« Ce matin je me suis levé à 5 heures ; après 45 minutes de sport dans la rue, je suis revenu pour me doucher et prendre le chemin du service. Lorsque j’ai ouvert le robinet, il a toussoté comme pour me dire que j’étais sous-informé. Et mon voisin qui m’observait m’a dit : l’ONEA a décidé dorénavant de rationner sa fourniture d’eau. Heureusement, il y en avait un peu dans un bidon de 20 litres et je me suis servi une petite quantité, laissant l’autre pour ma fille qui s’apprêtait à aller à l’école. Avant de partir, j’ai dit à la servante de guetter le retour de l’eau et de remplir, le cas échéant, tout récipient que se trouve dans la maison ».
Comme Issa Ouédraogo, beaucoup, malgré la campagne de communication, n’ont pas été informés du « délestage » décidé par l’Office national de l’eau (ONEA) et n’ont pu éviter les désagréments.
Mais on peut dire qu’ils font partie des privilégiés qui disposaient de l’eau en tout temps et pour tout usage. En effet, dans les quartiers périphériques le calvaire était déjà saisissant depuis début avril et avec les nouvelles mesures c’est un pas de plus dans la sécheresse qui vient d’être franchi. De la zone de Tab-tenga (quartier situé à l’est de la ville) jusqu’à la lisière de la commune de Saaba, la vie quotidienne est rythmée par la recherche de l’or bleu. Vélo, charrettes à traction asinienne, motocyclettes, tricycles, pousse-pousse, tous les moyens sont bons pour se procurer cette denrée vitale et le décor qui s’offre à voir dans la zone donne une idée de l’ampleur de la pénurie.
La quarantaine bien sonnée, Mariam Ouangraoua et sa camarade Anne Marie Kama poussent chacune son vélo chargé de 3 bidons de 20 litres. Après une longue distance parcourue et de longues heures d’attente, la fatigue commence à prendre le dessus : « je ne peux plus pédaler ; je viens de la zone de Kala Zorgho et après 4 heures d’attente, j’ai pu remplir mes 3 bidons dans une fontaine non loin de l’hôpital pédiatrique. Je vais maintenant marcher jusqu’à destination à plus de 5 km de là. Je n’ai plus la vigueur d’antan pour une telle corvée, mais je n’ai pas le choix, sans eau on ne peut pas vivre », se lamente-t-elle. Et sa camarade de renchérir : « on n’a jamais vu une telle pénurie ; je vous assure que c’est juste pour la boisson et la cuisine. Quant à la lessive on attend impatiemment la pluie et nous espérons que Dieu qui voit notre misère aura pitié de nous ».
« Dites à Roch... »
Avec son nouveau-né entre les bras, Sarata Sinaré assise sous un hangar ne veut pas nous laisser partir sans lancer son cri de cœur : «s’il vous plaît, je vous demande de dire aux autorités que nous souffrons. Je reviens du CSPS en consultation avec mon enfant souffrant mais quand je pense à comment faire pour avoir l’eau pour la famille c’est l’amertume totale depuis trois semaines. Le manque d’eau est devenu notre préoccupation première ». Minata Sawadogo, vendeuse de bouillie analyse la question sous l’angle global de la cherté de vie : « un sac de riz coûte 19 000 F, les condiments sont aussi très chers et comme si cela ne suffisait pas, il faut maintenant se battre pour avoir l’eau. Ce n’est pas un nouveau problème mais cette année-là, les choses ont considérablement empiré », nous dit-elle avant d’ajouter : « Dites à Roch (ndlr le président du Faso) qu’en le votant, on s’attendait à mieux que ça ; si ça ne change pas, on votera quelqu’un d’autre ».
Il est 12h 15, Salimata Traoré vient de franchir le seuil de sa porte avec 8 bidons de 20 litres remplis d’eau. Cette restauratrice par terre ne vendra pas aujourd’hui le « benga » au couscous et elle nous explique pourquoi un tel faux bond avec sa clientèle : « habituellement ce sont mes enfants qui m’aident à trouver l’eau mais aujourd’hui la première en classe de terminale est en examen blanc, le deuxième et le dernier ont tous des devoirs ; je ne voulais pas les faire veiller à la fontaine ».
Dans un tel contexte, l’insécurité et les scènes de ménage sont monnaie courante : les femmes se déplaçant à des heures indues et obligées qu’elles sont de laisser leurs époux dans la solitude.
