Kilowattheure en Afrique : Pourquoi un tarif si cher sur le continent ?

| 20.10.2015
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Kilowattheure en Afrique : Pourquoi un tarif si cher sur le continent ?
© DR / Autre Presse
Kilowattheure en Afrique : Pourquoi un tarif si cher sur le continent ?
Les africains paient les tarifs les plus élevés de la planète, alors que les coupures de courant sont fréquentes. En cause : le prix du fioul, des réseaux inadaptés et le manque d’investissements. Le consommateur africain paie trois fois plus que celui d’Asie: en moyenne 14 cents de dollar son kilowattheure, quand celui d’Asie du Sud paie seulement 4 cents. Si l’Europe de l’Ouest affiche un prix un peu supérieur, 18 cents, le pouvoir d’achat des ménages y est beaucoup plus élevé. Conséquence : une famille qui réside dans une grande ville d’Afrique consacre environ 30% de ses revenus à l’énergie et, notamment, au paiement de son électricité. Un tarif qui n’est pas toujours synonyme de qualité de service. À chaque hausse des prix, les associations de consommateurs crient au racket. Comment s’expliquent ces factures faramineuses ? Peut-on réduire la note ? Lisez cette analyse.


Trop de pétrole

Derrière la facture d’électricité se cache d’abord le prix du pétrole. Plus que tous les autres, le continent dépend des dérivés de l’or noir, comme le fioul, pour sa production d’électricité : 46% des centrales africaines fonctionnent avec ces combustibles, contre seulement 6 % dans le reste du monde. Qu’ils soient ou non producteurs de brut, la plupart des États importent leur combustible, faute de raffineries. Résultat : une facture salée, notamment quand les cours flambent, comme entre 2001 et 2005, période où le tarif moyen de l’électricité a presque doublé en Afrique subsaharienne.

Certains pays, au moment fort des crises énergétiques n’avaient même plus les moyens d’acheter du combustible pour faire tourner les installations. À cela s’ajoute l’utilisation intensive de groupes électrogènes par les sociétés d’électricité; ce qui devait n’être qu’une solution temporaire s’est pérennisé. Pourtant, leur emploi fait exploser le prix du kilowattheure entre 50% à 100% plus élevé que celui produit de manière classique à partir d’hydrocarbures.

À l’inverse, le recours aux barrages hydrauliques, qui délivrent une électricité à un prix défiant toute concurrence, parfois quelques francs CFA le kWh, reste trop limité. « La part de l’hydraulique dans le mix énergétique est la principale variable qui permet à un pays d’avoir des prix faibles. Le potentiel est pourtant immense, notamment en Afrique centrale.

Des réseaux trop petits

La taille des réseaux africains, conçus pour une faible demande, ne permet pas de réaliser des économies d’échelle en matière d’exploitation et consommateur. Pour résoudre ce problème, une solution existe : si un pays n’y parvient pas seul, il faut alors réunir les forces disponibles en construisant des interconnexions électriques. C’est l’un des facteurs majeurs dans la réduction des tarifs.

Le Niger par exemple est un pays sahélien, enclavé. Mais, à l’inverse de ses voisins, comme le Tchad et le Burkina, qui pratiquent des tarifs parmi les plus élevés du continent, il bénéficie depuis trente-deux ans d’un tarif bas, à 4 cents, grâce à une interconnexion avec le réseau nigérian. Au-delà des connexions pays à pays, qui existent çà et là, toutes les régions du continent ont établi des plans de « pools énergétiques » pour créer des marchés uniques.

Le projet ouest-africain (le réseau Côte d’Ivoire- Liberia-Sierra Leone-Guinée) en est au stade des appels à manifestation d’intérêt, mais plusieurs interconnexions entre pays existent déjà, autour de la Côte d’Ivoire notamment. Plus ambitieux encore sont les projets d’autoroutes de l’énergie qui traverseront le continent, notamment de l’Égypte à l’Afrique du Sud. Ces échanges interrégionaux pourraient réduire les coûts de l’électricité de 2 milliards de dollars par an sur le continent.

Pas assez d’industriels

En matière d’électricité, la consommation d’un seul industriel équivaut à celle de milliers de ménages. Les factures, beaucoup plus importantes, acquittées par ce type d’entreprises permettent aux sociétés nationales d’énergie de financer le développement de leurs réseaux. Les miniers notamment sont très « énergivores », raccorder ces grands comptes est essentiel : « Plus leur part augmente, plus celle des ménages devient marginale. »

Un élément d’autant plus déterminant que le recouvrement des factures des «usagers résidentiels »se révèle très souvent hasardeux (en moyenne, 30% de celles – ci ne sont pas honorées dans les pays n’ayant pas mis en place le prépaiement), sans parler des pertes techniques et des vols d’électricité, qu’il faut dans les deux cas répercuter sur les tarifs. Pourtant, les exemples de mauvaises pratiques sont légion.

« La Guinée a fait pendant cinquante ans, avec l’exploitation de la bauxite, ce qu’il ne faut surtout pas faire. C’est-à-dire laisser les miniers produire eux-mêmes leur électricité. En outre, c’est bien plus coûteux pour eux que de se raccorder au réseau. Le développement minier de l’Afrique, s’il ne profite pas directement aux populations, doit au moins bénéficier au secteur de l’électricité. ».

Le Burkina Faso doit donc corriger cette mauvaise pratique déjà en cours dans le secteur minier du pays. L’exemple de la Zambie doit faire cas d’école, où 80% de l’électricité produite sont absorbés par les industriels.

En plus d’une politique tarifaire raisonnable, ce type de répartition de la consommation permet notamment d’appliquer des tarifs sociaux ou de prendre des mesures équivalentes.

Trop peu d’investissements

S’il est déjà élevé, le prix de l’électricité pourrait encore augmenter à l’avenir, car de nombreuses compagnies vendent leur énergie à perte. Les tarifs ne recouvrent les coûts de revient que dans six pays sur cinquante-quatre.

On peut donc dire que les Africains ne paient pas leur électricité au juste prix, cela est- il pour compenser le service qu’ils reçoivent qui laisse souvent à désirer ?

Un cercle vicieux, cette non-couverture des coûts ne permet pas d’assurer l’exploitation et la maintenance du système électrique, et encore moins de réaliser des investissements, pourtant essentiels pour répondre à l’explosion de la demande.

Résultat, ce sont les États qui, très souvent, comblent les déficits en octroyant d’importantes subventions. Ce qui revient à financer le tiers du coût de production de l’électricité dans certains pays. À la moindre tension de trésorerie, c’est donc l’ensemble du secteur énergétique qui risque le court-circuit.

Alidou KOUTOU
M.Sc.A. Génie Électrique
Doctorant Génie-Électrique
Membre de la Conférence Internationale des Grands Réseaux Électriques (CIGRÉ)

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