Zéphirin Poda, directeur de publication de l'Hebdo du Faso
« Je salue l'initiative mais elle aurait pu intervenir plus tôt »
« De prime abord, c'est une très bonne initiative. On la sentait venir. D'aucuns diront que cela a un peu duré. Mais l'essentiel, c'est que le dialogue tant attendu ait finalement lieu. On s'est rendu compte que les manifestations de rues, le dialogue par stade interposé n'était pas productif. Il n'avait ni la légalité ni la légitimité prétendue. Aujourd'hui, il faut quelque chose de plus formel, un face-à-face où les acteurs politiques vont se dire les vérités afin de proposer aux uns et autres une piste de sortie de crise. Nous espérons qu'il n'y aura pas des positions de principe qui vont continuer à rigidifier les propositions afin d'aboutir véritablement à un consensus. Je m'attends à ce que la classe politique puisse réellement se parler parce que, jusqu'à présent, elle ne l'a pas fait. On a assisté à une superposition de monologue. Mais il faut dire que l'initiative du président à elle seule ne suffit pas. Si la classe politique ne contribue pas à donner à la démarche une fécondité, elle risque d'être stérile et le président du Faso serait obligé de faire recours au peuple, c'est-à-dire, au référendum».
(Joseph Tiendrébéogo, SG de Force ouvrière (FO) )
« On ne peut pas être juge et partie »
« Nous pensons que le chef de l'Etat aurait dû inviter aussi la société civile vu qu'il s'agit d'une question d'intérêt national, mais nous avons été ignorés. Au regard du caractère apolitique de notre syndicat, si on avait été convié à cette rencontre, on y aurait assisté sans pour autant prendre la parole. Je ne sais pas si c'est une tactique du président du Faso, mais il n'a fait aucune proposition. Lors de la médiation tentée par l'ex- président, le médecin-commandant Jean-Baptiste Ouédraogo, l'opposition avait exigé que la majorité soit formellement mandatée par le PF. Or nous sommes dans le même schéma dans lequel les deux camps se retrouvent devant le chef de l'Etat qui leur demande de faire des propositions. Mais quel genre de propositions peut en sortir ? On ne peut pas être juge et partie. J'ai cru que Blaise les convoquait pour dire « je ne serai pas candidat en 2015 », « retrouvez-vous et organisez- vous pour l'élection présidentielle ». Si le chef de l'Etat avait fait une telle proposition, les partis politiques seraient en train de se préparer pour 2015. Malheureusement, ce n'est pas le cas. On s'achemine vers le même scenario qu'avec le président Jean-Baptiste, des rencontres sans pour autant résoudre le problème. Ce qui est certain, c'est le point de vue du PF qui compte».
(Guy Olivier Ouédraogo), SG de la Confédération syndicale burkinabè (CSB)
« Blaise Compaoré doit être au-dessus de la mêlée »
« En tant que syndicalistes, nous ne pouvons que saluer ce dialogue, car depuis la nuit des temps, nous sommes engagés dans le dialogue. Le dialogue peut aboutir à des résultats qui vont sauvegarder la paix. Sa réussite est cependant tributaire de certaines conditions, notamment le fait que les acteurs doivent faire montre de beaucoup de courage et d'engagement. Il n'y a pas de forme figée de dialogue, il peut prendre plusieurs formes : si les deux parties n'arrivent pas à un consensus, il peut y avoir une troisième pour jouer le rôle d'arbitre. On voit une personne qui, apparemment, est partie prenante mais qui, du fait des prérogatives dont elle dispose, doit être au-dessus de la mêlée : Blaise Compaoré, en tant que président de tous les Burkinabè, joue ce rôle».
Wendlasida Sidoine Innocent Kaboré, étudiant en Allemand
« Qu'il nous dise s'il sera candidat ou pas »
« Moi, j'attendais autrement. Je pensais que le président du Faso appellerait l'opposition et la majorité pour donner réellement sa position. Ça m'étonne que Blaise Compaoré appelle les deux parties et leur propose le dialogue. Sincèrement, il a déçu les Burkinabè et moi en premier. En tant que premier magistrat et chef suprême des armées, il dispose de tous les pouvoirs donc je pense qu'il doit prendre ses responsabilités et dire que je veux faire ceci ou cela. A l'heure actuelle, comme lui-même il est médiateur, homme de paix, il devrait donner sa position claire pour que le peuple sache s'il sera candidat ou pas à l'élection présidentielle. Comme cela, les Burkinabè vont prendre en main leur destin. Je pense que sa démarche n'est rien d'autre que de baratiner comme d'habitude les partis politiques et diviser l'opposition. Mais le peuple est là, observateur. On n'a pas besoin d'organiser des rencontres pour parler de paix, non. Le Burkina Faso a besoin d'une réponse et c'est sa réponse qui pourra sauver le pays».
