Quand précarité et promiscuité côtoient l’espoir

| 28.10.2015
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Photo d'archives, utilisée à titre d'illustration
© Banque Africaine de Développement (BAD)
Photo d'archives, utilisée à titre d'illustration
La vie dans les zones non loties de Bobo-Dioulasso relève du parcours de combattant. Promiscuité, précarité sur fond d’espoir y règnent. Reportage.


Dans la zone non-lotie de Safalao, ce dimanche 11 octobre 2015, le sol est toujours humide. Certaines constructions en banco rongées par les pluies tiennent difficilement debout d’autres se sont écroulées. Des enfants, à la seule force de leurs bras, tentent de faire avancer un pousse-pousse embourbé, devant un point de vente de carburant de fortune. Le vendeur, un jeune vêtu d'un polo jaune, les observe. Antoine Yaméogo, élève en classe de seconde, vend du de carburant est son job pendant les vacances. Il vend de l’essence, du pétrole et du gasoil, avec comme unité de mesure, de vieilles bouteilles d’un litre chacune. « L'essence marche bien », confie-t-il. Le gasoil est acheté par les gérants de moulins à grains qui sont dans la zone et le pétrole, par les ateliers de soudure, explique notre interlocuteur qui dit vendre 30 litres de carburant par jour. Antoine Yaméogo est né dans le non-loti de Sarfalao, il y a 20 ans. Il vit avec ses sept frères et leurs parents dans une maison en banco. « En saison pluvieuse, nous souffrons beaucoup. Nous avons peur, parce que nos maisons sont en banco », fait-il savoir. Pour lui, être un élève dans un quartier comme le non-loti n’est pas reluisant. Il y a le manque d’électricité pour étudier, dit-il. Son souhait est qu’il y ait un cybercafé dans son quartier. « Cela va me permettre de faire des recherches », déclare-t-il.

« Nous voulons quitter cette misère »

Le manque d’électricité contraint certains élèves comme Essenasso Zakané en classe de 3e au Lycée Ouezzin Coulibaly, à étudier loin de son domicile. « Je peux rester dans un établissement à côté du quartier pour bosser jusqu'à 23 heures. Mais souvent, j'ai peur d'être agressée en rentrant », explique la jeune fille devant ses marmites qu’elle lave. Certains habitants qui se croient rusés, ont réussi à tirer l’électricité illégalement de la Société nationale burkinabè d’électricité (SONABEL) avec des poteaux en bois et des fils qui laissent à désirer. L’astuce, c’est de s’entendre avec ceux qui sont à proximité des zones loties, à y installer un compteur SONABEL et ensuite, à dispatcher le courant dans certaines cours. Dans ce quartier précaire, il y a des ruelles partout et qui parfois, se terminent dans des habitations. Elles sont également accidentées et difficiles à emprunter, surtout en saison de pluie. Employé dans une société de gardiennage, Abdoulaye Sawadogo a élu domicile dans le non-loti de Sarfalao depuis1998. Père de cinq enfants, il déplore cette situation. « En saison pluvieuse, raconte-t-il, mon cœur bat à chaque fois. L'eau peut emporter nos enfants. Il n’y a pas de routes ni de caniveaux ». Ce sont ces ruelles que Marie Kafando arpente chaque jour et ce, depuis sept ans, pour livrer l’eau à ses clients. Son équipement est constitué de deux barriques et d’une charrette tractée par un âne. Elle a emménagé dans ce non-loti il y a 14 ans de cela. « Nous avons un véritable problème d'eau. Il y a tellement de coupures. Nous sommes obligés d'aller à la fontaine vers 2 heures ou 3 heures du matin », soutient-elle. Marie Kafando vend la barrique d’eau à 300 F CFA. En saison sèche, elle peut vendre jusqu'à dix barriques, contre quatre seulement en saison pluvieuse. A travers cette activité, elle entend contribuer aux dépenses de son foyer. Mais elle souhaiterait avoir un métier qui lui permette de mieux s’occuper de ses enfants. « Nous voulons de l'aide pour quitter cette misère », dit-elle en souriant.

