«Benga» se transforme en pizzas, en couscous, en biscuits, et en crêpes à la viande hachée. Ce sont des mets locaux que des femmes transformatrices burkinabè proposent aux consommateurs. Vendeuse de haricot préparé au riz et au petit mil autrefois, Awa Ouédraogo excelle dans la transformation agroalimentaire à Kongoussi, chef-lieu de la province du Bam, à une centaine de km de la capitale burkinabè. En plus de cette activité qu’elle mène depuis plus d’une dizaine d’années, elle a reçu des formations à la transformation des produits locaux. Avec ces connaissances acquises, Mme Ouédraogo a décidé de changer l’habitude alimentaire des populations du Bam, en transformant le niébé en plusieurs recettes : couscous, biscuits, farine raffinée et semoule de haricot ou ‘’birba’’. En fonction des goûts et des rendements, la variété «Komcallé» en langue locale ou ‘’coupe faim’’, dame le pion aux autres. Le couscous et la farine raffinée sont issus de la transformation de cette variété. Cependant, la variété «61-1» ou le «beng siido» ou niébé sucré, associés à d’autres ingrédients comme le sucre vanillé, les œufs, le beurre, la menthe, est utilisée pour la fabrication des biscuits, avec un four qu’elle a acquis grâce au soutien du Projet d’appui aux filières agricoles (PROFIL) . Ces délices sont conditionnés dans de petits sachets et vendus à 500 FCFA l’unité. Avec 15 000 F CFA de bénéfice engrangé au moins toutes les deux semaines, Mme Ouédraogo ne regrette pas d’avoir embrassé ce métier car à l’en croire, elle arrive à se tirer d’affaires. «J’ai eu un passé très difficile. Mon mari est alité depuis une dizaine d’années à Ouagadougou. Je suis toute seule avec mes trois enfants et il fallait que je me batte pour pouvoir subvenir à leurs besoins. Mais aujourd’hui, grâce à mon activité de transformation, j’ai pu payer leurs études et les deux travaillent déjà», nous révèle t-elle. Et de nous signifier que ses produits sont méconnus de la plupart des populations. Face à cela, la production se fait sur commande par certains supers marchés du Bam et de Ouagadougou. Mais elle entreprend une vaste campagne pour se faire connaître. «Je fais la promotion de mes produits dans les services. Je les expose le plus souvent lors des événementiels tels que les foires et les journées promotionnelles. J’arrive également à les écouler dans la sous-région, par l’intermédiaire de ma fille résidant au Sénégal», ajoute-t-elle. Néanmoins, un quarteron de clients fidèles s’approvisionne de temps à autre. Sont de ceux-là, Jean-Marie Sawadogo, fondateur du Lycée privé Don Bosco du Bam. Les biscuits et le couscous, il ne s’en prive pas. «Le couscous de niébé a un bon goût et très prisé par les membres de ma famille. Les enfants en réclament aussi lors de leurs anniversaires», précise M. Sawadogo. Des repas qui étaient préparés en temps de famine de son avis, se retrouvent aujourd’hui être des repas de luxe. «C’est pour dire qu’un homme intègre doit d’abord consommer ce qu’il produit avant de s’intéresser aux produits importés», assène-t-il. De même, Eulalie Ouédraogo, accoucheuse auxiliaire a une préférence pour le couscous. Elle le prépare deux fois dans le mois et le fait goûter à ses invités, qui n’hésitent pas à lancer leur propre commande après dégustation. Parmi ceux qui ne connaissent pas ces produits, figurent Alidou Kafando, commerçant à Kongoussi. Il dit être prêt à en consommer, mais prévient qu’il ne boira jamais la boisson faite à base du niébé, de peur d’avoir des ballonnements. Heureusement, l’une des transformatrices de cette boisson, Bibata Sankara, lève toute équivoque sur la question. Pour elle, la préparation est faite de façon minutieuse, de sorte à ne pas susciter un quelconque malaise chez le consommateur.
