Selon une opinion largement répandue, les arrestations auraient dû se faire dès le lendemain de l'insurrection. Encore que certaines personnes parmi les interpellées ont été hébergées à la gendarmerie avant d'être libérées. Assimi Kouanda, premier responsable du CDP, et Adama Zongo, président de la Fedap-BC, avaient d'ailleurs été entendus au cours de leur séjour par les gendarmes, avant d'être relaxés. Pour les partisans de cette thèse, il ne peut y avoir révolution avec morts d'hommes sans qu'il y ait des arrestations. Il faut bien que quelqu'un paie pour tous ces morts.
Ils s'appuient sur le fait que Blaise Compaoré a accédé au pouvoir après un bain de sang ayant emporté Thomas Sankara et 12 de ses compagnons le 15 octobre 1987, sans compter le massacre intervenu à Koudougou le 27 octobre 1987.
Pour les autorités de la Transition, ces arrestations sont intervenues suite aux contrôles effectués par l'Autorité supérieure du contrôle d'Etat (ASCE) juste après l'insurrection. On se rappelle, en effet, que les bureaux des anciens ministres, de leurs Directeurs administratifs et financiers (DAF), d'anciens maires avaient été mis sous scellés au lendemain de l'insurrection. Cependant, le fait que les arrestations interviennent la veille du vote de la loi modificative du Code électoral afin de mettre sur la touche tous ceux qui ont soutenu la modification de l'article 37 fait penser à des règlements de comptes. Aussi, les arrestations pour malversations ont été faites en même temps que des arrestations pour atteinte à la sûreté de l'Etat, activités politiques illégales. Ce qui donne raison aux militants du CDP, de la NAFA et des autres partis politiques qui se sentent visés, de penser que les choses ont été faites de sorte à les mettre hors jeu.
Pourtant, cette loi semble salutaire. Peut-on dire qu'en dehors des ex-ministres, un parti comme le CDP ne peut pas présenter de candidat qui puisse rivaliser avec les MPP, UPC, UNIR/PS, etc.? Au CDP, on est habitué à entendre des ordres de quelque part. Pour preuve, les premiers responsables, les listes de candidatures émanent non pas des militants, mais du sommet. Cette nouvelle loi serait alors une opportunité pour le Comité de réflexion et d'action pour le renouveau du CDP (CRAC), qui fait de la promotion des jeunes (hommes comme femmes) dans les instances dirigeantes du CDP et la mise à l'écart des cadres du parti qui ont fauté dans l'appréciation des aspirations du peuple burkinabè son cheval de bataille.
Pour revenir aux raisons des arrestations, on a l'impression qu'il y a de la précipitation dans le processus. En effet, si ces anciens ministres, Arthur Kafando, ex-ministre du Commerce, Salif Kaboré, ex-ministre des Mines et de l'Energie, Jean Bertin Ouédraogo, ex-ministre des Infrastructures, et Jérôme Bougouma, ex-ministre de la Sécurité, ont été interpellés pour des actes dont ils sont rendus coupables pendant qu'ils étaient au gouvernement, il faut admettre que le Tribunal de grande instance de Ouagadougou est disqualifié pour les juger. Selon la Constitution, seule la Haute cour de justice peut juger des anciens ministres pour des actes commis dans le cadre de l'exercice de leurs fonctions. Déjà, Jean Bertin Ouédraogo et Jérôme Bougouma ont été libérés parce que le juge d'instruction s'est déclaré incompétent pour les poursuivre.
En effet, le juge se base sur ces dispositions de la Constitution. L'article 138 stipule que «La Haute cour de justice est compétente pour connaître des actes commis par le Président du Faso dans l'exercice de ses fonctions et constitutifs de haute trahison, d'attentat à la Constitution ou de détournement de deniers publics. La Haute cour de justice est également compétente pour juger les membres du Gouvernement en raison des faits qualifiés crimes ou délits commis dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions».
La Haute cour de justice est composée de députés que l'Assemblée nationale élit après chaque renouvellement général, ainsi que de magistrats désignés par le Président de la Cour de cassation. Trois magistrats font office de juges d'instruction et le procureur de la Cour de cassation assure le rôle du parquet. La mise en accusation des membres du gouvernement est votée à la majorité des 2/3 des voix des députés composant l'Assemblée. C'est dire que le chemin est encore long pour juger ces anciens ministres.
On pourrait alors se poser la question de savoir pourquoi Salif Kaboré, ex-ministre des Mines, a été déféré à la maison d'arrêt et de correction de Ouagadougou (Maco)? Son cas semble particulier. Il est poursuivi pour mauvaise gestion présumée à la Sonabel. A cet effet, la Constitution précise que pour des actes commis dans d'autres contextes, un ancien ministre demeure «justiciable des juridictions de droit commun et des autres juridictions».
Même si ces interpellations n'aboutissent pas à des poursuites judiciaires, les autorités de la Transition auront au moins des dossiers judiciaires sous la main. Une manière de tenir en laisse certaines personnes au sein de l'ex-majorité qui ne digèrent toujours pas leur chute et ont le réflexe de la violence dans leur quotidien.
Djénéba Sangaré