Quelles politiques fiscales pour un Burkina Faso post transition ?

| 05.12.2015
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Tidiane  KABORE - Inspecteur des impôts/Direction Générale des Impôts/Direction des Grandes Entreprises/Service d’Assiette (Juriste-Sociologue)
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Tidiane KABORE - Inspecteur des impôts/Direction Générale des Impôts/Direction des Grandes Entreprises/Service d’Assiette (Juriste-Sociologue)
Dans la théorie traditionnelle des finances publiques, les rôles que l'on attribue à la politique fiscale sont, financier, économique et social. Sur le plan financier, le système fiscal doit être en mesure de trouver les ressources nécessaires au fonctionnement de l'Etat. Sur le plan économique, la politique fiscale peut servir à réguler l'activité économique en modifiant l'effort fiscal demandé aux contribuables ou bien prendre la forme d'incitations fiscales visant à réduire la pression fiscale afin de relancer la consommation, l'investissement et l'emploi.

Certains types de dépenses publiques contribuent à améliorer la productivité du secteur privé. Les dépenses de sécurité et de maintien de la paix, d'infrastructures, de santé et d'éducation entrent dans cette catégorie de dépenses publiques productives. Tous les rapports des institutions de Breton Wood concluent que le manque d'infrastructures socio-économiques hypothèque fortement la croissance économique et le développement social dans beaucoup de pays Africains. Sur le plan social, la fiscalité est un instrument de redistribution des revenus dans le sens d'une plus grande équité sociale. Les recettes fiscales constituent donc un instrument essentiel des stratégies de développement. Comment, en effet, concevoir une politique de développement si les recettes fiscales sont déficientes ? Comment financer son projet de société dans un contexte international où l’aide au développement se fait de plus en plus rare ? Vu sous cet angle, les principaux défis pour les futurs gouvernants seront de trouver l'équilibre optimal entre un système fiscal qui soit favorable à l'entreprise et à l'investissement, tout en dégageant suffisamment de recettes pour financer les investissements publics qu’ils ont promis lors de leurs campagnes politiques.

Aussi faudra t-il traiter avec efficacité et sans complaisance ces questions ci-dessous s’ils veulent compter sur ses propres forces en attendant l’apport extérieur :

  • l ‘accélération de la procédure d’apurement des Restes à recouvrer (RAR) et des chèques impayés;
  • la lutte sans complaisance contre la fraude et l'évasion fiscale ;
  • l'élargissement de l'assiette fiscale;
  • la lutte contre l’incivisme fiscal.

I- L‘accélération de la procédure d’apurement des Restes à recouvrer (RAR) et des chèques impayés

Dans le dispositif fiscal Burkinabè, les restes à recouvrer (RAR) représentent la différence qui existe entre les impôts déclarés par un contribuable et ceux effectivement recouvrés par les structures en charge de les recouvrer. De ce qui ressort du rapport de la commission chargée de l’enquête parlementaire sur la fraude fiscale, l’impunité fiscale, les RAR et les chèques impayés, les régies de recettes (DGI-DGD-DGTCP) ont enregistrés un manque à gagner très important qui se chiffre à 231 749 140 153 francs CFA, entament ainsi la capacité du budget de l’Etat à financer des projets de développement. A titre illustratif, le manque à gagner par régie de recette (2012-2013-2014) est récapitulé dans le tableau ci-dessous comme suit:

Régies RAR Chèques impayés Total
DGI 123 618 035 492 6 739 014 701 130 357 050 193
DGD 29 218 338 165 17 522 360 925 46 740 699 090
DGTCP 49 036 399 561 1 263 056 009 50 299 455 570
Autres ------- 4 351 935 300 4 351 935 300
Total 201 872 773 218 29 876 366 935 231 749 140 153

Source : rapport d’enquête parlementaire sur la fraude fiscale, l’impunité fiscale, les RAR et les chèques impayés. (CNT, octobre 2015)

Au regard de cette situation très peu reluisante pour le budget national, des mesures vigoureuses s’imposeront donc aux nouveaux dirigeants post transition. Nous pouvons donc affirmer que c’est une première dans l’histoire du Burkina Faso ou des parlementaires ont pris l’engagement de contrôler l’action du gouvernement sur ces questions fiscales. La transition à travers le Conseil National de la Transition(CNT) a joué sa partition en levant le lièvre comme on le dit couramment. Reste maintenant aux dirigeants qui viendront de prendre des mesures fortes pour recouvrer ces recettes fiscales qui contribueront à n’en pas douter au financement du programme de société sur lequel les populations se sont fondés pour les élire.