Des richesses à valoriser
Tout comme Awa Ouédraogo, Assétou Traoré évolue dans la transformation agroalimentaire dans la ville de Ouagadougou. Jadis vendeuse de bouillie et de galettes devant la concession familiale, elle a fait de la transformation des céréales locales et des produits forestiers non ligneux, son gagne-pain. «Donnez-moi n’importe quelle céréale locale ou des feuilles de plantes consommables, je vous en ferai toutes sortes de recettes et vous allez beaucoup apprécier», nous a-t-elle défiée. Responsable de l’entreprise ‘’Tout Super’’, elle exporte ses produits vers les Etats-Unis, le Canada, le Sénégal, la Côte-d’Ivoire, le Mali et le Niger. En plus du couscous et des biscuits, elle fait du spaghetti de niébé, du ‘’dèguè’’, des crêpes, des langues de chat, du Yongon (gonré) précuit, du gonré fourré aux œufs, du gonré arc-en-ciel, du Yongon ‘’surprise’’, des gâteaux et des brochettes. Des mets bien appréciés par les spécialistes de la santé, qui vantent leur valeur nutritive. Dr Hagrétou Sawadogo, technologue alimentaire et microbiologiste affirme que le niébé est riche en protéines et contient des glucides, des fibres et de la vitamine du groupe B. «Tous les produits dérivés du niébé gardent cette forte teneur en protéines après transformation mais les autres éléments nutritifs qui seront réduits peuvent être compensés en ajoutant des ingrédients lors de la préparation, ou en consommant des fruits ou des légumes», justifie-t-elle. L’idée de transformer le haricot en divers mets innovants est née, selon Mme Traoré, en 2006. Son objectif de départ était d’apporter une valeur ajoutée aux produits locaux et de participer à des compétitions d’art culinaire. «J’avais arrêté l’activité parce que je voyageais beaucoup. Mais comme je recevais toujours des commandes de mes anciens clients, je me suis relancée en 2014», souligne-t-elle. Avec un fonds de roulement de 1250 F CFA, Mme ‘’Tout super’’ brasse aujourd’hui des millions de F CFA. Elle est fière de voir ses efforts couronnés de succès. A plusieurs reprises, elle a été distinguée lors des manifestations culturelles et elle a affiché sa détermination à faire des produits ‘’made in Burkina’’, une réalité. «Ma devise c’est : les produits locaux ou rien», dit-elle en substance. Le cri du cœur de cette transformatrice, est de convaincre la population à «consommer burkinabè». «Nos produits locaux ont plus de visibilité à l’extérieur et le Burkina Faso est le pays le plus avancé en matière de transformation de produits locaux dans la sous-région», explique–t-elle.
S’inspirer d’autres pays
Les difficultés rencontrées par les transformatrices se résument à la qualité de la matière première, le manque de matériel et d’infrastructures adéquates pour la transformation et l’accès au marché. Le mois de jeûne musulman, les vacances et la saison des pluies sont des périodes de fortes demandes. Malheureusement, compte tenu de l’absence de magasin de stockage, déplore Assétou Traoré, nous peinons à satisfaire les clients. Chez Awa Ouédraogo, la fabrication des pizzas et des gâteaux à base du niébé a subi un coup d’arrêt par manque de congélateur. Sa collègue Bibata Sankara du groupement «Kiswendsida» se trouve dans la même situation. Elle est contrainte d’utiliser les glaçons pour pouvoir conserver correctement son produit. En outre, cette activité de transformation menée par les femmes est toujours manuelle. Mme Traoré en veut à l’Etat burkinabè qui, pour elle, refuse d’emboîter le pas du Sénégal, où le gouvernement aide les associations avec des équipements performants et des emballages de qualité. « J’ai bénéficié de la Direction générale de la promotion de l’économie rurale (DGPER) en 2014, seulement de 15 000 sachets de conditionnement et des étiquettes. C’est l’emballage qui vend nos produits. Même si nous mettons de l’art dans tout ce que nous faisons, si le produit est mal présenté, il n’attire pas le client», argue-elle. La Directrice de la transformation, de l’alimentation, de la promotion des normes et de la qualité nutritionnelle (DTAN), Ella Boudané, pour sa part, clarifie que la DGPER a toujours été aux côtés des femmes, à travers des formations et la mise à leur disposition, des stands lors des événements d’envergure. «Nous menons toutes ces activités dans le but d’encourager les femmes à aller vers la démarche qualité», relate t-elle. Au-delà de la recherche qualité dans la transformation, le niébé est considéré par les acteurs du secteur, comme étant une des filières prioritaires en termes d’opportunités. C’est ce qui justifie selon le Directeur provincial de l’agriculture (DPA) du Bam, Yacouba Nango, les efforts de l’Etat, visant à promouvoir la filière depuis 2010, à travers une politique destinée à aider les femmes à sortir de la pauvreté. Lesquels efforts se sont traduits par la distribution de semences améliorées et d’engrais à prix subventionnés aux producteurs.
