Il était écrit que Blaise ne finirait pas dans l'honneur. Le destin semble s'être noué le soir du 15 octobre 1987. Une grosse trahison suivie d'une inhumanité, l'enterrement précipité de Thomas Sankara, froidement assassiné par les sbires de Blaise Compaoré. Le sort n'a pas mis trop longtemps avant de commencer à demander des comptes en tendant la facture à tous ceux qui de près ou de loin ont trempé dans cette ignominie. De 1987 à 1991, la majorité des exécutants connus ou supposés, sont soit morts, dans des conditions atroces, ou sont devenus fous.
Le sergent Nabié, (pour ne citer que son cas), une force de la nature, identifié comme celui qui a ouvert le feu sur Sankara, est mort après des années de folie. Il restait le principal artisan, Blaise Compaoré. Pour lui le sort semble s'être donné le temps de l'illusionner, avec quelques réussites, avant de le perdre cruellement suivant la prophétie de sa victime qui l'avait prévenu qu'il pouvait tuer Sankara « en lieu et place il allait affronter des milliers de Sankara ».
La prophétie a pris près de 30 ans pour se réaliser. Le 30 octobre, les jeunes de 15 à 26 ans, pour l'essentiel, qui ont débordé l'impressionnante armada militaire que Blaise avait fait déployer pour barricader l'Assemblée nationale, étaient les « Sankara » de la prophétie. Blaise a été rattrapé par le sort qui a travaillé des années durant à brouiller son jugement. Alors qu'au début de son mandat, Blaise Compaoré était un président prudent et scrupuleux, l'usure du pouvoir a eu raison de son jugement. Il a fini par croire qu'il était indispensable au Burkina.
Dans l'une de ses dernières sorties il a traduit ce rôle messianique, en s'imaginant tellement indispensable qu'il disait « qu'il ne voulait pas s'en aller (se reposer ou parcourir le monde) alors que le Burkina derrière lui était dans la tourmente ». Blaise en était venu à se convaincre que : « no Blaise, no Burkina ».
Le recours au peuple !
Dans son dessein d'un pouvoir à vie, Blaise Compaoré et les siens, depuis 2013, après l'échec de la tentative de mettre en place le Sénat, qui lui aurait facilité la révision de l'article 37 par la voie parlementaire, avaient itérativement agité l'épouvantail du référendum. Il pense qu'il fallait en appeler à l'arbitrage du peuple pour qu'il tranche définitivement cette question. Lui et ses « suiveurs » étaient convaincus qu'ils avaient la majorité du peuple avec eux.
Pour s'en convaincre ces deux dernières années, les partisans de Blaise Compaoré se faisaient un point d'honneur à donner la réplique systématique aux activités du CFOP ou des partis membres du CFOP. En début d'année 2014, le MPP nouvellement créé fait une démonstration de force à Bobo. Les partisans de Blaise à travers le Front républicain et le maire de Bobo Dioulasso, Salia Sanou, remplissent « recto-verso » le stade Wobi, en déboursant des sommes folles. En mai, le CFOP appelle ses partisans à remplir le stade du 4 août, pour protester contre le référendum. Un challenge qu'il réussit avec brio.
Quelques semaines après, le Front républicain fait de même. La foule nombreuse convoyée gracieusement remplit les gradins. Le stade est plein, « recto-verso avec intercalaire ». Mais quand Assimi Kouanda prend la parole, les gradins se vident miraculeusement. Le reporter de la TNB ne peut pas montrer un extrait du discours de Kouanda au 20 Heure, sous peine de dévoiler la supercherie.
Signe du destin ? Il faut croire que ni Blaise ni ses thuriféraires du Front Républicain n'avaient encore la lucidité de le décrypter. Cependant, pour réussir une telle mobilisation, il a vraisemblablement fallu une telle débauche d'argent, qu'ils en sont sortis « essoufflés ». Même pour eux, pour qui l'argent n'était pas un problème. A partir de cette manifestation du stade du 4 août, le Front républicain abandonne la surenchère et se contente de petites caravanes à l'intérieur du pays pour « préparer les esprits au référendum ».
