Les contrebandiers burkinabè

| 24.03.2016
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Les contrebandiers burkinabè
© DR / Autre Presse
Les contrebandiers burkinabè
Source d’espoir, la découverte d’or dans les sous-sols du Burkina Faso n’a pas permis d’améliorer les conditions d’existence de la population, laquelle ne profite guère des revenus générés par le métal précieux. Dans le cas de l’or artisanal, notre enquête a en effet révélé que plusieurs tonnes sont acheminées chaque année illégalement vers le Togo par de puissants réseaux de contrebande, qui s’enrichissent aux dépens des caisses publiques. Voici comment ils procèdent. Et pourquoi.

 

Declaration de BerneAprès avoir été extrait des entrailles de la terre et «nettoyé», l’or est vendu à une série d’intermédiaires, appelés «comptoirs d’achat». Il s’agit d’individus ou de sociétés. Ces comptoirs peuvent être de simples acheteurs ou jouir de participations dans les mines et bénéficier, à ce titre, de contrats d’achats exclusifs sur un pourcentage de la production.

Certains de ces comptoirs sont équipés pour préraffiner l’or. Ils broient le minerai, le placent dans des «pesées» en terre cuite et le chauffent jusqu’à liquéfaction. A ce moment-là, le liquide est versé dans des lingotières en fer. Une solution composée d’acide nitrique et d’acide chlorhydrique est alors injectée dans le minerai liquide, afin de séparer les impuretés lors de la solidification, généralement du cuivre (or rose), de l’argent (or jaune) ou du fer (or blanc). Il ne reste ainsi que le métal précieux (et parfois des résidus de platine). A ce stade, l’or atteint déjà en moyenne 22 à 23 carats, proche de sa pureté maximale, explique une source au Ministère de l’énergie et des mines togolais.

C’est sous cette forme, en petits lingots de la taille d’un paquet de cigarettes et d’un poids maximal d’un kilo, que les contrebandiers acheminent illégalement l’or par voie terrestre jusqu’à Lomé, au Togo, privant ainsi le Burkina Faso de précieuses recettes publiques. « Pour ne pas mentir, il n’y a pratiquement pas d’exportation d’or légale entre le Burkina et le Togo », tranche ainsi, sans ambiguïté, un fonctionnaire du Ministère burkinabè des mines. Selon nos estimations conservatrices, pas moins de 7000 kilos d’or transitent de cette façon entre les deux pays. Il y a cependant tout lieu de croire que la production artisanale d’or non déclarée est bien plus élevée (lire encadré).

«L’optimisation» fiscale des contrebandiers

Pour les contrebandiers, exporter le précieux métal du Togo plutôt que du Burkina Faso présente un avantage évident: ils échappent ainsi à toute forme d’impôt, que ce soit les royalties, les impôts sur le bénéfice ou encore les taxes à l’exportation. S’il est difficile d’estimer de façon fiable les pertes que de telles pratiques représentent pour l’Etat, on ne prend pas trop de risques en affirmant que celles-ci se chiffrent en dizaines de millions de francs, au vu des quantités. On peut, par ailleurs, évaluer avec davantage de précision les montants non perçus sous forme de taxe à l’exportation du fait de la contrebande vers le Togo. Pour 7000 kilos d’or exportés chaque année, le manque à gagner est d’environ 6,5 millions de francs suisses (près de 4 milliards de F CFA, ndlr). Ces recettes substantielles seraient les bienvenues dans les caisses du Burkina Faso, 181e pays sur 187 au classement mondial 2014 selon l’indice de développement humain du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD).

Un homme puissant

Le principal «exportateur» burkinabè qui, selon nos sources, organise le transit de l’or vers le Togo, est une société dénommée Somika. Cette firme appartient à un certain El Hadj Adama Kindo. Incontournable dans le secteur, ce puissant homme d’affaires est titulaire de nombreux permis miniers et sa société est l’un des principaux acheteurs d’or artisanal du pays. Comme c’est souvent le cas pour de tels personnages, Adama

Kindo bénéficie d’appuis politiques.

N’est-il pas consul honoraire de Guinée au Burkina Faso? Le secrétaire général du Syndicat des travailleurs des géologies, des mines et des hydrocarbures affirme que Kindo entretient des «liens les plus étroits avec Blaise» (Compaoré, l’ex-président, renversé le 31 octobre 2014, ndlr). La presse a, par ailleurs, fait état de ses amitiés avec une dizaine de ministres, ce qui pourrait faire de lui une personne politiquement exposée, au sens de la loi suisse. Ce statut impliquerait une vigilance accrue de la part de ses partenaires d’affaires helvétiques.

Sollicité à plusieurs reprises, Adama Kindo n’a jamais répondu à nos demandes d’interview. Lorsque nous étions sur place, un représentant de sa société a nié toute implication dans l’exportation illégale d’or vers le Togo, sans toutefois expliquer où disparaissent les tonnes d’or produites dans les concessions contrôlées par Somika.

Comment ce commerce massif peut-il échapper totalement à la vigilance des autorités burkinabè? La plupart des fonctionnaires, des journalistes et des représentants d’ONG avec lesquels nous nous sommes entretenus estiment que le secteur est gangrené par la corruption et qu’un tel niveau de contrebande est impensable sans complicités dans les hautes sphères du pouvoir.

Contrairement à ce qu’avançait notre source en son sein, le Ministère des mines réfute officiellement toute corruption et déclare ignorer que de l’or est exporté illégalement au Togo.

Une enquête inédite réalisée par Marc Guéniat et Natasha White en collaboration avec Peter Dörrie (journaliste indépendant).
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Encadré

La Suisse importe «121%» de la production burkinabè!

La ruée vers l’or a débuté, il y une dizaine d’années, au Burkina Faso. Résiduelle dans un premier temps, la production industrielle a augmenté massivement dès 2009, faisant de ce pays le quatrième producteur du continent. Cette même année, la Suisse a commencé à importer la quasi-totalité de l’or extrait.

La production artisanale largement sous-estimée

Les statistiques burkinabè semblent peu fiables. Certaines années, en effet, la Suisse importe jusqu’à 121% de la production. Il est donc probable que la quantité réellement produite soit nettement plus élevée.

D’ailleurs, la production artisanale ne s’élevait officiellement qu’à 1000 kilos en 2014. Nos recherches montrent que ce chiffre doit être multiplié par huit au minimum. Certaines estimations avancent jusqu’à 30 000 kilos d’or commercialisés sans que l’Etat n’en perçoive le moindre centime. Cela permettrait d’expliquer pourquoi les importations helvétiques dépassent la quantité totale d’or extrait, tout comme la contrebande d’or artisanal du Burkina Faso vers le Togo.

Une enquête inédite réalisée par Marc Guéniat et Natasha White en collaboration avec Peter Dörrie (journaliste indépendant).

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