Insurrection An I : Si on nous avait écoutés

| 30.10.2015
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Insurrection An I : Si on nous avait écoutés
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Insurrection An I : Si on nous avait écoutés
Pendant longtemps encore, on se demandera comment tout le monde a pu voir venir l’affaire sauf lui, comme si, recroquevillé dans sa tour d’ivoire, sa vue s’était quelque peu brouillée au point qu’il n’ait pas aperçu les gros nuages annonciateurs d’un violent orage qui se formaient. Depuis de longs mois en effet, voire des années pour certains, journalistes, diplomates, activistes des droits de l’hommistes, politiciens, religieux, coutumiers et personnes de bonne volonté ne cessaient d’attirer l’attention du président Blaise Compaoré sur les risques que comportait pour lui et son pays son projet de modification de l’article 37 de la Constitution pour sauter le verrou limitatif du nombre de mandats présidentiels en vertu duquel il devait passer la main en 2015.


Mais pour toute réponse, plutôt que de faire une lecture lucide de la situation, celui qui passait pour être l’enfant terrible de Ziniaré, avec une morgue soudaine qu’on ne lui ne connaissait pas, arguait de sa prérogative toute aussi constitutionnelle de consulter le bon peuple pour départager pro et antiréférendum puisque, prétendait-on, les différents acteurs politiques ne parvenaient pas à s’entendre sur la question.

Ceux qui lui conseillaient de savoir raison garder étaient au mieux traités d’aigris, au pire suspectés d’être stipendiés par on ne sait quelle officine. On n’avait pourtant pas besoin de sortir de Sciences-Po ou d’avoir une boule de cristal pour savoir que l’exercice solitaire du pouvoir - Salif Diallo aurait parlé de « patrimonialisation » - allié à la mainmise d’un clan sur les ressources nationales et le chômage de masse d’une jeunesse en perte de repères constituaient un cocktail détonant qui pouvait exploser à tout moment.

Après un long bouillonnement, la chambre magmatique sur laquelle les thuriféraires du locataire de Kosyam dansaient, insouciants, finit effectivement par cracher sa lave dont la coulée allait emporter en 48 heures un régime vieux de 27 ans ; contraindre à l’exil certains de ses barons pendant que ceux qui n’avaient pas d’autre choix que de rester se calfeutraient chez eux alors qu’il n’y a pas encore longtemps il roulaient encore des mécaniques, remplissaient des stades «recto-verso avec intercalaires» et déféquaient sur les crânes de leurs contempteurs.

Comment n’a-t-il pas pu voir tous les signaux qui avaient pourtant viré au rouge sang comme s’il fallait absolument qu’une implacable prophétie se réalisât en cette fin d’octobre 2014 ? Alors que l’histoire lui tendait les bras parce qu’il aurait été le premier président depuis l’indépendance a avoir passé la main à un successeur élu, il a choisi de céder au chant des sirènes de son camp dont la plupart n’étaient mus que par la sauvegarde des rentes que leur conférait la gestion des affaires de l’Etat.

Ce fut « le prix de l’entêtement » pour reprendre le titre de notre édito du vendredi 31 octobre 2014 dont voici en substance ce que nous écrivions : « A ceux qui conjuraient notre Neymar national de ne pas faire le match de trop en modifiant comme bon lui semblait les règles du jeu, ce dernier, par presse internationale, faisait remarquer, souvent avec un mépris et un agacement non dissimulés, que le référendum se ferait contre vents et marées ; s’enferrant ainsi dans un autisme suicidaire... Avait-il perdu le sens des réalités à cause de son armée de courtisans zélés ?»

S’il nous avait seulement écoutés, nous et tant d’autres, il serait toujours là à organiser son « départ », surtout qu’il avait la possibilité de placer un dauphin de son choix pour garder la maison et les avoirs. Au lieu de quoi il a tout perdu : le naam, une partie du patrimoine, la douceur vivre chez soi et surtout l’honneur pendant que certains de ses thuriféraires essayent, c’est toujours comme ça, tant bien que mal de se recycler. Ce n’est même pas par la petite porte qu’il est sorti, c’est carrément par les persiennes qu’on l’a défenestré. Oui, s’il avait été réceptif.

