A la lecture de l'Arrêt cependant, en profane, j'ai cherché en vain ce qui ordonne l'Etat burkinabè à abroger la disposition litigieuse, effet recherché par les plaignants. A chaud, j'ai fait le commentaire suivant dans les réseaux sociaux : « Mes chers compatriotes, allons doucement quand on est pressé. Prenez le temps de bien lire le verdict de la cour. Si on te condamne par écrit, tout en t'ouvrant des artifices et des boulevards juridiques pour que tu obtiennes ce que tu veux, où est le problème in fine ? En fait, celui qui à première vue semble être le gagnant / ou le perdant, ne l'est pas en réalité. La cour a renvoyé très subtilement et habilement la question au Conseil constitutionnel du Burkina Faso qui, en dernier ressort interprétera et donnera un contenu précis à la loi au regard d'un contexte qu'il connait mieux, tout en apportant les aménagements nécessaires pour ne pas être en porte- à-faux avec les engagements internationaux du Burkina Faso. En définitive, ce sera le Burkina Faso de l'après insurrection qui gagne »
Dans le tableau synthétique ci-dessous, j'ai fait un réalisé un regard comparé des observations et décisions de la Cour au regard des attentes et résultats obtenus par les différentes parties, afin que les professionnels du droit éclairent mieux ma lanterne, et certainement celle d'autres profanes comme moi.
Nota : Les colonnes fusionnées ont des contenus que chacune des parties peut exploiter, en fonction de l'usage qu'elle choisit d'en faire.
| Sur la forme | |
| Observations et décisions que les requérants pourraient interpréter comme étant en leur faveur | Observations et décisions que l'Etat burkinabè pourrait interpréter comme étant en sa faveur |
| 13. Il en résulte que l'exception tirée de la tardiveté du dépôt du mémoire en défense [du gouvernement] doit être rejetée (Les requérants avaient demandé le rejet du mémoire en défense du gouvernement pour retard de dépôt) |
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| 18. C'est donc à tort que l'Etat du Burkina avance que la Cour ne peut se prononcer faute de violation déjà commise des droits en cause | |
| 21. Il s'ensuit que la thèse de l'irrecevabilité, soutenue par l'Etat du Burkina, doit être rejetée | |
| Sur le fond | |
| Principes de la Cour : 24. Premier : le refus de la Cour de s'instituer juge de la légalité interne des Etats. Deux conséquences en découlent : 1- (25). Juridiction internationale, elle n'a vocation à sanctionner que la méconnaissance d'obligations résultant de textes internationaux opposables aux Etats. 2- (26). Il ne saurait être question, dans la présente affaire, de s'épancher sur le sens qu'il faut donner au nouvel article 135 du Code électoral du Burkina Faso. 27. La Cour ne saurait bien entendu entreprendre une telle démarche, qui serait aux antipodes de sa position de principe qui a été rappelée plus haut. Elle continue à considérer que, pas plus dans cette affaire que dans d'autres qui l'ont précédée, sa fonction ne consiste à découvrir l'intention du législateur national, ou de concurrencer les juridictions nationales sur leur propre terrain, qui est celui de l'interprétation des textes nationaux précisément. Mais la Cour retrouve sa compétence dès lors que l'interprétation ou l'application d'un texte national a pour objet ou pour effet de priver des citoyens de droits tirés d'instruments internationaux auxquels le Burkina Faso est partie. |
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| 28. Pour la Cour, il ne fait aucun doute que l'exclusion d'un certain nombre de formations politiques et de citoyens de la compétition électorale qui se prépare relève d'une discrimination difficilement justifiable en droit. | 28 (suite). Il peut certes arriver que dans des conjonctures particulières, la législation d'un pays institue des impossibilités d'accéder à des fonctions électives à l'encontre de certains citoyens ou de certaines organisations. Mais la restriction de ce droit d'accès à des charges publiques doit alors être justifiée, notamment, par la commission d'infractions particulièrement graves. Il ne s'agit donc pas de nier que les autorités actuelles du Burkina Faso aient, en principe, le droit de restreindre l'accès au suffrage, mais c'est le caractère ambigu des critères de l'exclusion, et l'application expéditive et massive qui en est faite, que la Cour juge contraire aux textes. |
