Grande leçon de sérénité démocratique burkinabè : un 18 janvier 2014 bien ordinaire…

| 23.01.2014
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Grande leçon de sérénité démocratique burkinabè : un 18 janvier 2014 bien ordinaire…
© DR / Autre Presse
Grande leçon de sérénité démocratique burkinabè : un 18 janvier 2014 bien ordinaire…
L'Afrique de demain, progressivement, émerge de ses doutes et approche courageusement vers des certitudes nouvelles. Elle nous offre incontestablement une matière à penser politique qui n'envie en rien celles d'autres cieux, à travers le monde. Originale dans sa démarche, riche d'inventions et de créations, la politique africaine se révèle d'une plasticité que seule peut éclairer la créativité des artistes africains eux-mêmes, dont l'inouï continue d'émerveiller les siècles.
Telle est la leçon de choses des événements burkinabè du jour. N'avait-on pas annoncé que ce 18 janvier serait la fin des carottes du pouvoir[1] du CDP à Ouagadougou ? N'avait-on pas laissé entendre que des millions de burkinabè occuperaient la rue pour obliger le chef de l'Etat à renoncer à faire usage des articles l'autorisant, dans la constitution de son pays, à recourir au référendum pour une révision de l'article 37 qui prescrit la limitation du nombre de mandats présidentiels à deux ? Il ne sert à rien de dire que la montagne de l'opposition burkinabè a accouché d'une souris. Il n'y avait pas de montagne ce samedi 18 janvier 2014 à Ouagadougou, quoiqu'en dise une certaine presse aux ordres de l'opposition[2].

Il ne pouvait même pas y avoir non plus de souris, par conséquent. Car c'est, de l'avis de tous, avec sérénité et responsabilité que l'opposition et le pouvoir burkinabè auront décidément géré cette journée que certains, finalement à tort, annonçaient comme celle de tous les dangers. Mais comment analyser la mobilisation effectuée par les dizaines de milliers de personnes, qui auraient, selon l'opposition notamment, traversé Ouaga pour venir imposer la loi du nombre sur la place de l'Indépendance de la capitale burkinabè ? Comment comprendre la thèse du « triomphe de la démocratie » défendue par le pouvoir à l'issue de ladite marche ? Le recul des événements nous donne maintenant toute latitude pour en juger, et pour tenter de savoir à quelle hauteur de pression le curseur stratégique de l'opposition se trouve par rapport au pouvoir burkinabè.

Dans la présente série de deux tribunes, je m'efforce donc d'analyser trois points essentiels :
1) Le contexte, les motivations et les résultats de la marche de l'opposition ce 18 janvier à Ouagadougou ;
2) L'attitude et la posture du pouvoir burkinabè face à cette tentative de montée en puissance populaire de l'opposition ;
3) Les scénarii hypothétiques de l'avenir politique imminent au Burkina Faso.

I. Contexte du 18 janvier 2014

Le contexte de la mobilisation de l'opposition burkinabè le 18 janvier 2014 est composé de quatre facteurs décisifs : 1) l'annonce en début décembre 2013 par le président Compaoré de la mise en place imminente du Sénat et de la possibilité de consulter par voie référendaire le peuple burkinabè en vue de solliciter la levée de la clause de limitation du nombre de mandats présidentiels dans l'article 37 ; 2) La levée de boucliers de l'opposition burkinabè, à travers notamment son Chef de file (CFOP) Zéphyrin Diabré qui a aussi tôt entamé une tournée d'explication sous-régionale ; 3) La démission de certains membres influents du Congrès pour la Démocratie et le Progrès ( CDP) au pouvoir en début janvier 2014 ; 4) La médiation ivoirienne mise en mission par le président ivoirien Alassane Ouattara, et conduite par le chef du parlement ivoirien, Guillaume Kigbafori Soro. Nous devons analyser réflexivement ces éléments pour comprendre cette scène du 18 janvier 2014.