Mais, c’est connu, on ne refait pas l’histoire avec des « si », et lui qui voulait jouer à l’indispensable Atlas portant sur ses seules épaules tout le poids du Burkina se rend compte que finalement, le Faso n’a pas sombré du fait de son absence. Il tient debout même si la Transition engagée depuis un an n’aura pas été un long fleuve tranquille, tant s’en faut. On nous dira certes que le propre de ce genre d’interrègne est d’être tumultueux mais que d’écueils on aurait évités si l’esprit revanchard, la fougue voire l’ivresse des sommets n’avaient pas été de la partie.

Alors que la principale mission de la Transition, outre d’assurer les missions régaliennes de l’Etat, était l’organisation d’élections sincères pour un retour rapide à une vie constitutionnel normale, l’envie de déblaisification d’un système qui a mis trente ans à se sédimenter était tellement forte que même les premiers responsables, qui devaient garder leur sang-froid, ont cédé à la tentation ; encouragés, il est vrai, par une rue ivre de vengeance qui a parfois donné l’impression de gouverner le pays.

Pour ne prendre que deux points, nous avons toujours pensé à L’Observateur, surtout que la charte de la Transition le prescrivait, qu’il ne fallait exclure personne des consultations électorales. Et que, quitte à désactiver le réseau Blaise, il fallait le faire par les urnes et non à coup de textes taillés sur mesure d’on ne sait qui. Mais le nouveau code électoral a été voté par le Conseil national de transition (CNT) le 7 avril 2015, donnant ainsi une base légale à la mise sur la touche de l’ex-majorité.

Que ce soit des individus et non des partis qui aient été frappés ne change rien à l’exclusion, dans la mesure où l’équation personnelle des candidats est souvent déterminante, surtout dans le cas d’une présidentielle qui est, ne l’oublions pas, le rendez-vous d’un homme (ou d’une femme) avec son peuple. La donne peut donc changer selon que c’est la tête de Pierre ou de Paul qui est sur le bulletin ; sans oublier que contrairement aux législatives, pour la course à la magistrature suprême, les constitutionnellement disqualifiés ne peuvent être remplacés. Cela dit, la démocratie n’est-elle pas aussi l’expression de la dictature des puissants du moment ?

Le second point est relatif à l’ex-Régiment de sécurité présidentielle (RSP) dont les principaux acteurs de la Transition avaient fait du démantèlement toute affaire cessante une fixation, notamment le Premier ministre, Yacouba Isaac Zida. Comme s’il avait quelques vieux comptes (dont les détails échappent au citoyen Tartampion) à régler avec ses anciens camarades. Que les pensionnaires du camp Naaba Koom II, qui étaient réputés être les exécuteurs des basses œuvres de la République, ne puissent pas survivre à leur maître, c’était l’évidence même. Mais y avait-il autant urgence à dissoudre le RSP alors que la question pouvait être réglée, dans le cadre général de la refonte de notre armée sous un commandement unique, par le futur président élu du Faso ? N’est-ce pas finalement parce qu’on les aura acculés dans leurs derniers retranchements qu’ils ont fini par se faire bêtes ou fous au point de commettre l’impensable le 16 septembre 2015 ?

Force est en tout cas de constater qu’en se braquant sur ces deux sujets, on a donné des prétextes en or à un général félon, le mystérieux Gilbert Diendéré, pour perpétrer un coup d’Etat la veille de l’ouverture de la campagne électorale.

Là aussi, si on avait pris la peine d’écouter ceux qui prônaient le sens de la mesure, on aurait pu éviter certaines difficultés. Fort heureusement la faute heureuse de Golf a permis du même coup de crever définitivement l’abcès RSP mais qu’il était gravissime le péril dont nous avons réchappé !

Mais soyons juste. Alors que la période transitoire ouverte par nos «Quatre glorieuses» des 28, 29, 30 et 31 octobre 2014 tire vers sa fin, il faut reconnaître que tout compte fait, le président Michel Kafando, le PM et son gouvernement ainsi que Sy Chérif et ses CNTistes auront jusque-là tenu la maison Burkina sans trop de casses et ils ont d’autant des excuses que s’ils donnent parfois le sentiment d’être des sous-doués de la politique, c’est sans doute parce qu’ils n’ont pas l’expérience de l’Etat. Car en matière de transition, on en a connu de beaucoup plus heurtées que ça. Et avec la menace sécuritaire qui plane sur le Burkina, il ne reste plus qu’à croiser les doigts pour que le scrutin du 29 novembre se déroule « dans le calme et la sérénité » selon l’expression consacrée.

Ousséni Ilboudo

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