Yacouba Kouraogo, étudiant en Linguistique
« C'est l'occasion pour le président de prendre connaissance des problèmes sur le terrain »
« Je pense que le dialogue proposé par le président du Faso est une bonne idée. Peut-être que ça sera l'occasion pour lui de prendre concrètement connaissance des problèmes sur le terrain. Je ne suis pas sûr qu'il soit au courant des difficultés réelles que rencontre la population. Les différents chefs de partis politiques qui vivent tout le temps avec le peuple comprennent concrètement ce qui se passe. Au cours du dialogue, ils vont peut-être pouvoir exposer les faits réels et le président pourra prendre connaissance de certaines choses qui ne lui étaient pas encore parvenues. Le président qui est préoccupé par d'autres affaires et qui n'effectue pas des sorties périodiques pour rencontrer la population à la base afin de s'imprégner de leurs problèmes peut ignorer certaines réalités. C'est l'occasion également pour lui de comprendre l'idée préconisée par les leaders politiques pour la paix au Burkina. Je pense que c'est une bonne initiative. Je souhaite que ce dialogue parvienne à quelque chose de positif pour le Burkina».
Jeanne-d'Arc Bassolé, étudiante en Linguistique
« Le président doit écouter le peuple »
« Franchement, je conseillerai au président du Faso d'écouter au moins la proposition de la population burkinabè, qui, je pense bien, est contre la révision de l'article 37, contre la mise en place du sénat et contre le référendum. Pour moi, il n'est pas nécessaire d'aller au dialogue puisque la population a déjà donné son point de vue. Donc, il serait préférable qu'il respecte ce point de vue».
Yssifou Tarnagda, gestionnaire de bibliothèque
« 28 ans, ce n'est pas 28 jours »
« Par rapport à la proposition de dialogue, je pense que c'est une très bonne chose. Quoiqu'on dise, les conflits et les guerres se terminent par le dialogue afin de se comprendre. Et s'il y a déjà une proposition de dialogue, il ne faut pas hésiter à y aller. Il faut y aller, s'écouter, se comprendre et on aura la paix. A l'issue de ce dialogue, je souhaiterai que le chef de l'Etat écoute son peuple parce que, quoi qu'on dise, 28 ans, ce n'est pas 28 jours ni 28 mois. Le peuple désire le changement. Je pense que le président doit le savoir, l'écouter et accepter cela».
Barry Alimatou Sadia, étudiante en SEG
« C'est du temps perdu »
« Pour moi, c'est du gâchis, c'est du temps perdu parce que je me demande bien ce qu'ils peuvent se dire. Je crois que ce n'est pas le moment de dialoguer. C'est peut-être le moment de nous appeler pour dire : ''Plus de Sénat, plus de référendum''. Franchement, je n'attends rien de ce dialogue. Rien de bon ne va en sortir. J'espère que je me trompe, mais je n'attends aucune issue positive de ce dialogue ».
Jean-Luc Kaboré, commerçant
« Un dialogue ne doit pas se faire au profit d'une seule personne »
« Je pense que depuis des années, le président du Faso devait toujours dialoguer avec l'opposition. Nous avons constaté qu'en 27 ans de règne, il n'a jamais rencontré l'opposition, sauf s'il a le dos au mur. Mais comme l'opposition et toute la population ont compris le jeu du président, on ne peut plus se laisser embobiner. A chaque fois que le président invite la classe politique ou la société civile au dialogue, c'est pour pouvoir tirer quelque chose à son propre profit et non pour l'intérêt national. Je pense qu'il est temps qu'il parte et laisse l'article 37 en l'état. Après, si toutefois il y a un dialogue, ce sera pour amener les gens à discuter pour le bien des populations du Burkina Faso et non au profit d'une seule personne».
Ablassé Kologho, commerçant
« Nous souhaitons que l'issue soit heureuse »
« Si ce dialogue, c'est pour le bien du Burkina, je pense qu'il est le bienvenu. Nous souhaitons que l'issue soit heureuse, car si le pays est en paix nous sommes tous gagnants. Quant au MPP, je n'ai pas confiance en ces gens-là. Vous ne pouvez pas manger avec quelqu'un durant une trentaine d'années et brusquement vous changez votre fusil d'épaule. Zéphirin Diabré, lui, je peux dire que c'est un opposant, car il a quitté le navire du pouvoir il y a longtemps. L'idée du Sénat, c'est Roch et ses hommes qui l'ont soutenue. S'il n'avait pas défendu cela et donné son accord pour la mise en place du Sénat quand il était président de l'Assemblée nationale, on ne serait pas là aujourd'hui en train d'en parler. Cela dit, nous souhaitons l'alternance, car on espère qu'un jour un proche sera aux affaires».
Propos recueillis par
Hyacinthe Sanou
Joseph Bambara (stagiaire)
Théodore Zoubga (stagiaire)
« Il suffit que Blaise dise : je vais respecter la Constitution » (Lassané Sawadogo, SN chargé de l'emploi MPP)
C'est un véritable tour de rédactions qu'a entrepris le MPP au lendemain de l'entrevue avec Blaise Compaoré en envoyant des émissaires dans les organes de presse de la place. Pourquoi ?
