Force est de constater, qu'au Burkina Faso moderne, surtout durant les 27 ans de règne de Blaise Compaoré, avec tout le respect que je dois à nos institutions judicaires, j'ose affirmer qu'elles ont été et restent toujours sous la transition actuelle, les maillons faibles de l'appareil d'Etat. Les institutions judiciaires ont été instrumentalisées, corrompues et affaiblies par les plus forts et les plus riches pour leurs intérêts égoïstes, etc.
La situation nationale actuelle est la conséquence de cette faiblesse ou insuffisance de fonctionnalité de nos institutions judicaires. Cette faiblesse de la justice conjuguée à la peur (ou la prudence extrême) des acteurs politiques de la transition, en dépit des efforts de nos sages, sont à l'origine du chaos qui nous guette.
Des personnes physiques et morales ont posé et continuent de poser des actes répréhensibles dans ce pays sans que les institutions judiciaires ne réagissent. Tout laisse à croire, que nos institutions judiciaires ne sont pas encore sorties de leur léthargie même après les états généraux de la justice. Si non, comment expliquer que des individus parce qu'ils détiennent les armes (que le peuple leur à confié pour assurer sa sécurité), portent atteinte à l'autorité de l'Etat sans que la justice ne réagisse et reste spectatrice. Peut être, elle attend comme dans le passé, le signal de son maître pour se mettre à l'œuvre, etc.
Je comprends la profondeur du mal dans le dysfonctionnement de nos institutions surtout judiciaires et l'importance des risques encourus dans la manifestation de la vérité sur certains crimes. En effet, les acteurs directs et indirects des crimes de sang et de crimes économiques liés à la politique au Burkina Faso, sont dans des réseaux très influents dont les ramifications vont au-delà de nos frontières. Ces risques sont tellement importants, incalculables et imprévisibles que la sagesse nous préconise de faire recours à d'autres formes de rendre la justice aux victimes et leur ayants droit, tout en préservant la paix et la concorde nationale.
Il reste bien entendu que toute forme de résolution (soit disant pacifique) des différents qui opposent des citoyens sans justice réelle, reste précaire et peu viable dans le temps. Le monument du Pardon et les journées de pardon à des coûts exorbitants (en milliards de francs CFA) sur le dos des pauvres contribuables en sont des exemples. Nous devons tirer leçons de ces échecs, pour enfin résoudre de façon pacifique et durable les problèmes de justices du passé récent, tristement célèbre du Burkina Faso.
Sans la résolution de ces problèmes qui nous divisent et qui ont été en grande partie à la base de l'insurrection populaire, nous assisterons à des élections qui risquent de ne pas avoir des lendemains meilleurs quelque soit le président qui sera élu. Il est impensable en médecine, de vouloir faire un pansement d'une plaie tout en se refusant de la nettoyer, d'extraire les corps étrangers, les impuretés qui souillent cette plaie. Par analogie, nous voulons décréter la paix, l'état de droit dans l'impunité et dans l'injustice totale. Cela me semble politiquement peu logique, surtout dans le contexte africain où le pouvoir financier influence grandement l'issue des élections.
La transition a belle et bien le pouvoir et doit bénéficier du temps nécessaire pour rendre cette justice. Les raccourcis empruntés avec l'adoption du nouveau code électoral sont entrain de montrer leurs limites. Cela n'est pas encore fini, par exemple, sur quelle base juridique et factuelle, les juges chargés de valider les candidatures aux élections en vue, donneront leur délibéré sans contestations ? Nous courons le risque de nous enliser or gouverner c'est prévoir.
L'expérience montre que les nations qui ont connues des crises sociales importantes et qui ont réussi leur transition démocratique, sont passées par des formes de justice exceptionnelle et consensuelle afin de permettre aux citoyens de se pardonner, de se réconcilier et de continuer à vivre ensemble de façon pacifique. Pourquoi, nous voulons faire l'exception, réinventer la roue, si ce n'est pas pour des intérêts égoïstes et partisans ?
Suite à l'appelle du Président de la transition, je mets sur la table quelques idées à débattre :
- Mettre en place, sans tarder, un Comité National de Vérité, Justice et Réconciliation (CNVJR) avant la tenue de toute élection ;
- Doter ce comité de moyens financiers conséquents avec l'appui de tous les Donateurs nationaux et internationaux pour la réalisation de ses missions en vue de consolider de façon durable la paix au Burkina Faso ;
- Accorder la possibilité au CNVJR de faire recours à toute expertise nationale ou internationale, nécessaire à la réalisation de ses missions ;
- Prévoir à l'avance que toute personne physique qui sera reconnue coupable de crime de sang lié à la politique, devra demander publiquement pardon aux victimes et en retour ne sera pas emprisonnée, mais perdra certains droits civiques pendant une période donnée (par exemple le droit d'éligibilité) ;
- Prévoir à l'avance que l'Etat (c'est-à-dire nous tous) devra dédommager les familles des victimes de crimes de sang liés à la politique ;
- Prévoir à l'avance que toute personne physique ou morale qui sera reconnue coupable de crime économique en liens avec sa position politico-administrative ou ses relations avec les dirigeants, remboursera à l'Etat son dû, sans intérêts et sans pénalités, mais perdra certains droits civiques pendant une période donnée (par exemple le droit d'éligibilité pour les personnes physiques) ;
- Inclure la dissolution du Régiment de Sécurité Présidentielle (RSP) dans le texte portant création et fonctionnement du CNVJR ;
- Revoir le code électoral pour être en conformité avec les textes internationaux que le Burkina Faso a ratifié ;
- Remanier le gouvernement de façon consensuelle en mettant en place des ministres technocrates moins impliqués dans le passé, dans la gestion des affaires politiques ;
- Reporter les élections pour une période nécessaire à la réalisation de ce travail préalable (de Vérité, Justice et Réconciliation) indispensable à l'instauration d'une paix durable au Burkina Faso (voir à la tenue de toute élection apaisée et crédible au Burkina Faso).
J'estime que ce temps que nous perdrons, du moins que nous consacrerons à ce travail préalable très précieux, sera d'un apport important dans le développement humain durable de notre chère patrie. Il convient de saisir la décision de la cour de la CEDEAO comme une opportunité pour négocier la prolongation de la transite. Nous ne devons pas nous précipiter pour aller aux élections sans sortir réellement de la crise sociale. Le fond du problème, les criminels ont peur et ont besoin de garanti, d'une porte de sortie... Dans le cas contraire ce serait toujours la logique du rapport de force brutale et la crise va perdurer même après les élections.
Dr SOURA Yorba
Consultant indépendant
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