Présidence de la transition au Burkina Faso : voici l’Homme !

| 05.11.2014
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Présidence de la transition au Burkina Faso : voici l’Homme !
© DR / Autre Presse
Présidence de la transition au Burkina Faso : voici l’Homme !
Ecce homo (voici l'homme) aurait-on souhaité s'écrier, si tant est que l'homme providentiel existait pour conduire cette transition.

C'est désormais acté : la transition va et doit échoir à un civil pour nous éviter la furie et l'incurie des institutions internationales. Celles-là même qui ont pourtant marqué par leur silence pour ne pas dire leur absence quand M. Compaoré tentait contre vents et marées d'envoyer ad patres l'article 37 en violation flagrante de leurs propres dispositions. La dépendance dans laquelle notre pays se trouve et la perspective d'une asphyxie financière sont telles que nous n'aurions pas véritablement le choix. Mais ce n'est pas tant qu'on n'a pas le choix, la gouvernance civile est aussi notre choix. Les exigences internationales font ainsi échos aux réclamations de de la société civile et politique qui a orchestré et conduit l'insurrection populaire. Et si d'ici la fin de ce mois, les salaires ne sont pas virés, il faut craindre que le président de la transition, qui qu'il soit, soit lui-même viré. Il faut donc faire vite et bien, pour limiter les contrecoups économiques de la crise sociopolitique. Si l'homme providentiel n'existe pas, on peut imaginer son portrait-robot. L'ère des tractations mais aussi des pronostics est ouverte.

Le portrait-robot

La bonne conduite de la transition nécessite d'abord que le nouvel homme fort ait l'étoffe d'un homme ou d'une femme d'État, qu'il connaisse les rouages de l'administration et soit capable de pourvoir à la continuité du service public. Fort heureusement, nous ne sortons pas de guerre et notre administration est bien fonctionnelle et toutes les institutions sont opérationnelles, excepté celles qui ont subies la vindicte populaire et ont été exorcisées par les flammes. En Centrafrique, il y avait tout un appareil d'État à reconstruire ; nous n'en sommes pas là fort heureusement. Ensuite, il faut s'en convaincre, la transition demande un travail diplomatique intense pour préserver notre place dans le concert des nations et défendre l'image de cette révolution, etc. A défaut d'être un diplomate chevronné, le Président de la transition gagnerait donc à avoir une expérience de l'international. Deux options sont envisageables : la désignation d'une personne qui aura été de tous les combats sur le terrain contre le référendum ou la désignation d'une personnalité extérieure. Le Président de la transition devra être garante de l'égalité des chances entre les « présidentiables ».

Les options sur la table

Pour notre part, nous inspirant de certaines expériences de transition mal ficelées nous postulons qu'il y a certains écueils qu'il faudrait absolument éviter. Le premier est la tentation du ROI (return on investment ou retour sur investissement), le second est la tentation du genre. La tentation du ROI s'entend de cette volonté de capitaliser sur la lutte. Certains pourraient ainsi s'approprier la lutte et la victoire et s'estimer en droit de diriger la transition. La randonnée auto-proclamatrice de Saran Sérémé aurait eu cet effet si elle avait abouti. Le second reviendrait à confier la transition à une femme, juste pour l'image, sans considération de ses compétences et de sa capacité à fédérer les énergies autour d'elle. Le syndrome centrafricain montre bien que le simple fait d'être femme ne suffira pas pour conduire à bien la transition. Mais cela ne justifie pas non plus qu'on n'envisage pas la possibilité qu'une femme vienne aux affaires. Il faut éviter le syndrome malien d'un homme sans poigne comme Dioncounda Traoré. Au regard de tout ce qui précède, quelles sont les chances de certaines de nos personnalités, leurs forces et leurs faiblesses ?

Les forces et faiblesses de certains acteurs

Si on succombe à la tentation du ROI, l'opposition politique ou la société civile qui a été au-devant de la lutte pourrait réclamer le droit de conduire la transition. Pour ma part, la société civile devrait se tenir hors des organes politiques de la transition afin de préserver leur crédibilité et veiller avec vigilance à la bonne conduite de la transition. La société civile, dans ce qu'elle a de techniciens, devrait s'investir dans la construction d'institutions fortes : une nouvelle constitution pour une 5ème République sanctuarisant l'article 37, une réforme du Conseil constitutionnel et du Conseil supérieur de la Magistrature pour mieux garantir son indépendance, une réforme de l'armée qui devrait emporter le RSP, une réforme des médias publics pour éviter leur confiscation par les pouvoirs en place, etc. C'est dans cette tâche que je vois les professeurs Loada, Ibriga, SOMA, Maître Kam et bien d'autres. Si la société civile devient politique, il y a à craindre qu'elle se compromette.