Il convient de souligner que c'est en s'appuyant tout naturellement sur le texte constitutionnel burkinabè que le président Compaoré en a évoqué les clauses de révision légale et légitime en début décembre 2013. Dans une démocratie bien comprise, le souhait du Chef de l'Etat de soumettre la loi fondamentale à l'arbitrage de la souveraineté populaire ne devrait déclencher normalement ni polémique, ni scandale. Le président, en pareil cas, risque assez gros, puisqu'il pourrait être désavoué par le peuple. Mais voici.

Dans bien des pays africains, la démocratie est encore perçue par certains acteurs politiques comme le déguisement d'une seule et même sempiternelle passion archaïque : le pouvoir comme fin en soi. Pourquoi les leaders de l'opposition burkinabè, qui n'ignorent pas que l'article 37 peut légalement et légitimement être soumis à référendum ont-ils réagi comme frappés par un scandale ? Sans doute, parce qu'ils connaissent et redoutent le résultat d'un tel référendum, qui pourrait avoir valeur de présidentielle 2015 anticipée.

De la même façon, le projet de mise en place d'un Sénat, acté dans la constitution en 2012, est contesté par l'opposition, qui avance des raisons économiques, bien que les enjeux politiques soient aussi dans l'élargissement du sommet de l'élite politique burkinabè, qui servirait dès lors de plate-forme de mobilisation maximale et transversale du pays tout entier pour le candidat du CDP au pouvoir. C'est donc parce qu'elle a perçu dans les deux projets institutionnels-phares du président Compaoré, deux tests de popularité ou deux outils d'enracinement populaire du pouvoir, que l'opposition s'est soudain braquée, voyant littéralement sa défaite arriver sur tapis vert, avant le match pour ainsi dire.

La levée de boucliers de l'opposition burkinabè à travers son CFOP Zéphyrin Diabré est donc une réaction de panique, caractérisée par une angoisse double. Celle de la force de frappe du pouvoir et celle de la proximité du peuple envers le président Blaise Compaoré. Pour s'en convaincre, il suffira d'analyser l'essentiel des arguments mobilisés par Zéphyrin Diabré contre les projets d'instauration du Sénat et contre la révision de l'article 37. Ce qu'il y a d'impressionnant dans cette affaire, c'est que le CFOP Diabré n'avance AUCUN argument conforme à la constitution ou se référant à elle comme norme.

M. Diabré prétend que le peuple ne veut point de cette modification, mais quand on lui demande de laisser s'exprimer ledit peuple, il panique. Son discours[3] du 18 janvier témoigne précisément de cette phobie de la souveraineté populaire qu'on ne devrait pas trouver chez un démocrate véritable. Pourquoi ne pas essayer de battre le président Compaoré en faisant voter NON au référendum envisagé ? Le chef de l'opposition, cela faisant, se comportant littéralement comme si cette constitution burkinabè qu'il a sous les yeux depuis de longues années, et chaque jour au besoin, ne comporte pas de clause de révision concernant l'article 37, entre autres.

Le CFOP Diabré et ses nouveaux accompagnateurs démissionnaires du CDP se fondent essentiellement sur des conciliabules extraconstitutionnels qui auraient valeur supérieure de leur point de vue. Du coup, des conversations de salons et des promesses de gré à gré seraient-elles les nouvelles normes fondamentales de la politique burkinabè ? La constitution burkinabè de la IVème république que je me suis donné l'agréable devoir de lire, prévoit pourtant bien des articles 161 à 168, toutes les clauses de révision du texte constitutionnel.