| 28 (fin). Interdire de candidature toute organisation ou personne ayant été politiquement proche du régime défait mais n'ayant commis aucune infraction particulière, revient, pour la Cour, à instituer une sorte de délit d'opinion qui est évidemment inacceptable. | |
| 29. Il convient donc de donner au droit de restreindre l'accès à la compétition électorale sa portée exacte. Un tel droit ne doit pas être utilisé comme un moyen de discrimination des minorités politiques | |
| 30. ...la Cour rappelle simplement que la sanction du changement anticonstitutionnel de gouvernement vise des régimes, des Etats, éventuellement leurs dirigeants, mais ne saurait concerner les droits des citoyens ordinaires... | |
| 32. La Cour est d'avis que l'exclusion en cause dans la présente affaire n'est ni légale ni nécessaire à la stabilisation de l'ordre démocratique, contrairement aux allégations du défendeur. La restriction opérée par le Code électoral n'a au demeurant pas pour seul effet d'empêcher les requérants à se porter candidats, elle limite également de façon importante le choix offert au corps électoral, et altère donc le caractère compétitif de l'élection. | |
| 35. Jurisprudence - ...Toute restriction au droit de se porter candidat doit reposer sur des critères objectifs et raisonnables. Les personnes qui, à tous égards seraient éligibles ne devraient pas se voir privées de la possibilité d'être élues par des conditions déraisonnables ou discriminatoires... 36. Jurisprudence - ... « elle (la Cour) juge compréhensible qu'un Etat considère qu'une violation grave de la Constitution ou un manquement au serment constitutionnel revêtent un caractère particulièrement sérieux et appellent une réponse rigoureuse lorsque son auteur est détenteur d'un mandat public (...). Cela ne suffit toutefois pas pour convaincre la Cour que l'inéligibilité définitive et irréversible qui frappe le requérant en vertu d'une disposition générale répond de manière proportionnée aux nécessités de la défense de l'ordre démocratique. |
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| 37.... la Cour estime que les formations politiques et les citoyens burkinabè qui ne peuvent se présenter aux élections du fait de la modification de la loi électorale (loi n° 005-2015/CNT portant modification de la loi n° 014-2001/AN du 03 juillet 2001) doivent être rétablis dans leur droit. | |
Résultat obtenu par les plaignants (Décision de la cour) :
- La cour dit que le Code électoral du Burkina Faso, tel que modifié par la loi n° 005-2015/CNT du 07 avril 2015, est une violation du droit de libre participation aux élections ;
- La Cour ordonne en conséquence à l'Etat du Burkina de lever tous les obstacles à une participation aux élections consécutifs à cette modification.
Questions de profane en guise de conclusion :
- L'Etat va-t-il abroger purement et simplement la disposition litigieuse quand bien même la Cour la Cour n'a pas ordonné cela ?
- Le gouvernement renverra-t-il la loi au CNT pour relecture à la lumière de l'Arrêt de la Cour ?
- Le gouvernement prendra-t-il un décret complémentaire pour mieux expliciter la loi afin d'éviter que son application ne fasse des victimes collatérales, ce qui semble être une sérieuse préoccupation de la Cour ?
- L'Etat s'en remettra-t-il au Conseil constitutionnel qui, le moment venu, tout en appréciant les candidatures au regard de l'esprit de l'article 135 du code électorale, tiendra également compte des observations de la Cour de justice de la CEDEAO pour lever toute ambigüité afin d'éviter toute application expéditive et massive ?
Les jours et semaines à venir nous en diront davantage.
Cynthia BENAO
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