Grande soeur Juliette : «Blaise a épuisé tous ses stratagèmes»

| 04.02.2014
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Grande soeur Juliette : «Blaise a épuisé tous ses stratagèmes»
© DR / Autre Presse
Grande soeur Juliette : «Blaise a épuisé tous ses stratagèmes»
Un lecteur, Lucien Ouédraogo pour ne pas le nommer, après avoir lu l'analyse de la situation nationale (la démission de Roch Marc Christian Kaboré et Cie du CDP) faite par Juliette Bonkoungou et parue dans notre édition du vendredi 24 janvier 2014, se voit lui aussi obligé de répondre (NDLR : le député Alexandre Sankara avait déjà réagi dans nos colonnes à l'écrit de sa « grande sœur », Cf. L'Observateur paalga du mardi 28 janvier dernier).

 

J'ai lu avec une immense déception votre analyse de la situation, et la sympathie que j'ai pour vous m'oblige à vous répondre.

Au plan juridique

Grande sœur,
Juste un peu de courage et de lucidité.

Vous êtes juriste, magistrate de surcroît. Dire le droit est donc un exercice relativement aisé surtout que "dura lex sed lex" (la loi est dure, mais c'est la loi)...

L'article 37 de notre Constitution stipule que "Le président du Faso est élu pour cinq ans au suffrage universel direct, égal et secret. Il est rééligible une fois". Plus prosaïquement, nul ne saurait dépasser deux quinquennats. Par voie de conséquence, Monsieur Blaise COMPAORE ayant été élu une première fois en 2005 et réélu en 2010, le citoyen Blaise COMPAORE, au terme de notre Loi fondamentale, ne peut plus se représenter à une élection présidentielle.

Grande sœur,
Le droit n'étant pas de l'alchimie, cette Constitution-là interdit à Monsieur COMPAORE de postuler à un autre mandat de président. Cela est clair, limpide, et ne souffre d'aucune contestation.

Il est aussi clair que cette disposition peut être modifiée (bien que cela puisse remettre en cause la forme républicaine de l'Etat).
Il convient toutefois de reconnaître avec lucidité et honnêteté que le principe de la non-rétroactivité doit ici aussi être appliqué sans complaisance.

Grande sœur,
Il vous souviendra qu'en 2005, les partisans de Monsieur COMPAORE défendaient la légalité de sa candidature, en soutenant que l'amendement de la Constitution n'ayant pas un effet rétroactif, cet amendement ne pouvait donc s'appliquer à leur "messie" au terme de son septennat 1998 - 2005. Cette position a été confirmée par le Conseil constitutionnel en octobre 2005, statuant que l'amendement ne s'appliquerait qu'à compter de la fin du mandat en cours.

Il convient donc de tirer les conséquences de cette jurisprudence pour établir que sauf déni de justice, Monsieur Blaise COMPAORE ne peut se représenter en 2015 même si notre Constitution est modifiée, car il violerait l'article 37 actuel sur la base duquel il a été élu et a prêté serment de faire respecter.

Grande sœur,
Vous êtes bien placée pour savoir que l'Article 36 de la constitution impose au président du Faso de veiller au respect de la Constitution. Or cette Constitution, dont l'Article 37 restera en vigueur jusqu'à l'élection d'un nouveau président, stipule en son Article 40 que «Les élections sont fixées vingt et un jours au moins et quarante jours au plus avant l'expiration du mandat du président en exercice».

Grande sœur et autres partisans de la révision constitutionnelle, dites-moi : comment quelqu'un qui ne peut être réélu peut être candidat ?

Oui, s'il y a bien une personne et une seule au Burkina Faso qui ne peut et ne pourra plus jamais être candidat à une élection présidentielle dans ce pays, c'est bel et bien Monsieur Blaise COMPAORE. Crédité d'être un fin stratège militaire, il le sait très bien, comme du reste tous ses courtisans zélés, aveuglés par leurs intérêts personnels et dont la mauvaise foi n'a d'égale que leur mépris pour le Burkina et les autres Burkinabè. Encore une fois, c'est dur pour ses partisans, mais c'est la loi. En français facile, si l'on était sur un terrain de football, Blaise serait hors jeu. S'il marque, il prend un carton jaune. S'il proteste, il prend un carton rouge. C'est aussi simple que ça !

Grande sœur,
Il y a donc bel et bien une solution juridique, et les juristes, que nous sommes, ont l'obligation de le rappeler.

