Coïncidence ou ironie du sort, au moment où le monde entier rendait hommage à Nelson Mandela pour son combat pour la liberté, la justice sociale, la paix et la démocratie dans son pays et en Afrique, Blaise Compaoré choisit de jeter un pavé dans la marre. Le mythe Mandela ne semble pas lui inspire pas grand chose dans sa conception de la politique et du pouvoir. En fait, tous les observateurs avisés savaient pertinemment depuis 1987 que Blaise Compaoré n'avait pas pris le pouvoir avec l'intention de le quitter. Bognessant Yé l'avait dit dans son livre. Le passage à l'Etat de droit en 1991 avait pour objectif d'apaiser les angoisses et les émotions collectives durement éprouvées par le sang entre 1983 et 1990. Blaise Compaoré et les siens voulaient un cadre institutionnel qui pacifiait la gestion et la conservation du pouvoir. La démocratie ? L'alternance ? Ce n'était pas leur tasse de thé. Il fallait sortir de l'Etat d'exception. La suite se gérera à travers des retouches bien agencées des textes. Déjà en 1991, il a fallut user de toutes les forces et stratégies pour éviter la conférence nationale souveraine qui aurait pu lui barrer la route à la candidature à la première présidentielle de la 4ème République. Ce qu'il a réussi avec brio et avec en sus un bonus en poussant l'opposition à une grave faute politique (le boycott du scrutin présidentiel de décembre 1991). Si 6 ans plus tard, en 1997, il avait fait sauter le verrou de la limitation des mandats présidentiels à deux, ce n'était pas un fait de hasard. C'était dans la logique de conserver et de personnaliser davantage le pouvoir. Pour n'avoir pas compris cette logique, bien de ceux qui ont cru être ses compagnons de lutte ont connu des fortunes diverses. Dans sa conception du pouvoir, il n'y a pas de compagnons de lutte, de camarades, d'amis ou de dauphins. Il n'y a que des serviteurs, des hommes de mains et la famille. Les serviteurs passent, la famille reste. Pire, plus les années passent, plus la famille prend place au cœur du pouvoir. Les serviteurs doivent désormais passer par la famille. Le chef, lui est inatteignable et ne discutent plus avec les serviteurs.
Il est vrai que cette logique a parfois été contrariée par des contingences sociopolitiques qui ont ébranlé le système Compaoré le contraignant à des ouvertures. Mais en bon joueur et stratège, Blaise Compaoré sait faire profil bas quand le contexte l'impose, mais sans jamais abandonner sa logique et son ambition. L'on a tendance à l'oublier mais un bon officier reste militaire jusqu'à la moelle et ramène tout à une stratégie militaire. Selon ce que l'on sait de lui, on peut tout lui reprocher sauf d'être un bon militaire, un bon officier. La crise sociopolitique consécutive à l'assassinat du Journaliste Norbert Zongo, l'avait bien secoué et il avait consenti à lâcher du lest en accédant une réintroduction de la limitation des mandats présidentiels en 2000.
Tout le monde avait cru que c'en était fini pour le capitaine. Erreur par un juridisme de forçage, il a remis les compteurs à zéro après ses deux septennats et 4 ans de front populaire. L'opposition avait beau jaser, la messe était dite. Blaise Compaoré avait tout ficelé et pensait déjà à la suite des évènements. La suite, c'était moins les deux quinquennats qu'il venait de s'offrir, mais bien plus l'après 2015. En 2009, il annonça des réformes politiques. Il fallait juste attendre le scrutin présidentiel de 2010 pour se donner une nouvelle légitimité électorale qui le confortera dans sa logique. Ce fut fait. La relecture de l'article 37 aurait pu intervenir en 2011. Mais la crise sociopolitique consécutive, encore, à la mort d'un Zongo (Justin qu'il se prénommait) a bouleversé les plans. Une fois de plus, il a du attendre, non sans tenter, par le biais du conseil consultatif sur les réformes politiques (CCRP) de faire passer la révision de l'article 37. Ça n'a pas marché. Mais il sait patienter. Contrairement à tous les autres politiciens burkinabè de son époque, dont certains ont fini leur carrière sous ses yeux avec des heurts et des malheurs, Blaise Compaoré est d'une extraordinaire patience. Il sait toujours attendre son heure. Il les choisit bien pour dérouler sa stratégie, pas après pas. Ça lui a toujours réussi. Pourquoi changera-t-il ? Jusque-là, il a su trouver les hommes pour mener son combat. Le discours aussi, quoique cela soit le moins important dans sa stratégie. L'important, c'est quand ? Avec qui ? Comment ? Le pourquoi est déjà connu : se maintenir au pouvoir. Ça fait plus de 26 ans qu'il y parvient.
