C’est une famille profondément meurtrie, portant lourdement le fardeau de la grande douleur de tant d’exactions subies qui, aujourd’hui, vous adresse cette lettre ouverte. La plaie est profonde et le flot de la douleur, intarissable. Le sanglot de nos cœurs fait écho aux murmures de nos lèvres : «quand pourrons-nous vivre enfin, en paix dans notre propre village?», «à quand la résolution définitive de ce conflit combien inacceptable ?», «et comment comprendre la démission et le laxisme de l’administration locale ? Est-ce à dire que l’Etat est impuissant, au point que les populations doivent assurer leur propre défense ? Sinon, comment comprendre qu’on puisse devenir un réfugié dans son propre pays ?»
Excellence, les exactions perpétrées par le clan du «chef» Akongba contre les membres de la famille Liliou et alliés à Guénon depuis mars 2012,et qui se poursuivent jusqu’aujourd’hui, relèvent d’une époque moyenâgeuse et doivent immédiatement prendre fin. Une telle situation est intolérable et inacceptable dans un Etat de droit. Dans ce village comme dans tous les autres du Burkina Faso, doivent aussi s’appliquer les motifs de la révolution des 30 et 31 octobre 2015 et de la résistance du peuple burkinabè face à la forfaiture des 16 et 17 septembre. Nous avons combattu l’injustice, la manipulation politique à des fins partisanes, le mépris de la justice. Comment peut-on comprendre que des groupes d’individus dans le village de Guénon se permettent de ramer à contre-courant de la marche irréversible de notre peuple? Guénon n’étant pas hors des frontières du Burkina, cette arrogance de ces individus hors-la-loi doit immédiatement cesser. Notre «plus rien ne sera comme avant !» est-il devenu un vain mot ? Le conflit qui se vit à Guénon est devenu une situation nationale et doit être traitée comme telle.
Un bref rappel de l’essentiel des évènements passés vous fera voir l’ampleur et la gravité de la situation et surtout, que vous devez agir avec vigueur et diligence pour restaurer l’autorité de l’Etat dans ce village.
2 mars 2012, Guénon au cœur d’un conflit de chefferie
«C’est une véritable marée humaine qui a déferlé sur les concessions des Liliou. C’était comme dans une opération de ratissage. C’était une véritable battue. En toute sincérité, la gendarmerie n’y pouvait rien», se souvient le commandant de la compagnie de gendarmerie de Pô, le lieutenant Sibiri Samuel Zongo.
La suite, on la connaît. Bilan de cette expédition punitive, fourni par les forces de sécurité, l’infirmier-major du CSPS de Tiébélé, Karim Ouédraogo, et le haut-commissaire du Nahouri, Léoua OloHien : dix morts dont deux dans les rangs des Akongba et huit parmi les Liliou. Mais chez ces derniers, le décompte macabre s’établirait à douze macchabées dont onze en leur sein contre une dans le camp adverse. A tout cela, s’ajoutent les quelque neuf cents déplacés dont les domiciles ont été saccagés et incendiés, le bétail massacré et les greniers brûlés.
Six jours après le drame, le feu continue de lécher des magasins situés au marché. Chez les Liliou, épicentre des affrontements, un décor apocalyptique : habitations calcinées, portes défoncées, tôles froissées, murs éventrés, et objets personnels éparpillés. Des volutes de fumée s’échappent de certaines maisons, du moins de ce qui en reste. Du sang séché se craquelle sur le sol. Ici, une carcasse de cheval abattu à la hache enfle au soleil. Là, des dépouilles de cochons aux groins aplatis gisent sur des tas d’immondices. Plus loin, un tricycle pour handicapé couvert de suie, la roue avant en 8. Que devient le propriétaire ? Brûlé vif. Koukinté Liliou qu’il s’appelait. Le corps a complètement explosé sous l’effet de la chaleur. «Le militaire qui a dégagé le cadavre a été plus tard, admis à l’hôpital, du fait de l’odeur délétère. Des cochons dévoraient de la chair humaine», se souvient le haut-commissaire1.
Ces faits sont inimaginables, vous en conviendrez avec nous, Excellence. Mais tout cela s’est déroulé ici, au Burkina Faso, à 49 km de Pô, dans le village de Guénon, département de Tiébélé. C’est plus de huit (8) vieillards de la famille Liliou et alliés qui ont été froidement massacrés à la machette. Suite à cette «tuerie», des interpellations ont été faites et une procédure judiciaire est en cours. Dans cette situation, nous dénonçons le laxisme de certaines autorités locales dans la gestion du conflit et nous pointons du doigt certains hommes politiques qui utilisent et ravivent le conflit, à des fins électoralistes.
Nous avons enterré nos parents morts dans des conditions épouvantables, mais nos cœurs baignent toujours dans une douleur, sans nulle autre pareille, au regard des exactions dont nous sommes toujours victimes.
Dernier développement de l’histoire
Ce samedi 10 octobre 2015, certains membres de la famille Liliou ont décidé de rentrer au village, lassés de vivre en «réfugiés», loin de leur terre. A ce sujet, une lettre d’information a été envoyée aux autorités locales. Le lendemain 11 octobre 2015, le clan du «chef» Akongba et alliés sont venus les encercler. Ceux qui pouvaient courir ont pris la clé des champs. Ils ont enlevé les femmes qui ne pouvaient pas courir, les emmener de force chez leur chef (Akongba) et leur infliger des sévices d’un autre âge. Un de nos frères, rentré avec les autres, nous a envoyé un message pour dire qu’il est entre la vie et la mort... Nos maisons ont été encore brûlées, nos mamans humiliées et près d’une dizaine de personnes admises aux soins au CMA du 30 pour traumatismes, fractures et autres blessures.
Excellence Monsieur le Premier ministre,
Une telle situation est inacceptable et intolérable dans le pays des hommes intègres. Une solution doit être trouvée dans les plus brefs délais pour protéger la vie de ceux qui sont menacés, ramener l’ordre et permettre une coexistence pacifique entre les protagonistes.
Nous lançons donc, un appel pressant à toutes les autorités de la transition, aux structures de défense des droits de l’Homme et au peuple burkinabè tout entier : ces exactions doivent cesser dans le village de Guénon. Plus jamais ça à Guénon et nulle part ailleurs au Burkina Faso! Nous ne vivons pas dans une jungle, mais bien sur la terre sacrée de Yennenga.
La chefferie coutumière étant au cœur de ce conflit sanglant, nous demandons qu’elle soit suspendue le plus tôt possible jusqu’à nouvel ordre. Que justice soit rendue dans cette affaire et dans les précédentes et que les coupables et complices répondent de leurs actes. Nous demandons aussi l’installation permanente de la Compagnie républicaine de sécurité dans le village pour servir de force de tampon et prévenir tout affrontement à l’avenir.
Nous en appelons donc, au sens de responsabilité de l’ensemble du gouvernement de la transition. Minimiser cette crise, c’est donner libre cours à l’impunité et aux conflits intercommunautaires qui,déjà, ont ravagé tant de villages dans notre pays.
Dans l’espoir que notre cri du cœur sera entendu, nous vous renouvelons, Excellence Monsieur le Premier Ministre, la disponibilité de la famille Liliou et alliés à œuvrer de toutes leurs forces pour que soit trouvée une solution durable et pacifique à ce conflit qui n’a que trop duré.
Veuillez agréer, Excellence Monsieur le Premier Ministre, l’expression de notre considération distinguée.
Fait à Ouagadougou, le 13 octobre 2015
La Famille LILIOU
Ampliation : Médias
PJ : lettre d’information envoyée Contacts : 71110062/60802097
aux autorités locales