On peut donc, à bon droit se demander à quoi sert, dans un tel contexte, un Chef de file de l'Opposition qui n'a cure du texte constitutionnel ? M. Diabré, en tentant de mettre un veto populiste sur les clauses de révision, ne quitterait-t-il pas insidieusement l'opposition politique pour s'installer dans l'opposition insurrectionnelle ? Où M. Diabré et ses suiveurs puisent-ils le droit d'interdire au président légal et légitime du Faso, l'initiative de la révision constitutionnelle qui lui échoit de droit concurremment aux membres du Parlement et au Peuple, en vertu de l'article 161 de la constitution burkinabè ? L'opposition burkinabè n'esquisserait-elle pas ainsi les prémices d'une confrontation para-constitutionnelle avec le pouvoir ? Ces questions sont livrées aux mois à venir.

La démission de quelques anciens membres du CDP, figures majeures d'un temps du pouvoir Compaoré, est le troisième facteur structurant le contexte du 18 janvier 2013. Non seulement, il faudra souligner que Roch Christian Kaboré ou Simon Compaoré ont largement soutenu par le passé la légalité et la légitimité de la réforme de l'article 37 de la constitution burkinabè, mais il faut dire qu'ils inspireront difficilement confiance à grand monde. Faudrait-il se contenter de l'invocation de l'erreur proposée par l'ancien président de l'Assemblée Nationale comme explication à son revirement pour la thèse opposée ? Faudrait-il se contenter des silences sur leurs anciens positionnements, que laissent flotter les ministres et maire démissionnaires du CDP ?

Il faut vraiment loin de la coupe aux lèvres. C'est sans doute leur trop longue traversée du désert – à leur goût- au CDP qui aura suscité leurs envies de lumières fraîches. Dans son adresse du 18 janvier 2014 sur la place de l'Indépendance de Ouagadougou, le CFOP Zéphyrin Diabré n'a pas manqué de manifester, dans un discours mi-figue mi-raisin envers les nouveaux opposants, toute sa méfiance : « Roch, Salif, Simon et tous vos camarades, au nom de tous nos militants et nos militantes, nous vous accueillons dans la grande famille de l'Opposition politique burkinabè. Nous le faisons, en étant convaincus que votre arrivée va fortifier l'opposition et non l'affaiblir. Nous le faisons en étant convaincus que votre arrivée va confirmer la ligne politique de l'opposition et non la contredire Nous le faisons, en étant convaincus que votre arrivée va rassembler davantage l'Opposition et non la diviser. Nous le faisons en étant convaincus que vous avez quitté définitivement le navire et que Vous et Blaise Compaoré, c'est vraiment fini. Nous le faisons en étant convaincus, que vous êtes maintenant dans le camp du peuple ! Nous le faisons, en étant convaincus, que votre arrivée va conduire l'Opposition la victoire et non à la défaite. Le peuple vous observe. Il vous a déjà pardonné, mais il n'a pas oublié. C'est à vous de lui donner la preuve palpable et concrète, que vous êtes maintenant des opposants sincères. »[4]

Du coup, c'est bien une opposition sceptique, bigarrée, suspicieuse et potentiellement implosive, où l'extrême-gauche sankariste sera de moins en moins à l'aise, qui est montée sur les planches de la Place de l'Indépendance ce 18 janvier 2014 à Ouagadougou. Jusqu'où iront-ils dans la confrontation avec le pouvoir CDP, qui paraît toujours aussi déterminé à aller à la révision légale et légitime de l'article 37, tout comme à la mise en place de l'institution sénatoriale ? Les rangs seront-ils aussi serrés comme ils le paraissaient ce matin entre tous ces chefs de l'opposition quand devra se décider la question de la confrontation violente ou non avec le pouvoir Compaoré ? L'avenir nous le dira précisément. Il faut et il suffit de remarquer que le pouvoir Compaoré a salué l'esprit de responsabilité de l'opposition et souhaité que le dialogue républicain se poursuive dans un cadre toujours plus apaisé. Cette main tendue sera-t-elle saisie par l'opposition ?