« Les fontaines sont devenues comme des maquis, c’est là que les jeunes viennent draguer les filles et même des femmes. Un soir, un mari y a même rejoint sa femme pour l’engueuler sans qu’on ne sache pourquoi. Mais nous pensons que le monsieur voulait de sa femme. Un autre jour, un monsieur y est venu jouer de la comédie en disant avec humour que maintenant les femmes n’enfanteront plus puisqu’elles n’ont plus le temps de s’occuper de leur mari la nuit », raconte Cécile Ilboudo. Son amie Kiemdé Fatoumata n’oubliera pas de sitôt sa mésaventure : « Ça fait 1 mois que je passe mes nuits à la fontaine pour n’en revenir qu’avec quelques bidons. La dernière fois un fou a failli nous violer pendant qu’on y dormait ; fort heureusement avant qu’il passe à l’action l’une d’entre nous s’est réveillée ; il était là tout nu et en érection. Imaginez s’il avait pu toucher à l’une d’entre nous sans même faire les rapports sexuels, on allait nous couvrir d’opprobre. En dehors de ces risques, il y a des piqûres permanentes de scorpion dont nous sommes victimes ».
Pour les vendeurs, tout baigne
Même des endroits névralgiques comme l’hôpital pédiatrique Charles de Gaulle ne sont pas épargnés par le problème d'eau, bien que cela reste dans des proportions moindres par rapport à la situation que vivent certains quartiers. Selon Boureima Dao, chef de service de la maintenance de l’établissement, certaines machines indispensables cessent de fonctionner ou connaissent des dysfonctionnements du fait notamment du faible débit d'eau. C'est le cas des autoclaves pour la stérilisation des outils du bloc opératoire et des machines à laver pour la stérilisation des blouses.
Pour remédier à ce problème un système de réserve d'eau est mis en place grâce à un polytank, la pédiatrie disposant d'un forage mais qui n'est pas encore fonctionnel.
Le malheur des uns faisant le bonheur des autres, les vendeurs d’eau se frottent les mains le fût de 200 l se vendant dans cette bourse hydrique entre 2000 et 2500 F CFA. Plus rapides et pratiques, les tricycles font le bonheur des conducteurs. Sont de ceux-là Mahamadi Sawadogo. Ouvrier et sans-emploi fixe, il a flairé le filon si on ose dire ou si vous préférez le filet en se transformant en vendeur d’eau occasionnel depuis 3 semaines et dit faire un chiffre d’affaires journalier de 11 000 F, calculette à l’appui : « je vends le bidon de 25 litres à 100 F et celui de 20 litres à 75 F de sorte à ce que par chargement j’aie 2750 F. Par jour, je fais 6 chargements avant de me reposer car si je suis la demande, je risque fort de m’esquinter. Je peux même vendre plus cher que ça mais je préfère être solidaire de nos mamans ».
Comme la pénurie du courant, celle de l’eau a aussi des conséquences économiques sur certaines professions dépendantes de l'or bleu. C’est le cas des laveurs de motos et de voitures. Ismaël Ouédraogo, qui officie à Koulouba fait grise mine lorsque nous le rencontrons. «Il est 13h et je n’ai lavé qu'une seule voiture, d'habitude à cette heure, j'en lavais cinq". Du coup, lui qui gagnait 5000 F CFA par jour n'en gagne plus que la moitié depuis le début des coupures d'eau au mois d'avril. Même son de cloche du côté de Daouda Sawadogo, laveur de motos sur le Boulevard Charles-de-Gaulle. "Depuis le matin, je n'ai astiqué que deux motos et je dois nourrir ma famille avec ça".
C'est toute l'économie qui doit en fait s'adapter au tarissement de cette source de vie. Le secteur de la restauration n'est pas en reste. Valentin Bazié, serveur au café restaurant "Terra Nostra", affirme que le restaurant dispose constamment d'une dizaine de bidons de 20 litres remplis d'eau. Cela permet d'assurer la cuisine en cas de coupure. Pour les lavabos, des sauts d'eaux sont remplis et mis à la disposition des clients. Du côté du restaurant "le Titis", on avoue stocker également l'eau. Mais selon le cuisinier, Issaka Nacanabo, il a été obligé une fois de préparer avec de l'eau minérale en sachet.
Les nouvelles autorités ont lancé le 31 mars 2016, le programme Zéro corvée d’eau à l’horizon 2030 avec en vue la réalisation de forages et de nouvelles adductions d’eau potable simplifiées. En attendant l’atteinte d’un tel objectif noble, le bout du tunnel n’est pas pour demain. Et les ménagères continueront de souffrir le martyre, le regard désespérément fixé sur le robinet qui refuse obstinément de faire tomber la moindre goutte.
Abdou Karim Sawadogo
Mireille Bayala
Hugues Richard Sama (stagiaire)
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Encadré 1 :
« Au début, on a pensé à la Volta noire »
Pendant longtemps, la ville de Ouagadougou a été alimentée par un seul barrage qui est le numéro 3 qu’on appelait Sanbghin. Immédiatement après les indépendances, les 5 premières années qui ont suivi, on a connu un boom démographique dû à l’exode des populations rurales vers la ville. Ouagadougou se peuple à telle enseigne que le barrage n°3 qui restait pérenne toute l’année a commencé à accuser des insuffisances. En 1967, des mesures ont été prises à titre de consignes. Ainsi on demandait aux gens de ne plus arroser leurs jardins, de ne plus laver les voitures, aux quelques rares personnes privilégiées dans certains quartiers qui avaient des piscines de ne plus les remplir. C’est en ce moment qu’il y a eu les premières tentatives d’ensemencement des nuages pour provoquer des pluies artificielles. Mais c’était vraiment dans les balbutiements de l’art et les résultats n’étaient pas du tout concluants. Souvent on ensemençait pour qu’il pleuve dans la région de Ouagadougou et il pleuvait plutôt là où on avait peut-être pas un problème d’eau pour ne pas dire que ça franchissait les frontières.
