina et se retrouver là.

On n’aurait trouvé rien à redire en effet, à cette naturalisation qui se fait dans tous les pays, sauf à ressusciter la gorgone de l’ivoirité, qui a tant fait dériver la Côte d’ Ivoire. Encore que pour l’époux d’une femme qui s’appelle Chantal Terrason de Fougère, ivoirienne... Rien qu’au Burkina par exemple, le dernier conseil des ministres a naturalisé près d’une cinquantaine de personnes.

Mais ce n’est pas non plus le franchissement des frontières qui rend cette naturalisation si particulière et si intéressante aux yeux des médias et de l’opinion. Il s’agit bien du contexte dans lequel survient l’octroi de cette deuxième nationalité.

Mais on devine aisément, dans le cas d’espèce, Blaise n’est pas n’importe qui, et surtout, son dossier judiciaire, rend cette naturalisation suspecte, du moins objet de toutes les supputations.

Blaise Compaoré est en effet, sous le coup d’un mandat d’arrêt international, lancé par le téméraire Tribunal militaire qui veut l’entendre dans le cadre de l’enquête sur l’assassinat du président Thomas Sankara, son ancien ami, frère d’armes et camarade de Révolution. Lequel mandat international a été émis en décembre 2015. C’est un secret de polichinelle que de savoir que celui que l’on nommait l’enfant terrible de Ziniaré n’a aucune envie de venir répondre devant la justice de son pays.

Mais, il n’y a pas que cette marque de volonté de Blaise qui pourrait expliquer ce qui ressemble à un pare-feu judiciaire : cette naturalisation, qui équivaut à un refus d’extradiction, épouse bien le bréviaire principiel républicain «la Côte d’Ivoire n’extrade pas ses ressortissants».

La peine de mort en vigueur dans le code pénal burkinabè, même si elle n’est pas appliquée, peine qu’encourt Blaise Compaoré, ne milite pas aussi en faveur d’un retour de l’ancien n°1 burkinabè.

Est-ce réellement pour cela que Blaise Compaoré est aujourd’hui ivoiro-burkinabè ? Difficile de dire péremptoirement, non. Dans lequel cas, les contradicteurs du pouvoir ivoirien lui demanderont alors, pourquoi Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé sont donc, en territoire hollandais, en train de subir l’interrogatoire accusateur de la Cour pénale internationale ? A moins qu’il n’y ait deux sortes de nationalité ivoirienne, une « véritable » et une autre plus « light » ! Naturalisation pare-feu judicaire donc ? peut-être mais pas seulement.

Car au-delà de l’affaire Blaise Compaoré, affaire d’Etat parmi tant d’autres telle celle dite Guillaume Soro ou Soumaïla Bakayoko, se pose à présent l’état des lieux des relations entre ces deux pays aux liens historiques et géographiques insécables, dit-on. Que ce soit sous Houphouët-Sankara ou sous Blaise-Gbagbo, ces relations ont toujours été sinusoïdales, évoluant en dents de scie selon que les «Paweto» (immigrés burkinabè) prennent de l’ampleur dans les champs de café-cacao, ou que l’ex-Haute-Volta et le (Burkina actuel), a voulu déstabiliser la Côte d’Ivoire.

En ce feuilleton judiciaire, qui risque de ne pas en connaître beaucoup, se lit en creux, l’avenir du Traité d’amitié et coopération (TAC) signé en juillet 2009. Et se dessine en filigrane, le règlement d’une affaire par la voie diplomatique.

Vraisemblablement on s’achemine vers une non-extradiction de Blaise au Burkina Faso. S’ouvre alors l’hypothétique, chemin de la commission rogatoire, et peut-être un jugement sur le territoire ivoirien. Mais tout comme l’affaire Soro, la diplomatie, cet animal politique à sang froid qui se déploie lentement, mais souvent sûrement, est en train de prendre le dessus. La preuve par cette visite d’Alpha Barry, qui a balisé le terrain pour la prochaine visite du président Roch à Abidjan.

Cependant, si ce scénario devrait prospérer, on déploiera tout de même le fait que Blaise Compaoré, qui a été le premier magistrat du Faso, refuse là, une occasion de venir s’expliquer, sur les faits et méfaits de son interminable règne sans partage de 27 ans.

C’est dommage, et à ce rythme, il ne faudra pas que les Africains, grimpent sur leurs chevaux pour cravacher la CPI, si par des pirouettes, leurs premiers responsables refusent, de déférer devant les prétoires de leur pays.

Les relations entre les Etats suivent souvent des chemins tortueux que le commun des mortels se perdrait à vouloir déchiffrer et la rectitude de la Justice perd son latin à vouloir l’emprunter. Toutefois, il est certain que les deux trouveront le moyen de régler le différend qui pend entre eux, en lâchant du lest chacun de son côté et en essayant de faire de petites concessions qui feront les affaires de chacun .

Ahmed BAMBARA

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