Des semences améliorées pour une production de qualité
La production du niébé est en constante augmentation au plan national. Celles des deux dernières campagnes sont révélatrices d’une bonne ‘’santé’’ de la filière. Le Directeur du développement des marchés des produits agricoles (DDMPA), David Tiemtoré, note 562 729 tonnes de niébé produites en 2014-2015 et 571 304 tonnes enregistrées en 2015-2016. Pour la campagne agricole 2016-2017, l’argent injecté dans l’acquisition des intrants agricoles par le gouvernement burkinabè se chiffre à plus de 10 milliards de F CFA et 2 milliards de F CFA ont été engagés pour les équipements agricoles et l’acquisition d’animaux de trait, au profit des producteurs et productrices les plus vulnérables. «Dans la province du Bam, c’est environ 15 tonnes de semences de niébé de la part du gouvernement et des partenaires, qui nous ont été remises pour la campagne 2016», indique le DPA Nango. L’Union provinciale féminine Namanegbzanga (UPFN) du Bam, présidée par Awa Ouédraogo regroupe 3 315 femmes reparties en 117 groupements. Elle a bénéficié depuis 2014, des financements d’un projet américain, en l’occurrence the United states african development fondation (USADF), à hauteur de 48 millions de F CFA. Cette aide américaine a permis, selon la présidente, de former les membres de l’Union sur des thématiques diverses comme les techniques agricoles de conservation et de traitement du niébé, de stockage, de commercialisation et de gestion. Fabrice Sinini, comptable au sein de l’Union souligne que les semences distribuées chaque année ne couvrent pas les besoins des producteurs du Bam, à fortiori l’UPFN. «C’est la raison pour laquelle nous formons aussi nos membres à la technique de production du compostage et de la fumure naturelle», précise-t-il. A ces préoccupations, le DDMPA, M. Tiemtoré, répond que les producteurs doivent comprendre que l’aide de l’Etat n’est pas éternelle.
Des techniques pour une meilleure commercialisation
L’Union provinciale féminine Namanegbzanga (UPFN) a obtenu le prix de la meilleure plateforme d’innovations niébé de l’espace CEDEAO, décerné par le Conseil ouest et centre africain pour la recherche et le développement agricole (CORAF), le 19 novembre 2015 à Dakar (Sénégal). Elle a initié des journées promotionnelles au cours desquelles, chaque producteur de niébé expose ses produits. La 4e édition qui s’est déroulée au mois d’avril 2016 à Kongoussi a été un succès, qui lui a permis de liquider toute sa production de 2015, estimée à 26 tonnes, avec comme principaux clients, la Société nationale de gestion du stock de sécurité alimentaire (SONAGESS) et le centre de l’Association promo monde rural (APMR). Les attaques des bruches et autres insectes nuisibles inquiètent quelquefois les producteurs de niébé, de même que la technologue, Dr Sawadogo. «C’est l’une des contraintes majeures dans la commercialisation du niébé. Pour pallier cette ‘’peste’’, certains producteurs utilisent des insecticides non autorisés pour la conservation et cette méthode anarchique est source de problèmes de santé», déplore-t-elle.
Le DDMPA, David Tiemtoré, plaide pour une bonne organisation de la filière en vue de faire face à la concurrence. Il souligne tout de même que la DGPER appuie les acteurs dans la commercialisation, en mettant en place une plateforme virtuelle. Pour remédier aux insuffisances liées à la conservation du produit pour une meilleure vente et à sa valorisation, Dr Sawadogo exhorte d’une part, les producteurs à mettre au point, des techniques améliorées en la matière et d’autre part, elle suggère aux femmes de faire, en plus des journées promotionnelles, du marketing ou des émissions sur les vertus nutritionnelles du niébé.
Afsétou SAWADOGO