Une course contre le temps qui ne peut finir mal
Seulement, cette fois, il ne peut plus patienter. En effet, en choisissant donc de se dévoiler maintenant, Blaise Compaoré veut gagner du temps. 2015, il le dit si loin, mais il sait pertinemment que c'est déjà demain. S'il franchit 2014 sans gagner la bataille de la relecture de l'article 37, il peut dire adieu à Kossyam. Ce sera donc en 2014. Il n'a donc pas le choix car le temps ne lui permet d'attendre encore plus longtemps. Il court après le temps. L'on pourrait donc penser que le contexte national a changé, les burkinabè aussi, avec un certain éveil des consciences citoyennes. Cette course contre la montre pourrait donc finir mal et même très mal.
Les tensions nées du projet de mise en place du sénat qui divise encore l'opinion nationale, ont fait croire à certains que Blaise Compaoré reculerait. Pour ceux-ci, il ne pouvait pas désamorcer totalement la tension avant fin 2014 et pouvoir faire réviser l'article 37. D'autres se voyaient déjà successeurs potentiels.
L'opposition politique depuis deux sorties réussies, semble de plus en plus divisée sur les suites à donner à sa lutte. Déjà essoufflée par si peu, elle a du mal à suivre le rythme infernal imposé par le stratège Blaise Compaoré. La société civile quant à elle en est à se battre curieusement sur des questions inutiles et inopportunes d'idéologies, de couleurs politiques des successeurs potentiels de Blaise Compaoré, d'expérience dans la lutte, etc. Mais dans les faits, c'est une lutte de positionnement qui ne dit pas son nom. Bref, le Burkina retient son souffle. La classe politique et la société civile, perdues dans un intellectualisme inopérant et méprisable, se battent pour la peau d'un ours qu'elles n'ont pas encore terrassé, n'en parlons pas de tuer. C'est à peine si certains ne travaillent expressément contre le changement. D'autant plus que leurs positions actuelles leur procurent gîtes et couvert en or. Disons-le tout net : derrière la lutte certains s'engraissent. A quoi bon contribuer à un changement qui ne leur donnerait plus des opportunités de rester dans ce prétendu combat pour la liberté, la justice, et une démocratie véritable.
Finalement, Blaise Compaoré qui n'avait pas encore dit son dernier mot, a vite compris que ses chances ne sont pas totalement compromises. Au lieu de baisser les bras, il se battra jusqu'au bout. La constitution en son article 37 ne saurait donc être un blocage pour son maintien au pouvoir. C'était prévu qu'il saute le verrou. Il ne dérogera donc pas à sa logique.
La relecture de la constitution d'abord, ensuite l'annonce de sa candidature
Lorsque les services de la communication de la présidence ont annoncé la conférence de presse de Blaise Compaoré à Dori, l'on savait bien ce qu'il allait dire. Tout a été planifié pour consoler la presse et l'opinion nationales avec une déclaration plus précise sur ces intentions. On lui reproche de privilégier l'extérieur pour ses déclarations importantes sur la vie de la nation. Cette fois, il l'a fait au Burkina et qui plus est, à Dori, donc à l'intérieur du Burkina profond. Et comme, il fallait s'y attendre, la presse nationale lui a permis, avec une aisance extraordinaire de dérouler ses plans. Ça n'a rien à voir avec le calvaire de 45mn environ que lui avaient infligé nos confrères français. A Dori, Blaise Compaoré a eu droit à des questions auxquelles il s'attendait et dont il avait déjà les réponses. On retiendra entre autres que le Sénat sera mis en place et que la révision de l'article 37 pourrait passer à l'arbitrage du peuple, c'est-à-dire, par référendum. Il avait déjà effleuré la question lors de son entretien avec les confrères français qui l'ont bien malmené sur le plateau. Là, il semblait tellement perdu que l'incohérence des propos laissait penser à une sorte de réponses données pour se libérer d'un harcèlement de journalistes trop teigneux et qui, à la limite de l'irrévérence, tenait à lui tirer les verres du nez. A Dori, c'était bien plus calme et bien préparé. Une semaine plus tôt, ses partisans avaient lancé la campagne déjà. En effet, la Fédération associative pour la paix avec Blaise Compaoré (FEDAP/BC) a lancé le 5 décembre dernier l'appel à une nouvelle candidature de leur champion. Même si celui-ci n'a pas encore officiellement annoncé sa candidature, il affirme clairement que ce n'est pas exclu. Du reste, il ne peut pas, en l'étape actuelle, déclarer sa candidature dans la mesure où il y a un préalable à lever. Tant que l'article 37 de la constitution n'est pas révisé, il ne peut logiquement pas annoncé sa candidature en 2015. Il s'impose donc de rester dans la légalité jusqu'au bout. Comme il le dit lui-même « s'il n'y a pas de consensus sur cette question, le peuple sera invité à dire ce qu'il pense. Le référendum n'est pas interdit par notre constitution ». La relecture de la constitution dépendra donc, théoriquement, du peuple. Mais ici au Faso et sous la quatrième, toutes les élections se suivent et se ressemblent. Blaise Compaoré et son parti sont toujours sortis vainqueurs. Et il n'y a pas de doute, s'il y a référendum, ils l'emporteront. Et le verrou serra définitivement sauté et on n'en parle plus. Après la relecture de la constitution, viendra l'annonce de la candidature.
