Les temps durs de l’Evidence ou les faux débats autour de l’article 37

| 29.01.2014
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Gnienhoun Abdoulaye Nazaire Consultant-Freelance en droits de l'homme et communication
© DR / Autre Presse
Gnienhoun Abdoulaye Nazaire Consultant-Freelance en droits de l'homme et communication
Dans le désormais célèbre, sérieux et passionnel débat sur l'article 37 de notre loi fondamentale, l'on se surprend, toujours un peu plus, à ne pas comprendre pourquoi certains ont tant de mal à admettre, à comprendre l'évidence.

Dans ce débat, il y a des irréductibles qui semblent vivre dans un autre univers, avec leurs logiques à eux, complètement déconnectés qu'ils sont de la réalité et de l'évidence.

Ils sont très actifs et présents dans le débat en cours mais curieusement, parlent toujours de tout mais évitent toujours soigneusement le vrai débat de fond, à l'image d'un boxeur sur le ring qui s'agiterait et donnerait des coups dans tous les sens tout en ignorant et évitant son adversaire.

Ainsi, ces irréductibles (inconditionnels, admirateurs, courtisans, opportunistes et complaisants de toutes espèces) faussent, volontiers, ou par ignorance, le débat en avançant, pêle-mêle, des arguments qui n'ont absolument rien à voir avec l'évidence, avec la vraie question et son enjeu, à savoir : notre constitution impose à chaque président burkinabè deux mandats de 5 ans non renouvelables. Il se trouve que le Président Blaise Compaoré, garant du respect de la constitution aura effectué deux mandats de 5 ans en 2015, épuisant du même coup ce que notre constitution lui concède. Cela relève de l'ordre normal et démocratique des choses qu'il s'en aille après de « bons et loyaux services rendus à la nation ». Cela est-il si difficile à comprendre, à admettre ?

En tous cas, au titre de ces arguments répétés à tous vents, voici quelques gros morceaux, une sorte de véritable « best of » :

1. Le président Blaise Compaoré est un homme de paix, un président pétri d'expérience, indispensable à la stabilité du Burkina, de la sous région et du monde.

2. L'article 37 n'est pas intangible et cela confère bel et bien le droit au président Compaoré de recourir au référendum, entre autres, pour le modifier afin de se présenter pour un autre mandat. Après tout, il est aussi un citoyen comme les autres. Et pourquoi avoir tant peur du référendum ? C'est le peuple qui arbitre !

3. Il n'est pas juste de dire que le Président n'a rien fait pour le Burkina, c'est de l'ingratitude, il a augmenté la croissance, développé et créé des infrastructures, garanti la stabilité et la paix, etc.

4. La paix et la stabilité sont précieuses et le Burkina a l'avantage d'être un havre de paix grâce au Président Compaoré, il faut donc absolument le garder ou encore il faut négocier une transition apaisée, en lui laissant le temps de se trouver un dauphin.

5. Il n'y a personne à même de diriger le Burkina après le Président Blaise Compaoré et dans tous les cas, l'opposition n'a aucun programme politique alternatif crédible.

6. Puisque nous ne nous entendons pas sur le sujet, il faut donc négocier, discuter, dialoguer.

Comme, on peut le constater, ce sont des arguments sans aucun lien concret avec la vraie nature du problème mais qui ont l'avantage de fausser le débat, de semer la confusion et de distraire l'opinion.

Ce que les tenants farouches de tels arguments oublient ou font semblant d'oublier c'est que :
ce ne sont ni les talents universellement connus du Président Blaise Compaoré à faire régner la paix dans le monde, ni ses infinies compétences d'homme d'Etat qui sont en cause ici mais sa compréhension de son rôle de garant du respect de notre constitution et son sursaut d'homme d'honneur à respecter sa parole donnée, à respecter un principe élémentaire démocratique : partir sans résistance, sans ruse avec la constitution, sans triche quand la boucle sera bouclée en 2015.
ce n'est pas parce que notre constitution offre les possibilités de sa propre modification, à travers le référendum, entre autres, qu'il faudrait y recourir pour pervertir l'essence même de l'article 37 et briguer un énième mandat, juste pour son seul bon plaisir, au détriment du pays et de ses aspirations (Ça sent l'abus de droit). L'évidence, c'est qu'en 2015, ce sera la fin des haricots et il faudra donc partir.
ce n'est pas le bilan du Président Blaise qui est entrain d'être fait, et personne ne lui fait un procès d'intention : il y a juste qu'en 2015, il arrivera au terme de ses deux mandats et devra en tirer toutes les conséquences en partant.
il ne faut surtout pas justifier la nécessaire paix par le moyen de sauver le fauteuil d'un président qui constitutionnellement parlant a épuisé ses mandats. Il s'agit plutôt de démontrer son attachement à la paix et à la stabilité en condamnant toute situation manifestement abusive qui serait à même de la compromettre et donc faire comprendre au Président Compaoré que tout entêtement à modifier l'article 37 aux fins de rester après 28 ans de pouvoir est porteur de germes conflictuels et d'instabilité pour le Burkina.
ce n'est pas qu'il n'existe d'autres filles et fils du Burkina à même de diriger le pays et il faut une prouesse particulière pour penser une pareille énormité. Bien sûr qu'il y a de braves femmes et hommes qui ont toutes les qualités requises pour gouverner un Etat et donc le Burkina. Et s'agissant du programme politique de l'opposition, il faut rappeler que l'heure n'est pas au déballage des programmes mais à une exigence ferme, à un rappel sec à l'ordre à l'endroit de qui veut remettre en cause l'article 37 à des fins strictement personnels.
c'est qu'il ne s'agit pas de crier tant à la négociation, au dialogue que d'avoir juste le courage de dire la vérité au président et de lui faire comprendre qu'un simple respect de l'article 37 suffit à notre pays pour continuer « sa marche triomphale vers l'horizon du bonheur ».

