Comme nous le faisions observer dans un précédent article faisant le portrait-robot du potentiel Président de transition : « ...il faut s'en convaincre, la transition demande un travail diplomatique intense pour préserver notre place dans le concert des nations et défendre l'image de cette révolution, etc. A défaut d'être un diplomate chevronné, le Président de la transition gagnerait donc à avoir une expérience de l'international. » Là-dessus, il est difficile de dire que le choix de M. Kafando ne respecte pas cette prévision. Son CV parle pour lu et il a certainement les compétences de l'emploi. Après avoir présidé le Conseil de sécurité des Nations unies au moment où le Burkina en était devenu membre non permanent, il paraissait avoir une longueur d'avance sur les autres.
A l'annonce des 3 présélectionnés, malgré la sympathie et le respect que j'éprouve pour Chériff Sy, je formulais le vœu que Mme Joséphine Ouédraogo fût l'élue. Dans mes premières prévisions, elle avait échappé à mes radars. Compétente et posée, elle a aussi un profil international qui mérite respect. Par ailleurs pour une révolution portée par les héritiers de Sankara, son expérience ministérielle sous la révolution et sa fidélité au Président Sankara, sans être pour autant militante avérée d'un parti sankariste, paraissait comme une valeur ajoutée non négligeable d'acceptation du choix par ce peuple qui a aussi soif de vérité sur le drame du 15 octobre 1987. Elle me donnait l'assurance qu'un vrai travail de justice et de réhabilitation pouvait être envisagé conformément à la volonté populaire, notamment celle de ces jeunes qui n'avaient dans la bouche que le nom de Sankara, des pancartes d'hommage à son effigie, professant ou claironnant des éléments de son discours, en particulier la nécessité pour l'esclave d'assumer sa révolte. La révolte du peuple burkinabè s'étant soldée par la chute de celui qui l'asservissait, il était juste de considérer que la révolution d'août 1983 venait de connaître sa réhabilitation effective par celle d'octobre 2014. Mais le choix de Michel Kafando vient tempérer nos espérances d'aautant plus qu'on l'accuse d'avoir trempé dans l'arrestation du Capitaine et Premier Ministre Thomas Sankara en 1983. C'est ce qui aurait valu sa mise à l'écart sous le CNR avant que la rectification et le régime de la 4ème République ne le remette en orbite. L'homme a-t-il changé depuis ? Mystère... ! Il a été en poste à l'ONU à partir de 1998, donc au moment où la crise et l'affaire Norbert Zongo éclatait et que le régime croulait sous le poids des critiques. Pour qui connait la tâche du diplomate on peut dire que Michel Kafando a été l'artisan parfait pour défendre l'image du régime qui était en proie à cette crise, sans oublier qu'il fallait travailler à effacer les traces d'accusation de trafic d'armes et d'immixtion dans de nombreux conflits africains. Il est difficile de travailler à polir l'image d'un régime, tel un cireur de chaussures, quand on n'est pas véritablement du sérail. Ensuite, c'est sous lui que le régime Compaoré a dû se défendre en 2006 devant le comité des droits de l'homme de l'ONU dans l'Affaire Sankara. Si Michel Kafando était plutôt en poste à New York et l'affaire traité à Genève, il faut croire que le représentant de Blaise auprès de l'ONU qui présida le Conseil de sécurité ne ménagea aucun effort pour venir au secours du régime Compaoré. La suite on la connait.
Alors des questions légitimes se posent sur l'homme et le processus qui a conduit à son choix quand on sait que L'Observateur Paalga a vu sortir la fumée blanche avant tout le monde. Qui peut apporter la preuve que Michel Kafando était opposé au projet de modification de l'article 37 ? On peut aussi se demander si le collège de désignation était au parfum des échanges de civilités à travers la presse entre Michel Kafando et son successeur Der Kogda au sujet de la vente de la résidence du Burkina à New York, affaire qui devra du reste être élucidée au même titre que les affaires de corruption et de crimes économiques. Michel Kafando, visiblement proposé et soutenu par l'armée pourra-t-il librement travailler à la vérité et à la justice sur le drame d'octobre 1987 ou est-il en place pour couvrir les arrières du régime déchu ? Les enfants des révolutions d'août et d'octobre seront-ils entendus dans leur volonté de réhabilitation de Thomas Sankara, le père des Révolutions ? La justice pourra-t-elle enfin se faire sur la liquidation des militaires de Koudougou au lendemain de la rectification compaoriste, les affaires Henri Zongo, Boukari Lengani, Norbert Zongo etc. quand on sait que le RSP et bien des officiers pourraient avoir à en répondre de beaucoup. Le PFT Kafando pourrait-il s'affranchir des griffes de la grande muette à qui il a manifesté séance tenante son devoir de reconnaissance ?
Le premier signe viendra assurément de la nomination du Premier ministre de transition. Il donnera un gage d'indépendance en nommant Mme Joséphine Ouédraogo ou d'autres personnalités plus avenantes pour donner des gages au peuple. Sont de ces probables candidats sérieux, diplomates chevronnés ou technocrates reconnus que la Charte a aidé à disqualifier et qui auraient pu être de vrais challengeurs pour Kafando. Mais si c'est un militaire en fonction jusqu'à la chute de Compaoré qui est nommé à ce poste, comme le susurrent certains, on pourrait s'en convaincre que cette révolution aura été confisquée. Ce sera la meilleure preuve que non seulement l'armée mais Blaise et son système, sont en fait partis pour mieux rester et tenir les rênes du pays à distance. Nous aurons vécu une révolution en trompe l'œil. Il y a donc un devoir de vigilance que le respect à nos martyrs nous impose. Et le nouveau Président de transition doit savoir que tous ses faits et gestes seront scrutés, jaugés, évalués à l'aune de son indépendance vis-à-vis du système Compaoré mais aussi du pouvoir militaire qui visiblement l'a fait roi.
Nous ne saurions demander au Président du Faso de Transition (PFT) d'assouvir pleinement un quelconque sentiment de revanche ou de vengeance des uns et des autres, mais le minimum que nous puissions demander, pour rester cohérents avec nous-même, c'est qu'il ne soit pas un obstacle à la vérité et à la justice. Nous le devons aux suppliciés du régime Compaoré qui ne sauraient attendre le verdict des urnes en 2015 pour que justice leur soit rendue.
Sidpawalemda H. Ouédraogo
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