II- La lutte contre la fraude et l'évasion fiscales

La fiscalité joue un rôle essentiel dans la mobilisation des ressources nationales, surtout dans le cas du Burkina Faso. Mais l’un des défis qui se présentera aux futurs dirigeants est celui de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale. De nos jours, ces deux phénomènes ont pris de l’ampleur à tel point qu’ils doivent être traités avec la plus grande précaution et beaucoup de technicité au plan interne comme à l’externe.Déjà en 2008, un sous-comité du Sénat des États-Unis avait diffusé un rapport soutenant que les banques situées dans des paradis fiscaux coûtent aux contribuables américainsprès de 100 milliards de dollars par an sous forme de pertes de recettes publiques. Cettefuite s'est opérée malgré l'efficacité des lois et des institutions des États-Unis ainsi quedes autres mécanismes permettant de contrôler la fraude fiscale. Si une telle fuite de capitaux se produit dans un cadre réglementaire généralement perçu comme efficace, onpeut imaginer l'ouverture considérable laissée aux pratiques frauduleuses dans des pays comme le Burkina Faso.

En effet, le rapport d’enquête parlementaire sur la fraude fiscale nous rapporte que le budget de l’Etat enregistre une perte de recettes douanières annuelle dans l’ordre de 22 680 000 000 francs CFA rien que dans le secteur de l’importation des motos. Pour ce qui est du carburant, le manque à gagner par l’Etat, lié à la fraude douanière est estimée annuellement à 21 807 134 875 francs CFA. Ces achats à l’extérieur non déclarés en douane seront revendus sur le territoire national et les bénéfices générés ne seront pas taxés par les services des impôts. D’autres impôts et taxes liés le seront également. Raison pour laquelle il est dit qu’une perte pour la Douane l’est également pour les services des impôts.

A l’analyse, un constat s’impose : la fraude tout comme l’évasion fiscale ont pour conséquence majeure une déperdition des recettes budgétaires. Quant à son évaluation, il paraît que les administrations fiscales et douanières éprouvent de sérieuses difficultés pour donner des chiffres fiables. Ce problème de quantification s’explique selon Levine P (la lutte contre l’évasion fiscale de caractère international) par le fait le phénomène a conservé son caractère clandestin et occulte.Sur ce point les futurs dirigeants gagneraient à renforcer à l’interne la collaboration entre les régies de recettes et au plan externe avec l’OCDE, l’ATAF et le CREDAF.