Lors d'une de ces caravanes à Gaoua et à la surprise générale, Hermann, le co-président du Front, appelle à un dialogue. Le président Compaoré qui devait se rendre à Washington, pour la rencontre USA-Afrique, a imaginé cette pirouette, pour amadouer Obama et éviter les remontrances qui s'annonçaient. Il n'y échappera pas malgré tout.
Le secrétaire d'Etat américain John Kerry va lui asséner des mises en garde, qui vont faire monter « sa potasse ». Il en sortira tellement fâché qu'il fourbira avant de quitter le territoire américain, une réplique cinglante à Obama : « il faut des hommes forts pour installer des institutions fortes ». Ses partisans, colmatés à la hâte, lui réservent une rencontre triomphale à son retour de Washington.
Le CFOP quand à lui, convoque une démonstration de force le 23 août, pour s'opposer aux propos qu'il a tenu en marge du sommet USA-Afrique. Nous sommes en août, et pour beaucoup d'observateurs, l'initiative du CFOP risque de faire flop. Le 23 août, c'est une foule immense qui se retrouve au rond-point de la Patte d'Oie. C'est un premier avertissement.
A la rentrée politique, en septembre, le président fini par convoquer son dialogue inclusif. En trois rounds, il est clôturé. Blaise renvoie l'opposition. Parallèlement, les négociations avec l'ADF/RDA aboutissent. Le président décide alors, après un Conseil des ministres extraordinaire, le 21 octobre 2014, de saisir l'Assemblée nationale d'un projet de loi modifiant l'article 37 de la constitution. L'ADF/RDA lui a proposé une solution inespérée. Un nouveau bail de 15 ans, (le quinquennat est renouvelable désormais deux fois, au lieu d'une fois).
Blaise Compaoré en est tellement heureux, qu'il ne prête plus attention à rien. Le 28 octobre à l'appel du CFOP, un monde fou envahit les rues de Ouaga et celles des principales villes de l'intérieur du pays. Le 29 octobre, il tient son conseil des ministres, comme si de rien n'était. Le soir du 29, par des canaux indiqués, des personnalités de l'opposition lui font parvenir des messages le prévenant d'un risque de dérapage le lendemain 30 octobre. Il répond « ce n'est pas grave. Faites ce que vous avez à faire ». Il fait séquestrer les 99 députés de la majorité, à Azalaï Hôtel, pour les conduire le lendemain 30, directement à l'hémicycle pour qu'ils votent. Pour Blaise, avec le soutien de l'ADF/RDA, la révision de l'article 37 est acquise.
Le référendum restait tout de même une option B. Si jamais, le quorum des 96 votes n'était pas acquis à l'Assemblée nationale. Mais tout montrait que le vote de la loi allait se faire à l'Assemblée nationale. Blaise Compaoré n'a lésiné sur rien. Il est revenu de Taïwan avec une mallette de 50 milliards, officiellement destinée à lutter contre la fièvre à virus Ebola, mais c'est une somme dont la gestion est à sa discrétion. Le soir du 29 octobre, les députés séquestrés auraient reçu, chacun 5 millions f.cfa, sous forme d'acompte.
Blaise leur a assuré qu'il allait prendre en charge tous les dégâts qu'ils subiraient consécutivement au vote de cette loi. Par ailleurs, il a fait mobiliser toutes les forces de sécurité, pour protéger l'Assemblée nationale. Certaines sources parlent de 8000 éléments mobilisés. Il a aussi sorti ses chars. En fait tout l'arsenal de répression qu'il avait accumulé ces dernières années, à coût de milliards de francs cfa, dans la perspective de la modification justement de cette disposition constitutionnelle. Pour Blaise Compaoré, le 30 octobre, c'était « un coup K.-O. ».