Et pour mettre d'avantage en évidence, l'Evidence (et n'ayons pas peur des mots), il convient de la grossir pour faire voir à toute personne de bonne foi, à quel point elle est simple, visible, indiscutable ; il faut pour cela la mettre en contexte en rappelant quelques points liés à l'histoire de ce fameux article 37 mais aussi quelques « hauts faits » du Président Compaoré, qui devrait être le garant du respect de nos lois, en commençant par les respecter lui-même. Suivons bien :

1. Au lendemain de la rectification qui est intervenue dans le sang avec l'assassinat du Président Thomas Sankara et douze de ses compagnons, notre pouvoir constituant originaire a tenu à souligner noir sur blanc qu'une des caractéristiques de notre démocratie soit la limitation des mandats présidentiels et donc l'alternance démocratique. A cet égard, en 1991, le Président Compaoré était parti pour un premier mandat de 7 ans.

2. En 1997 déjà, soit un an avant la fin du premier mandat, le président Blaise Compaoré est revenu sur ce principe de la limitation des mandats avec la complicité d'un pouvoir constituant institué aux ordres qui modifiait l'article 37 lequel levait désormais le verrou de la limitation des mandats présidentiels.

3. En 1999, soit un an après la réélection du président Compaoré pour un second mandat de 7 ans, alors que le régime était aux aboies suite aux tensions suscitées par l'assassinat du journaliste Norbert Zongo et de ses compagnons, le président Compaoré n'avait pas hésité à recourir à un Collège des sages dont les conclusions recommandaient, entre autres, la réhabilitation de l'article 37 dans son substrat originaire. Le Collège des sages ira même plus loin en suggérant la réduction du mandat présidentiel de 7 à 5 ans. Ces recommandations ont été prises en compte par une révision de la constitution en 2000.

4. Aux élections présidentielles de 2005, alors que des juristes avertis prévenaient déjà que Blaise ne devrait pas pouvoir être candidat au regard des nouvelles dispositions de l'article 37, le Conseil constitutionnel avait tout de même validé la candidature du président Compaoré sur la base d'arguments, certes discutables, mais raisonnablement compréhensibles sur un plan strict du droit.

5. En 2010, sans surprise, le Président Compaoré était candidat pour un second mandat, candidature tout à fait justifiable et de son plein droit.

6. En 2015, le Président Blaise Compaoré aura bouclé ces deux mandats au regard des nouvelles dispositions de l'article 37 dans sa version de 2000 et cela fera 28 ans qu'il aura été au pouvoir, une hypothèse qui n'était pas du tout prévue par le pouvoir constituant originaire.

Aujourd'hui, une intention de modifier l'article 37 pour une ré-candidature en 2015 est nettement affichée, en témoignent les propos ambiguës du Président lui-même sur la question ; en témoigne aussi l'agitation au sein du CDP, parti du Président ; en témoigne, enfin la lettre de rupture de certains poids lourds du régime, très au fait des intentions du président, et la ferveur civile contre toute modification de l'article 37.

Il y a donc évidence qu'un homme, dès le début, a toujours joué et veut encore jouer avec les règles mais aussi avec l'intelligence de tout un peuple. Il y a évidence qu'un homme essaie toujours de changer les règles du jeu pendant le jeu et toujours en sa faveur et surtout quand il est "coincé". Il y a en définitive évidence que cet homme doit partir quand la partie sera terminée en 2015 et cette évidence devrait sauter aux yeux de toute personne habitée et soucieuse d'un minimum de vérité, de justice et de bon sens. Mais, manifestement, il s'en trouve des gens qui refusent de se rendre à l'évidence.

En conclusion, posons les vraies questions et arrêtons de divertir la planète avec des arguments à l'emporte-pièce qui sont totalement hors du compte.

l y a plus sérieux : au point où nous en sommes, le Président Compaoré ne peut plus continuer à se réfugier derrière des arguments du genre : « les élections présidentielles de 2015 ne sont pas ma préoccupation, j'ai été élu pour un programme et j'entends le conduire à terme ». Dans un autre contexte, cela pourrait se comprendre. Mais au stade actuel, cela n'est plus admissible et ce n'est plus un loisir de dire ses intentions quand il voudra, mais une responsabilité, un devoir d'éclairer définitivement et ce, de façon aussi Claire, les uns et les autres sur sa position par rapport à 2015.

S'il ne le fait pas, il sera naturellement comptable chaque jour qui passe de la confusion, de la levée de boucliers de part et d'autre, et surtout des éventuels conséquences des excès, zèles et passions qui se profilent à l'horizon. Et pour un Président qui a la réputation universelle d'être un homme, un artisan et un champion de la paix, cela serait incompréhensible, ridicule et même dangereux !

La grandeur des hommes d'Etat se mesure aussi à l'aune de leur sens de la clarté et de leur cohérence : à l'approche de la fin du mandat du président malien Alpha Omar Konaré, des supporteurs inconditionnels, comme on en voit sous nos cieux, lui demandaient à travers manifestations et marches de briguer un troisième mandat, ce qui n'était pas prévue par la constitution malienne et se dernier avait fait comprendre qu'il s'en tenait au respect strict de la constitution. L'histoire nous la connaissons, Alpha Omar Konaré fit seulement deux mandats et entra dans l'histoire par la grande porte, salué par l'Afrique et la communauté internationale pour ce bel exemple, pour le triomphe de l'évidence.

Gnienhoun Abdoulaye Nazaire
Consultant-Freelance en droits de l'homme et communication
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