Au plan politique

Visiblement, il y a des problèmes politiques nés de la volonté d'un groupe de ne pas tenir compte de l'impossibilité juridique pour son mentor d'être candidat.

Les problèmes politiques sont passionnels et souvent difficiles à résoudre mais pas celui du Burkina.

Il est essentiel de rappeler au président COMPAORE deux autres dispositions de la Constitution, à savoir l'Article 36, qui lui fait obligation d'incarner et d'assurer l'unité de la nation, et l'Article 44, qui contient la formule de son serment :

« Je jure devant le peuple burkinabè et sur mon honneur de préserver, de respecter, de faire respecter et de défendre la Constitution et les lois, de tout mettre en œuvre pour garantir la justice à tous les habitants du Burkina Faso.»
Sans commentaires...

Grande sœur,
Au risque de vous rappeler qu'un chat est et restera toujours un chat, Monsieur Blaise COMPAORE a perdu le rapport de force depuis le 04 janvier 2014 et le sait, comme vous et moi nous le savons tous.

Ni son CDP, ni sa FEDAP-BC, ni l'AMP et encore moins le burlesque Front républicain ne peuvent inverser sa chute libre...

Grande sœur,
Quelques illustrations de l'inversion du rapport de force :
parmi les ténors auxquels vous faites appel, dix sont de l'opposition et cinq seulement sont favorables à Blaise. Il y a six mois, on en aurait compté neuf pour lui et six pour l'opposition. Et si on remonte à quelques années, de tous les noms cités, seuls Maître Bénéwendé Stanislas SANKARA et Boukary KABORE, «le Lion du Bulkiemdé», étaient opposants. C'est dire l'érosion calamiteuse de la base politique de Monsieur COMPAORE ;

- l'Assemblée nationale est majoritairement hostile à la modification de l'Article 37 et à la mise en place du Sénat. Et si le va-t-en guerre Premier ministre le veut, qu'il ose demander un vote de confiance sur ces deux points, et il verra. ;

- grande sœur, au-delà des circonlocutions de la diplomate que vous avez été, vous aviez laissé transparaître, dans vos avant-dernières sorties médiatiques, que vous avez pris vos distances avec le président COMPAORE. A tout le moins, si vous ne le combattiez pas, vous ne le souteniez plus aveuglément, et cela était un signe plus que révélateur ;

- dernier exemple en date, le soutien monstre dont a bénéficié Cheick Aboubacar SANA, imam de la grande mosquée de Ouagadougou, le 24 janvier 2014, surtout auprès de la jeunesse musulmane, suite à des rumeurs relatives à son éviction pour avoir reçu le Chef de file de l'opposition.

Grande sœur,
Les divisions dont vous faites état ainsi que le risque de coup d'Etat disparaîtront sans coup férir si Blaise déclare tout simplement accepter d'honorer son serment, en digne ancien officier pour qui la parole d'honneur, ici au Burkina comme partout ailleurs, est sacrée.

Aucun membre de son clan ne contestera sa décision. Mais si jamais les leaders de l'opposition politique se hasardaient à concéder à Blaise le droit de tripatouiller la Constitution, même à travers un prétendu consensus politique (cher à Hermann YAMEOGO), ils seraient désavoués et rejetés par le peuple souverain du Burkina en attendant que l'histoire les crucifie.

De surcroît, le président COMPAORE a fini par épuiser tous les stratagèmes et, à force d'avoir rusé avec l'intelligence du peuple, celui-ci ne lui fait plus confiance.

Inexorablement, les temps ont bien changé : les enfants nés en 1987 ont 27 ans aujourd'hui, ils souffrent de la déliquescence du système éducatif, du manque d'emploi, et sont surtout révoltés par l'opulence criarde et insultante dans laquelle vit le clan COMPAORE.

Alors, si nous ne nous ressaisissons pas pendant qu'il est encore temps, si nous persistons dans le louvoiement dans nos prises de position, nous n'aurions pas encore suffisamment appris de feu Norbert ZONGO pour qui «le pire n'est pas la méchanceté des gens mauvais, mais le silence des gens bien».

Grande sœur,
Un dernier mot : les intellectuels que nous sommes à cet âge ont un devoir de sincérité vis-à-vis de notre peuple. Sachons léguer à la postérité un Burkina de paix dont nous avons hérité des mains de nos devanciers.

Puisse l'intérêt supérieur du Burkina nous guider à jamais !

Lucien OUEDRAOGO

 

NB : Bâyiri.com n'est pas responsable des points de vue des auteurs externes

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