Les positions sont connues, surtout au sein du microcosme politique, traversé par une ligne de fracture que rien ne semble pouvoir combler. De part et d'autre, chaque camp fourbit ses armes, lève des armées, compte ses troupes, noue des alliances. En attendant le D-Day, comme disent les anglophones.
Entre les «forcenés» de l'alternance et les forçats de la continuité avec Blaise Compaoré, il n'y a guère plus de place pour le dialogue.
Si au plan national aussi bien dans la classe politique qu'au sein de la société civile, des confessions religieuses et des dépositaires de la tradition, les positions sont déterminées, on scrute toujours les moindres signaux venus de l'extérieur. Particulièrement ceux des partenaires techniques et financiers.
Même s'ils n'ont pas droit au vote, en pareille situation, les puissances étrangères ont souvent voix au chapitre et constituent des relais dont personne ne veut s'aliéner le soutien. Paris, Washington, Londres ont toujours été des hauts-lieux de décision du sort politique et/ou économique de nombre d'Etats africains.
De ce point de vue, le moindre geste, le moindre propos ou même le simple cillement d'yeux des maîtres du monde ou de leurs représentants sont passés au scanner, pesés et soupesés au trébuchet puis examinés sous toutes les coutures.
Si bien que dans cette course effrénée aux alliés étrangers, même le dernier des gueux du diable vauvert se voit ouvrir les portails hautement sécurisés du saint des saints de nos institutions. Une cravate, une carte de visite et une pincée de flagornerie et on en ressort plein aux as.
Dans la situation présente du Burkina Faso, s'il y a un partenaire extérieur, exceptée la France, l'ex-puissance tutélaire, vers lequel tous les regards sont tournés, c'est bien les Etats-Unis d'Amérique.
Que pense bien l'Oncle Sam des velléités du pouvoir de faire sauter le verrou constitutionnel ?
That is the question !
Mais depuis seulement mardi dernier, chacun de nous est situé là-dessus. Du moins peut-il s'en faire une opinion.
En effet, au cours d'un point de presse sur l'American road show, du nom de la tournée d'inspection de l'ambassadeur des USA en poste au Burkina, Tulinabo Mushingi, dans les 13 régions de notre pays, l'actualité politique nationale s'est invitée ; interrogé sur le sujet, le diplomate américain a déclaré, entre autres : «Une démocratie est renforcée quand le gouvernement respecte la Constitution» (Cf.L'Observateur Paalga du mercredi 2 juillet 2014).
Du coup, les commentaires vont bon train dans le landerneau politique, chacun interprétant les propos de Tulinabo Mushingi à son gré.
Les croisés de l'alternance ne manquent pas d'y voir un carton rouge brandi par Washington contre une modification constitutionnelle dont le seul but est de garantir à Blaise Compaoré un pouvoir à vie.
Les révisonnistes, par contre, y voient à tout le moins un feu orange sinon un feu vert pour l'organisation du référendum sur l'article 37 que rien n'interdit.
Bien malin qui saura deviner exactement le fond de la pensée de l'envoyé d'Obama dans notre pays.
Si en réalité dans les secrets des chaumières et devant leurs visiteurs, les ambassadeurs ne font pas mystère de leurs positions sur nos querelles domestiques, en public, ils sont astreints en principe à la non-ingérence dans les affaires internes d'un Etat.
C'est donc un jugement à la Salomon, pour ne pas dire à la Yankee, que Son Excellence Mushingi vient de rendre. L'Aigle américain ne voulant pas trop s'aventurer dans notre marigot politique particulièrement glauque, de peur d'éclaboussures.
Il n'empêche, tout le monde connaît l'Evangile de la Maison-Blanche en matière de gouvernance politique. On a toujours en mémoire le discours de Barack Obama prononcé à Accra le 11 juillet 2009. Ce jour-là, dans son style inimitable, le président américain a rappelé en peu de mots la doctrine de son pays en matière de démocratie :«L'histoire est du côté de ces courageux Africains, et non dans le camp de ceux qui se servent de coups d'État ou qui modifient les constitutions pour rester au pouvoir. L'Afrique n'a pas besoin d'hommes forts, mais de fortes institutions».
A la lumière de ce qui précède, on n'a pas besoin d'être issue de la Stanford University pour connaître la position de l'actuel locataire du Bureau Ovale sur le projet de révision de l'article 37. Du moins sa position de principe. Car ne l'oublions pas, les voies de la diplomatie sont aussi insondables que celles de Dieu.
Ils sont légion, en effet, les situations où l'idéal moral a été purement et simplement sacrifié sur l'autel de la raison d'Etat. Si les grandes démocraties ont pu à un moment ou un autre, s'accommoder de régimes dictatoriaux comme ceux d'Augusto Pinochet, de Saddam Hussein, Hosni Moubarak, Ben Ali, Daniel Noriega, Hussein Habré, Bachar el-Assad et bien d'autres, il ne faudrait pas être étonné qu'elles fassent de même avec Blaise Compaoré et son article 37. Surtout que c'est en toute «constitutionnalité» qu'il veut nous fourguer son affaire.
Le réalisme politique étant au centre des relations internationales, le chef de l'Etat burkinabè, qui joue un rôle important dans la stabilité de la sous-région ouest-africaine et a su tisser des liens stratégiques, sait qu'il peut compter sur la souveraine indulgence de ses partenaires. C'est d'ailleurs le principal argument de vente de son projet de réforme constitutionnelle.
Alors, le chef de file de l'opposition, Zéphirin Diabré, et ses troupes auront tort de beaucoup miser sur l'extérieur pour tordre le bras au locataire de Kosyam et lui faire mettre un genou à terre.
Et ils le savent bien.
Alain Saint Robespierre