Réponse de leur missi dominici à l'Obs., Lassané Sawadogo, secrétaire national chargé de l'Emploi du parti : «Nous avons besoin qu'on nous comprenne. Depuis notre création, nous avons toujours fait l'objet de suspicions de toute nature, naturellement injustifiées. Du côté de la majorité présidentielle, on nous considère comme étant les ennemis qu'il faut abattre par tous les moyens. Et du côté de certains partis d'opposition, ce sont des procès en sorcellerie qu'on entreprend parce qu'on nous suspecte de ceci ou de cela. On a donc besoin de se faire comprendre clairement. Nous sommes contre toute modification de l'article 37 et nous appelons le chef de l'Etat à respecter son serment, sa parole donnée ».
Leur tournée vise donc à faire passer le message à l'ensemble du peuple burkinabè : « depuis la rencontre avec Blaise Compaoré, nos militants ne cessent de nous interpeller. Il semble que vous avez donné votre accord pour modifier l'article 37 ! Il semble que vous êtes d'accord pour qu'il reste après 2015. Mauvaise compréhension ou intox, nous voulons être clairs sur notre disponibilité à aller au dialogue. » Mais que pensent-ils justement de l'appel de leur ancien mentor ?
« Nous avons des sentiments mitigés par rapport à cet appel au dialogue parce que dans un Etat de droit, il est normal que chaque fois qu'il y a crise, on puisse s'asseoir pour trouver une solution par le dialogue, mais aussi parce que, force est de constater qu'on a affaire à une crise artificielle qui a été créée de toutes pièces. En fait, on engage un dialogue pour résoudre un problème qu'on peut résoudre autrement. Tout le monde sait que la situation que nous traversons est liée à la volonté délibérée de modifier notre Constitution pour instaurer un pouvoir à vie. Et nous savons que la solution consiste simplement à dire qu'il revienne sur ses intentions et qu'il mette un terme aux velléités de modification de la Constitution. Et le problème est réglé ».
Qu'à cela ne tienne, le MPP prendra part au dialogue aux côtés du CFOP, mais garde en mémoire le proverbe mossi selon lequel « Que Dieu aide la souris à sortir du canari ». Ce à quoi le parti de Roch ne manque pas d'ajouter qu'il ne faut pas que la souris prenne l'habitude d'aller dans le canari : On ne voit pas l'utilité d'un tel dialogue parce que nous sommes formellement opposés à toute modification et c'est non négociable quelle que soit la modalité que ce soit par voie référendaire ou parlementaire.
Nous déplorons également cette volonté de violer deux fois notre Constitution et nos engagements internationaux parce qu'il s'agit de modifier un article qu'on ne devrait pas. En plus, on suggère au président du Faso de passer par un référendum en se basant sur l'article 49, or c'est clair pour tous les juristes, qu'on ne peut pas modifier la Constitution en se basant sur l'article 49 parce que la loi fondamentale a prévu un titre spécial, le titre 15 pour modifier la Constitution. Il s'agit donc d'une double violation. La première consiste à vouloir modifier l'article 37, la seconde consiste à appeler le président du Faso à le faire sur la base de l'article 49 ».
Par la voix de son Secrétaire national chargé de l'Emploi, le parti des démissionnaires du CDP estime donc qu'un dialogue n'est pas nécessaire pour eux : « Il suffit que le président nous dise : je vais respecter la Constitution ! »
Le MPP, souligne M. Sawadogo, reste tout de même dubitatif quant au fait que Blaise reste au dessus de la mêlée : « Nous avons constaté avec douleur que le président du Faso a commencé à quitter les charges de son mandat lorsqu'il a commencé à se présenter comme le chef de file d'un clan. Rappelez-vous ses propos tenus dans Jeune Afrique, lorsqu'on lui a demandé quels étaient ses rapports avec ses anciens compagnons passés à l'opposition, il a dit que maintenant nous dialoguons que par stades Interposés. Cela veut dire que, loin du meeting du CDP au stade du 4-août, il n'y était pas physiquement, mais y était moralement et spirituellement. Cela veut aussi dire qu'il était opposé, moralement et spirituellement, aux meetings du MPP et de l'opposition. Cela veut dire qu'il a quitté ses fonctions d'arbitre national et nous sommes heureux de constater qu'il est en train de redécouvrir cette fonction d'arbitre national et de savoir qu'il doit être au-dessus de la mêlée ».
Pour le MPP, le dialogue, vu la configuration actuelle, doit se faire entre deux parties : celle du président du Faso et ses partisans et celle du chef de file de l'opposition et des partis affiliés. Toutefois, le Mouvement du peuple pour le progrès reconnaît que, certes, la décision de s'élever au-dessus de la mêlée vient tardivement, mais il n'est jamais trop tard pour bien faire.
Aussi Lassané Sawadogo demeure-t-il convaincu que « le principal acteur de la crise, c'est le président du Faso, celui qui est en mesure également d'y trouver une solution, c'est lui . Donc je ne sais pas à quoi ça sert de dialoguer sans lui ou par personnes interposées. Regardez-vous même la délégation de la majorité présidentielle et celle du Front républicain, c'est bonnet blanc, blanc bonnet. Ce sont des remarques qui seront faites au niveau du CFOP pour que les dés ne soient pas pipés dès le départ. »