"Refuge de bandits"

Dans ce quartier, la nuit handicape les habitants. La peur s’installe en effet dans toutes les concessions, et sortir devient difficile. « Il y a la peur. Nous sommes obligés de sortir en groupe. On sort à trois, sinon seul, on ne peut pas sortir », s’écrie Marie Kafando. Selon elle, lorsqu’un enfant tombe malade la nuit, il faut que des hommes accompagnent les parents dans un centre de santé. L’insécurité est palpable et les témoignages sont nombreux pour le confirmer. Boukary Tall, grand-père qui vit dans ce non-loti depuis 2002 avec ses sept fils, quatre petits-fils et deux belles-filles, qualifie le quartier de refuge de bandits. Pour preuve, il fait savoir que sa voisine a été battue une nuit, par des inconnus, dans sa maison. « Ils l'ont frappée jusqu'à ce que le sang coule. Les sapeurs-pompiers sont venus l'emmener à l'hôpital. Ils ont fait plus d’une heure avant d’arriver », dit-il. Dans ce quartier, les femmes sont en effet des proies faciles pour les bandits. Cynthia Ouédraogo, élève en classe de 3e, l’a échappé belle : « J'ai été victime d'une tentative de viol vers 3 h du matin, en l'absence de mes parents. J'ai crié et les voisins sont venus me sauver ». Mais dans ce quartier précaire, certains habitants ont créé des conditions favorables aux bandits, en faisant des champs de maïs devant leurs portes. La plupart des habitants de ce quartier sont pauvres. « Ce sont les pauvres qui vivent dans ce quartier. Ceux qui ont les moyens sont allés construire ailleurs », a fait comprendre Abdoulaye Sawadogo, l’agent de gardiennage. « Souvent, nous manquons de nourriture. Les parents n’ont pas d'emploi et nous sommes pauvres », renchérit Cynthia Ouédraogo.

Solidaires, malgré tout

Le long du quartier ou à l’intérieur, il y a de petites boutiques de vente de liqueurs. Bernard Pagabélem en possède une. Devant sa cour dont le loyer fait 5 000 F CFA, ce père de cinq enfants a installé son kiosque. Il dit nourrir difficilement sa famille et payer la scolarité de ses enfants. Parmi ses clients, il a cité des mécaniciens, des maçons et des fonctionnaires. Selon Bernard Pagabélem, la liqueur affaiblit l’homme lorsqu’elle est consommée sans modération. Dans son kiosque, les bagarres ne manquent pas. « Ce sont d’autres buveurs saouls qui viennent provoquer mes clients. Sinon, je refuse de vendre la liqueur lorsque je constate que le client ne supporte plus », fait-il savoir. Il dit vouloir abandonner cette activité, parce qu’il y a beaucoup de kiosques. Malheureusement, il n’a pas réussi à son test de recrutement d’agent dans une société de gardiennage. Les habitants du quartier non-loti sont victimes de préjugés. Surtout les jeunes filles, traitées par les gens de la « ville » comme « des filles faciles ». Elles en souffrent. « Mais on va dire quoi », se demande Evelyne Nassa, 18 ans en classe de 4e. Et d’ajouter : « Les gens de la ville ne nous accordent pas beaucoup de respect ». « Une fille facile » suivant son explication, est une fille qui se livre aux hommes, pour le peu qu’on lui propose. « Elles se promènent de garçon en garçon. Elles ne savent pas dire non. Cela s'explique par la pauvreté. C'est difficile de les conseiller », soupire Prisca Traoré, habitante du quartier, qui admet l’existence de cette catégorie de filles. Malgré toutes ces réalités, les habitants vivent en parfaite entente. « Il y a une bonne cohésion sociale. Les gens sont solidaires dans ce quartier », fait comprendre Boukary Tall. Tous ici nourrissent un seul espoir : avoir un jour une parcelle, afin de pouvoir loger dans une maison décente.

Rabalyan Paul
OUEDRAOGO
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5 000 parcelles à problèmes

Le quartier non-loti de Sarfalao existe depuis 1989, après le lotissement du secteur 17 en 1985. Selon le nouveau découpage de la commune, ce quartier périphérique correspond au secteur 26. L’agent domanial, Martin Millogo de l’arrondissement n°5 dont relève le secteur, a indiqué que plus de 5 000 parcelles ont été dégagées après les recensements de 2003 et 2006. Avant l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre, un recensement était en cours pour satisfaire ceux qui n’ont pas eu de parcelle, de concert avec les terriens, a-t-il dit. Une volonté qui est toujours en vigueur, si toutefois l’Etat donne l’ordre de procéder à un lotissement. Pour le moment, il est impossible aux acquéreurs de mettre en valeur leurs parcelles, parce que les habitants du quartier s’y opposent. M. Millogo souhaite que l’Etat puisse faire une communication sur la nouvelle loi 034 et la loi 017. La loi 034 ne reconnaît pas de zone non-lotie. Et la loi 17 précise que le lotissement se fait sur un terrain nu, en deux lots viabilisés pour habitation et activités connexes. En attendant, dans la ville de Bobo-Dioulasso, il existe un non-loti dans tous les secteurs périphériques.

R.P.O.

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