III-l'élargissement de l'assiette fiscale

Le Burkina Faso fait partie des pays africains qui disposent d'une assiette fiscale étroite. En effet, la proportion de contribuables dont les revenus sont soumis à l’impôt est faible par rapport au potentiel fiscal existant. Des opérations de recensement fiscal sont organisées tous les ans mais une part plus importante de la population fiscale reste toujours dans l'économie informelle et à se faire sous imposer. Il est urgent de promouvoir des réformes fiscales visant à élargir la base d'imposition et prendre des mesures incitatives à l’effet de faire venir les contribuables du secteur informel dans l'économie formelle. Par ailleurs, l’élargissement de l’assiette fiscale permettra sans doute de réduire la dépendance vis-à-vis de l'aide et des rentes minières qui sont tarissables. L'un des problèmes les plus pressants auxquels doit faire face les futurs gouvernants consiste à rechercher une voie pour libérer les Burkina Faso d'une dépendance excessive à l'égard des flux de capitaux d'origine externe tels que l'aide étrangère. A cet égard, une condition indispensable est le renforcement de la capacité de mobilisation des ressources nationales. Les recettes nationales doivent constituer l'une des principales sources d'expansion de l'espace budgétaire en raison de leur caractère durable, ce qui permet de réduire la dépendance à l'égard de l'assistance des pays donateurs. Ces aides et dons sont souvent accompagnés de conditionnalités alors que l’éveil des consciences au Burkina Faso fait qu’il sera difficile pour un dirigeant d’appliquer des conditionnalités qui iront à l’encontre des intérêts des populations. La norme communautaire en matière de pression fiscale est de 17% dans l’espace UEMOA mais le Burkina Faso doit viser le taux de 20% comme certains candidats à la présidentielle l’ont déjà souligné dans leurs projets de société. En effet, la pression fiscale ou rendement fiscal ou coefficient fiscal est le pourcentage que représente le prélèvement fiscal plus éventuellement les cotisations sociales par rapport à la richesse de la nation. Donc, la pression fiscale s’accroît avec le développement économique et l’augmentation des revenus per capita. Aussi, avec l’augmentation de la masse des richesses, une part importante de celles-ci peut être appréhendée par l’impôt sans qu’il soit porté atteinte au minimum vital. Il s’agit de la pression fiscale au niveau de l’ensemble de la nation et c’est cette pression fiscale dont on parle qui est la plus usitée et dont il faudra travailler rehausser le taux. Selon des éminents spécialistes des questions fiscales comme Lucien Mehl et Pierre BELTRAME, le rendement fiscal ou taux de pression fiscale le plus élevé dans un pays correspond à une forte industrialisation du pays. Ils prennent en exemple les cas, de la suède, de la Norvège et du Danemark.

IV- La lutte contre l’incivisme fiscal

Martinez jean Claude dans son ouvrage intitulé la fraude fiscale dit ceci « « Ainsi, au lieu de mettre son costume du dimanche pour aller payer l’impôt comme le grand père de jean Monnet, le contribuable moderne aurait plutôt tendance à mettre sa tenue de combat » ». Comme pour dire que le refus de l’impôt fait partie intégrante du comportement de tout citoyen moderne. Alors, sommes nous tentés de poser la question suivante : qu’est ce qui peut amener le citoyen dans le contexte Burkinabè à réfuter l’adhésion à l’impôt, aux taxes et droits de douanes ?

En effet, l’incivisme fiscal dans notre contexte tire essentiellement sa source de la mauvaise gouvernance. Les futurs gouvernants devraient éviter les erreurs commises par le précédent régime durant ses 27 ans de gestion. Il s’agit d’éviter la protection des fraudeurs au nom de cette expression « « il a trop fait pour le parti durant la campagne » », éviter de récompenser des amis politiques par l’octroi d’exonérations fiscales et douanières quelconque. Ils doivent être des exemples en acceptant payer eux-mêmes leurs impôts.

la protection politique des fraudeurs sape l’effort des régies de recette et promeut l’incivisme fiscal. Comme disent certains opérateurs économiques, il faut être fou pour te ranger du côté des perdants. Pour dire donc que beaucoup d’opérateurs économiques au Burkina ont bâti leur fortune sur la fraude fiscale et douanière. Il suffisait juste de détenir la bonne carte comme on le disait et le tour était joué. Bonjour les fausses factures de TVA déductibles, (d’ailleurs la TVA était devenue la marge bénéficiaire de certains contribuables), les faux enregistrements de marchés, bien sûr avec les faux timbres importés... et si par hasard ces contribuables étaient coincés par les services compétents, interviennent donc ces hommes politiques pour défendre un militant actif qui a toujours contribué aux succès des manifestations du parti dans la Région. Ceux qui ont choisi d’être honnêtes dans leurs obligations fiscales ne voyant pas sanctionner les mauvais élèves sont obligés d’emprunter une autre voie qui est la fraude. Comme le dit l’adage, quand on ne peut pas obtenir la justice on est tenté de se rendre soi même justice. Nous serons bientôt au lendemain des élections et il faudra bien que le militant qui s’est battu pour que son candidat devienne président ou député ou maire se dise que le véritable soutien sera de s’acquitter de ses obligations fiscales afin de permettre à son candidat élu de financer leur programme commun.