Qu'est-ce qui peut l'arrêter ?
Voici donc le scénario tout tracé. A priori, ceux qui rêvaient d'une présidentielle en 2015 sans Blaise Compaoré devraient commencer à déchanter. Logiquement, dans une démocratie normale, l'on ne peut pas refuser que le peuple soit sollicité pour trancher une question qui divise l'opinion. Ce serait même une aberration de s'y opposer. Mais le fait est là que cette évolution de la situation n'honore ni le Burkina Faso, encore moins sa classe politique. On infantilise le peuple. On dira encore qu'il aime tant son président qu'il ne veut pas qu'il parte. Les thuriféraires d'une thèse semblent oublier les lois de la nature. Aussi aimé et aussi patriote qu'il soit, Blaise Compaoré est avant tout un homme, donc un mortel. C'est à croire si lui-même ne l'oublie pas. Ce qui est certain, le Burkina Faso survivra à Blaise Compaoré, quelque soit le temps qu'il restera au pouvoir. N'est-il mieux indiqué de délier, dès maintenant, le destin national du destin personnel de Blaise Compaoré ?
Que peuvent faire tous ceux qui se démarquent de ce culte honteux de l'indispensabilité ? Peu de chose, est-ont tenté dire, au regard des forces en présence. Si dans les grands centres urbains, des burkinabè de toutes conditions sociales promettent de se battre contre cette forfaiture, il n'en demeure pas moins que la bataille sera rude. Elle sera perdue d'avance tant que toutes les forces de changements ne parleront pas le même langage. Tant qu'il n'y aura pas une plate-forme minimale autour de laquelle l'opposition politique et la société civile se retrouvera pour sonner le rassemblement contre le plan de Blaise Compaoré, il faut craindre que la messe ne soit déjà dite. Déjà, l'opposition comme à ses habitudes se lance dans des déclarations dans la presse qui n'ont aucune portée en ce sens qu'à Kossyam, on s'en moque éperdument.
Le système Compaoré a épuisé toutes ses capacités et énergies pour faire avancer ce pays. Son maintien, ce sera la pérennisation de l'incivisme du sommet de l'Etat à la base. Ce pays n'est pas gouverné depuis quelques années. Avec un gouvernement comme celui de Luc Adolphe Tiao c'est la catastrophe en perspective. Si ce pouvoir se maintient, le pays sera ingouvernable. Mais peut-être que c'est le cadet de leur souci. Le principal étant que Kossyam reste cette citadelle imprenable, cette tour d'ivoire de laquelle le chef a du mal à descendre pour apprécier la juste mesure des souffrances de son peuple du fait de l'ampleur de la corruption qui compromet les chances d'accès aux droits vitaux et aux services sociaux de base. Que Blaise Compaoré estime qu'il a trop fait pour ce peuple et doit continuer dans ce sens, c'est droit légitime de se glorifier. Mais à trop vouloir tirer sur la corde elle peut finir par céder. Il faut éviter de réveiller les démons qui sommeillent en chaque peuple. Le Burkina Faso n'a pas besoin d'un bras de fer inutilement sanglant. S'il est un haut fait d'armes dont Blaise Compaoré peut se glorifier, c'est d'avoir pu maintenir ce pays dans la stabilité sociale et politique. Il doit éviter de détruire ce principal acquis de ses 26 ans de pouvoir. Du reste, comme on le dit, chaque homme a un destin auquel il ne peut échapper. Il ne reste plus qu'à lui souhaiter une sortie beaucoup plus honorable et plus heureuse que son entrée.
Dans tous les cas, il ne faut pas désespérer du peuple Burkinabè, notamment sa frange jeune qui prend de plus en plus conscience que son avenir sera dans le jeu de la concurrence loyale entre plusieurs offres politiques. Peut-être se donnera-t-elle les moyens d'imposer le respect de sa dignité et de ses aspirations à être mieux gouvernée. Les changements peuvent parfois intervenir de façon inattendue. Ils échappent parfois au contrôle et aux calculs de ceux qui croient avoir toutes les cartes. De même, il ne faut pas totalement perdre espoir qu'au bout du compte, Blaise Compaoré se résolve à négocier une sortie, pour la paix et la stabilité politique. C'est une question de rapport de force.
Source : Le reporter