Une des solutions qui avaient alors été envisagées, c’était de faire venir l’eau depuis le Mouhoun, en son temps la Volta noire. La technique consistait à drainer l’eau par des pipelines jusqu’à Ouagadougou. Mais pour toutes sortes de raisons, le projet n’a pas vu le jour. C’est ce projet qui explique que le siège de l’ONEA se trouve actuellement à Pissy. Toute la zone, du siège jusqu’au barrage de Boulmiougou avait été déclassée pour ce projet. C’était des domaines champêtres appartenant au Mogho Naaba qui les avait concédés au projet.
Encadré 2 :
« Il n’y a pas de délai pour la fin des coupures d’eau »
Vu l’ampleur de la situation, une rencontre de crise s’est tenue hier matin au ministère de l’Eau et de l’Assainissement en présence du Directeur général de l’ONEA, Hamado Ouédraogo. L’on apprendra que le calvaire vécu par les populations du fait de la pénurie d’eau est sans délai.
On connaissait le délestage de courant à Ouaga mais pas d’eau. Pourquoi en est-on arrivé là ?
Il y avait un déficit de 48 000 m3 d’eau mais avec la forte poussée de la chaleur, le déficit a augmenté et nous estimons cela à 70 000 m3 d’eau et malheureusement la capacité de production d’eau n’a pas bougé, soit 156 000 m3. Lorsque le gap était à 48 000 m3, les dispositions avaient été prises pour qu’il n’y ait pas une coupure d’eau de plus de 24 heures et avec ce déficit qui s’est accru, ce dispositif ne peut plus être respecté. D’où le passage à la solution de distribution alternée.
Pourquoi jusqu’à 12h de rationnement alors ?
Quand un château d’eau dessert une zone, on divise la zone en deux et chaque partie à 12h 00 pour bénéficier de l’eau. Donc la distribution alternée se fera à l’échelle de chaque réservoir et non à l’échelle de la ville de Ouagadougou. Le choix des douze heures tient lieu du fait que vingt-quatre heures sans eau, c’est trop et moins de 12 heures aussi, toutes les zones du découpage n’auront pas le minimum. C’est donc pour une question d’équité.
Parlant d’équité, il y a des zones qui ne connaissent pas de coupures.
Ce sont en réalité des zones basses et comme l’eau quitte du point haut vers le point bas, les habitants de ces zones ne pourraient pas manquer d’eau quelle que soit la pénurie. Nous allons maintenant forcer pour que l’équité soit effective.
En dehors de cela, lorsque l’eau revient, on constate qu’elle a une autre couleur. A quoi cela est-il-dû ?
Lorsque vous ouvrez le robinet de l’ONEA après une coupure d’eau et que le liquide qui y provient est d’une autre couleur, cela signifie que les réservoirs étaient vides et que l’eau n’a pas eu le temps de se stabiliser avant d’être servie. Cette première eau doit être utilisée pour la lessive, l’arrosage des plantes... Cependant lorsque par exemple c’est dans votre cuisine que l’eau change de couleur après une coupure, cela voudrait dire que ce sont vos installations qui ont un problème.
A quand la fin de ce calvaire ?
Il n’y a pas de délai pour ça. Si demain ou après-demain la température baisse, la situation va changer ou même s’il commence à pleuvoir la situation peut se normaliser.
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Encadré 3 :
Problème de riches
Pour le commun des Burkinabè, les besoins quotidiens en eau concernent essentiellement des aspects vitaux comme boire, faire la cuisine, se laver et, dans une moindre mesure, laver le linge. Il existe cependant une autre catégorie de consommateurs dont les besoins, pour être particuliers, n’en sont pas moins importants. Vous pensez sans doute à ces privilégiés qui ont des V8 à astiquer ou des piscines à remplir mais à côté de ces nécessités non-indispensables pour ne pas dire superflues, il y a une autre plus sérieuse : les toilettes internes (et même parfois externes) notamment dans les quartiers résidentiels qui disposent du tout-à-l’égout à l’image de Petit-Paris, la Zone du bois, la Rotonde, Ouaga 2000 et quelques autres îlots de prospérité disséminés à travers la ville. Ça n’a l’air de rien mais ne pas disposer en permanence d’eau courante dans ses sanitaires, outre les odeurs incommodantes, cela peut engendrer également des problèmes d’hygiène, et donc de santé plus ou moins sérieux. A chacun ses angoisses, n’est-ce pas ?
A .K.S
E.M.B.
& R.S