Les exonérations fiscales massives dans le système fiscal burkinabè sont une des causes de l’incivisme fiscal grandissant. Pendant que l’on invoque le principe de l’égalité de tous devant l’impôt, certaines entreprises bénéficient gracieusement d’exonérations totales ou partielles. Ce qui est normale pour certains contribuables, puisque la loi en prévoit, aussi (les conventions bilatérales, les immunités...), mais le drame est que ces entreprises à l’expiration des avantages font mourir l’ancienne et recrée d’autres entreprises nouvelles souvent avec les mêmes installations(même siège, même personnel...) pour bénéficier à nouveau des mêmes avantages que leur accorde les codes des investissements, des impôts ,des douanes. Leurs effets sur la concurrence peuvent être pervers et leur stimulation à l'investissement n'est pas avérée. Beaucoup d'études ont d'ailleurs montré que la décision d'investissement des entreprises est plus influencée par d'autres facteurs (stabilité politique, transparence des affaires, sécurité des capitaux,...) que par la fiscalité.

Or les avantages fiscaux accordés par ces dispositions diverses peuvent aller jusqu'à cinq (5) ans d'exonération d'impôts, voire plus. Ainsi, à la fin du régime de faveur, les entreprises qui en bénéficiaient ont généralement du mal à faire face à leur nouvelle situation fiscale. A ce propos, l'étude du FMI sur les propositions de réforme fiscale réalisée en avril 2008 pour le compte du gouvernement burkinabé indique que les contribuables qui bénéficient des avantages du code des investissements ne sont pas motivés à maintenir leurs activités dans le secteur formel à la fin de la période d'agrément. Ce qui peut les amener soit à rechercher de nouveaux avantages fiscaux par une simple restructuration de leur entreprise, soit à glisser dans l'économie souterraine. Sur ce point ,l’Etat doit impérativement faire l’inventaire des exonérations en cours pour voir ce que l’Etat perd comme argent et revoir les conditions d’octroi de ces avantages fiscaux .une étude réalisée en 2010 avait estimé le manque a gagner pour l’Etat Burkinabè a plus de 144 000 000 000 de francs CFA. Il sera intéressant que les futurs gouvernants exigent l’évaluation annuelle de ces dépenses fiscales à l’instar du Sénégal afin de mieux réorienter l’octroi de ces avantages qui entament sérieusement le budget de l’Etat Burkinabè.

Le management par l’exemple doit être l’un des défis à relever par les futurs gouvernants dans le domaine de la fiscalité. Il est inconcevable que ceux qui sont chargés de voter la loi fiscale s’exonère de tous impôts et taxes sur leurs rémunérations. Si les parlementaires sous la transition ont accepté de payer l’impôt unique sur les traitements et salaires(IUTS), ceci est une invite à l’endroit des futurs parlementaires à supprimer les dispositions del’article 56 du code des impôts Burkinabè qui exonère en son point 4 les revenus des parlementaires. Les prêts accordés aux ministres et présidents d’institutions, l’acquisition des véhicules de parlementaires hors taxes hors douanes devraient être revus.

Loin de nous l’idée d’avoir épuisé le débat sur les enjeux fiscaux dans le Burkina post transition, c’est tout simplement l’occasion aussi d’apporter notre modeste contribution au débat public en cours. Eclairer l’opinion, attirer l’attention des futurs gouvernants sur ce qui pourrait être les priorités des priorités dans un domaine aussi sensible comme la fiscalité s’impose à nous techniciens de la fiscalité. Aussi, la nécessité d’organiser dans les meilleurs délais les états généraux de la fiscalité (intérieure : DGI, DGTCP comme de porte : DGD) s’imposera forcement aux futurs gouvernants s’ils veulent mener une bonne politique fiscale et douanière. Le conseil présidentiel pour l’investissement(CPI) avait déjà tracé les sillons dans ce sens en organisant courant août à Koudougou les travaux préparatoires des états généraux de la fiscalité.

Tidiane KABORE
Inspecteur des impôts/Direction Générale des Impôts/Direction des Grandes Entreprises/Service d’Assiette (Juriste-Sociologue).
Chargé de cours de fiscalité à l’Ecole Nationale d’Administration et de Magistrature (ENAM)
Contacts : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. / 70398694

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