Au sein de l'opposition, le statut de présidentiables de Roch et Zéphirin font que leurs partis sont hors course pour la conduite de la transition, car c'est une évidence que le Président et tout l'exécutif de transition ne pourraient en aucun cas prétendre aux élections de 2015 ; la charte de la transition doit en faire une règle d'or. Maître Sankara ainsi que Ablassé Ouédraogo sont pour moi les deux plus sérieux prétendants au sein de l'opposition. Le premier a pour lui le statut et l'expérience d'ancien chef de fil de l'opposition (CFOP). Toutefois, il est très clivant : on l'aime ou on le déteste, et il n'a plus l'aura des années du jugement de l'affaire David Ouédraogo. Je doute que dans la situation actuelle le fait d'être clivant soit une qualité indispensable. Le second a pour lui le statut d'ancien ministre des affaires étrangères (le père de la diplomatie du développement), une expérience des institutions internationales (DGA de l'OMC) et sans doute un carnet d'adresse pour repositionner notre pays. Il a été le porte-voix du CFOP dans les médias ces derniers temps. Toutefois, ses altercations avec Le Balai Citoyen sur les médias ces derniers temps sur RFI porte un coup au capital de sympathie. La conduite de la transition exige une certaine pondération que l'honorable devrait vite retrouver.

Si l'on sort de la tentation du ROI, la transition devrait échoir à une personnalité qui n'aura pas forcément été au premier plan de la lutte contre le référendum, mais qui a le profil de l'emploi, un fonctionnaire international, homme d'État, diplomate chevronné. Quoi que l'absence physique aux manifestations n'est pas toujours un manque d'implication personnelle dans la lutte. Certains ont manifesté de diverses manières leur solidarité à la lutte que mènent leurs concitoyens malgré les contraintes de l'obligation de réserve attachés à leurs fonctions.

Sur ce tableau, Kadré Désiré Ouédraogo a pour lui l'expérience d'un ancien premier ministre et de Président de la Commission de la CEDEAO. Difficile cependant d'être juge et partie, la CEDEAO étant une des instances qui menace de sanctionner, on voit mal que son Président en vienne à assumer la transition. On interrogera aussi ses liens et sa position dans l'ancienne majorité. Le CDP ayant conduit ce pays aux bords de l'abîme, je doute que le peuple soit prêt à voir un présumé proche de Compaoré revenir au-devant de la scène pour diriger la transition. KDO entretient de relations avec le Président ivoirien et on peut craindre que par ce biais, Blaise tire les ficelles. Il faut douter qu'il le veuille.

Jean-Baptiste Natama, directeur de cabinet de la Commission de l'Union Africaine, a aussi et sans nul doute le profil de l'emploi. Il a en sa faveur une bonne connaissance de l'État et le statut de diplomate chevronné. Son passage à la tête du MAEP a été salué de tous et le rapport que cette institution a produit sur la gouvernance au Burkina est souvent cité, repris. Il a su s'extirper de la tutelle présidentielle du MAEP pour produire un travail qui continue d'être une référence pour tous les acteurs. Il a pour lui aussi une grande expérience au sein du ministère des affaires étrangères du Burkina, de l'ONU et de l'Union Africaine. Il a aussi et surtout un atout essentiel dans le contexte actuel où civils et militaires devront conduire ensemble la transition. Il est un officier en réserve de l'armée, qui a été décoré de la médaille de guerre par le Président Thomas Sankara pour des faits d'arme pendant la guerre Burkina-Mali. Mais après les brimades subies après 1987, le statut de civil diplomate a pris le dessus sur celui de militaire. On peut donc dire que son expérience et son statut fait cette synthèse utile à la cohabitation entre civils et militaires. Si son institution a été silencieuse dans cette crise, lui s'est fendu d'un message de solidarité à l'égard du peuple en lutte contre la modification de l'article 37. Il avait aussi donné une interview sur Burkina24 qui ne laissait pas dubitatif quant à son opposition à l'éventualité d'un référendum sur ce sujet. Sans s'être affiché au premier plan, il n'a donc pas été étranger à cette lutte. Et sa position actuelle lui offre une longueur d'avance pour repositionner notre pays et renouer les relations avec les pays étrangers et les institutions internationales. Mais là aussi, la question reste posée. Souhaiterait-il assumer cette responsabilité ? Quelle que soit l'issue des tractations, espérons que le Burkina Faso puisse se doter d'un homme qui travaille à la construction d'institutions fortes garantes de progrès socioéconomique et politique.

Sidpawalemda H. Ouédraogo
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