Pour le peuple aussi, répondant à l'avertissement de Zéphirin Diabré, c'était « vraiment la patrie ou la mort ». Ce 30 octobre, des centaines de milliers de jeunes prennent d'assaut les barricades des forces de sécurité. Les députés dès 9 heures, sont tous dans l'enceinte de l'hémicycle. La séance est prévue pour débuter à 10 heures. A 9h10 les députés de l'opposition derrière le Boussouma font leur entrée. Ils ne sont pas optimistes.
On n'attend plus que l'entrée triomphante des 99 députés de la majorité. Gilbert Noël Ouédraogo est dans son bureau de vice-président. Alain Yoda, dont on dit qu'il est en réalité le vrai patron de l'Assemblée nationale, poursuit les tractations dans son bureau. Il ne veut pas reproduire l'échec subi quand il a initié la pétition, appelant le président à convoquer le référendum, il y a quelques semaines. L'initiative avait foiré, pace que tous les députés de la majorité n'avaient pas accepté le signer. Cette fois, il veut éviter toute fausse note.
A 9h20, les tirs de gaz lacrymogène, se rapprochent dangereusement de l'hémicycle. A 9h 22, les jeunes ont explosé le dispositif sécuritaire et font mouvement vers l'Assemblée nationale. A 9h25, ils sont là, devant l'hémicycle. La tête de pont des manifestants s'engouffre dans l'enceinte de l'Assemblée nationale à la recherche de Gilbert Ouédraogo, qu'ils ne tardent pas à retrouver dans son bureau. Il est complètement affolé et il leur propose des liasses d'argent. Il reçoit une gifle cinglante. Dehors, d'autres sont sur les traces de Benjamine Douamba qu'ils retrouvent. On vous fait grâce, des détails pour ne pas « polluer votre mental ».
Plus tôt le maître des lieux, Soungalo, en vrai athlète avait dévalé les escaliers pour s'engouffrer dans la première voiture dégotée par sa sécurité qui l'exfiltre de justesse. A 9h40, le bâtiment de l'hémicycle est en flamme. Le peuple, le dépositaire originel du pouvoir, venait de faire son référendum, en dépossédant les députés de leur mandat. Le reste est allé très vite. Le gouvernement retire son projet de loi. Sauf que des hordes d'insurgés sont déjà devant Kosyam. Ils ne veulent plus rien d'autre que le départ de Blaise. C'est un « impeachment populaire ». Le référendum que Blaise appelait de tous ses vœux, il venait de l'avoir, à son détriment.
Par Newton Ahmed BARRY
L'histoire s'est accélérée en 7 jours :
Le 21 octobre, le président Compaoré après une séance extraordinaire de conseil des ministres, décide de soumettre un projet de loi modifiant l'article 37 de la Constitution qui l'empêche de briguer un nouveau mandat après novembre 2015.
Le même soir, les jeunes prennent d'assaut les rues de Ouaga et montent des barricades. Les affrontements avec les CRS commencent. Mais visiblement les CRS ne sont pas très méchants. Par endroits, ils fraternisent discrètement avec les jeunes.
Le 22 octobre, le CFOP convoque une conférence de presse pour annoncer un meeting pour le 28 et décréter la « phase affrontement »
Le 28 octobre, un monde fou envahit la place de la nation. La marche projetée est impossible à faire, tellement les rues attenantes à la place de la nation sont bondées de monde.
Le 29 octobre, Blaise décide de séquestrer les députés en réquisitionnant l'hôtel Azalaï. Un hôtel contigu à l'Assemblée nationale.
Le 30 octobre, toutes les rues menant à l'hémicycle, sont barricadées par une armada impressionnante de forces de sécurité. Le vote de la loi est prévu pour 10h. A 9h25, des milliers de jeunes débordent les forces de sécurité, les mains levées, et envahissent l'Assemblée nationale qu'ils incendient.
Le 31 octobre à 11 heures, Blaise signe sa lettre de démission et prend la fuite vers Po, qu'il n'atteindra pas. Ainsi se refermait piteusement 27 ans de pouvoir de l'homme « fort » du Burkina. »
NAB