Il ne nous reste plus qu'à analyser l'impact du quatrième facteur majeur, structurant à notre sens le contexte du 18 janvier 2014, à savoir la mission envoyée début janvier par le président de la république de Côte d'Ivoire, Alassane Ouattara, sous la conduite du chef du parlement ivoirien Guillaume Soro, à Ouagadougou, dès l'annonce des trois démissions spectaculaires de Roch Christian Kaboré, Simon Compaoré et Salif Diallo du parti au pouvoir. Quand on sait le rôle majeur que le Burkina Faso a joué dans la résolution de la crise ivoirienne, on ne peut qu'y voir un échange de bons procédés entre les deux nations-sœurs et historiquement liées à jamais.

Avec quatre millions de Burkinabè vivant sur son sol, la Côte d'Ivoire est une donnée structurelle de la géopolitique burkinabè. Et bien que quelques politiciens et intellectuels burkinabè lunatiques, tels Madame Saran Sérémé et M. Etienne Traoré y aient vu une ingérence dans les affaires intérieures burkinabè, on sait avec du recul que cette exhortation ivoirienne à la paix, au compromis et au respect du droit à Ouaga aura pesé de tout le poids géostratégique de la Côte d'Ivoire dans l'attitude des manifestants de ce 18 janvier 2014.

Se démarquant de l'inélégance truculente de dame Sérémé et de l'ultranationaliste Etienne Traoré, le Chef de file de l'opposition burkinabè s'est adressé avec respect et mesure aux amis du Burkina Faso. C'est ainsi que tout bon lecteur politique sait que c'est en particulier aux autorités Ivoiriennes que le CFOP Zéphyrin Diabré s'est adressé, quand il a énoncé le mot d'apaisement que voici, se plaçant aux antipodes du procès en ingérence diplomatique et des arguments burkinitaires que ses camarades opposants ont maladroitement servis au président Guillaume Soro pendant trois jours de grande tempête médiatique : « Dans ce combat qui s'annonce, le peuple du Burkina Faso a besoin de la compréhension, de la solidarité et du soutien de tous ses amis dans la sous-région et dans le monde. C'est le lieu pour moi de rassurer tous les pays frères, les partenaires et les amis du Burkina, que contrairement à une propagande savamment distillée, le changement n'entrainera ni chaos, ni recul, ni instabilité et encore moins une guerre civile, car notre peuple est mature, et ses leaders politiques ont le sens de la patrie. A tous ceux qui s'inquiètent de la stabilité de notre pays en cas de changement, je dis que la stabilité du Burkina ne dépend pas du savoir-faire d'un seul individu, mais plutôt de l'engagement et de la maturité de notre peuple. »[5]

Peut-on cependant croire que Zéphyrin Diabré saura faire taire le ressentiment manifesté par certains de ses partisans à l'occasion de la visite de la délégation ivoirienne ? L'opposition va-t-elle prendre le risque de contester ouvertement les fondements de la diplomatie burkinabè actuelle ? L'inélégance des propos tenus par certains des membres de l'opposition burkinabè, y compris sous le voile de certains organes de presse où prospère la censure des points de vue différents, marque en tous cas d'une pierre ambigüe l'amorce des relations diplomatiques entre l'opposition burkinabè et le régime ivoirien. La mise du discours de l'opposition au diapason de la responsabilité par Zéphyrin Diabré reste malgré tout à saluer, puisqu'elle rend compréhensible l'angle d'approche consensuelle choisi par la communication du pouvoir CDP sur cette manifestation du 18 janvier 2014.

Nous examinerons précisément l'attitude du pouvoir burkinabè dans la deuxième partie de la présente tribune qui s'intitulera : « La thèse du triomphe de la démocratie burkinabè le 18 janvier 2014 ».

[1] http://www.rfi.fr/afrique/20140117-...
[2] http://www.lefaso.net/spip.php?arti...
[3] Voir le discours de Zéphyrin Diabré, http://www.lefaso.net/spip.php?arti...
[4] Idem, op. cit.,
[5] Idem, op.cit.

Franklin Nyamsi,
Agrégé de philosophie
Paris, France

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