Et pourtant, la faim et la malnutrition persistent
Toutefois, en dépit de ces efforts, les personnes rencontrées estiment, presqu'unanimement, que la faim et la malnutrition restent persistantes au Burkina Faso, et que les objectifs de les réduire de moitié, conformément à l'OMD 1, sont loin d'être atteints en 2015. Selon des chiffres, l'insécurité alimentaire touche en moyenne 35,4% des ménages. Il y a aussi le risque que cette année, 54% des ménages agricoles burkinabè n'arrivent pas à couvrir leurs besoins céréaliers. Les acteurs non étatiques du monde agricole ont leurs explications. Pour beaucoup d'entre eux, les 14% du budget consacrés à l'agriculture paraissent comme une goutte d'eau dans une mer, tant les besoins sont énormes. Mme Marie Avrou Sia/Yaro, productrice, vice-présidente de la fédération des professionnels agricoles du Burkina (FEPAB), vice-présidente du collège des femmes au niveau de la Confédération paysanne du Faso (CPF), est catégorique : «On ne sent pas les 14%. Ça n'arrive pas aux vrais acteurs». Elle dénonce surtout la gestion de ce qui devrait parvenir aux producteurs. Dans l'entendement de dame Sia, il est incongru que les maires des communes, des politiques par excellence, soient les dépositaires, au niveau décentralisé, des équipements et intrants que l'Etat met à la disposition du monde paysan. «Ils (les maires) ont tendance à favoriser ceux qui ont voté pour eux...», souffle-t-elle. Mme Marie Avrou Sia/Yaro reconnaît cependant, qu'elle et la centaine de femmes de son groupement Wend-Panga, dans la commune rurale de Ziou dans la province du Nahouri, région du Centre-Sud, se battent pour avoir «un peu» des intrants subventionnés par l'Etat et ses partenaires. Seydou Eric Ouédraogo, surnommé «Eric le paysan», lui aussi, doute que les prévisions budgétaires soient utilisées pour les investissements directs dans le secteur de la production. Il est également de ceux qui demandent que l'Etat puisse augmenter l'enveloppe financière destinée au développement de l'agriculture, à au moins 20% du budget national. «Nous contribuons pour environ 35 % dans le produit intérieur brut, et représentons 80% de la population active, donc nous demandons d'investir plus, en termes de volume, et mieux, en termes de qualité», ajoute-t-il. Le directeur pays de Oxfam, Omer Kaboré, affirme que l'augmentation tant souhaitée, est possible. Il fait savoir par exemple, qu'en 1996, le gouvernement a pu consacrer 30% du budget national à l'agriculture. A son avis, il faut une sorte de Plan Marshall très ambitieux pour lutter efficacement contre l'insécurité alimentaire, convaincu qu'il est que la faim peut être vaincue. Par ailleurs, le mode de financement semble poser problème aux yeux des acteurs. «Les efforts resteront précaires, tant que l'essentiel du financement de l'agriculture, plus de 73%, dépendra toujours de l'extérieur», regrette Mme Aline Zongo, directrice du bureau national de l'Institut africain pour le développement économique et social au Burkina (INADES-Formation/Burkina). Et M. Issaka Ouandaogo de la Campagne «Cultivons» de se désoler : «l'on ne peut pas confier son ventre à l'extérieur», soutenant que l'agriculture doit être un secteur de souveraineté.
Foi aux exploitations de type familial
Davantage de moyens financiers devraient permettre d'améliorer conséquemment, l'accompagnent des paysans en intrants et équipements agricoles. «Mais, en tenant compte de l'agro-écologie», préviennent Issaka Ouandaogo et «Eric le paysan». En amont et en aval, les producteurs espèrent plus d'infrastructures de retenue d'eau, de désenclavement, de stockage et de conservation des produits. La question de la sécurité foncière, et surtout la prise en compte des femmes, sont également des équations à résoudre. Même si la loi n° 034-2009/AN portant régime foncier rural, a été adoptée, il en ressort que son application reste un autre défi à relever. Au-delà de la loi, et des textes d'application qui viendront, souligne Seydou Eric Ouédraogo, la sensibilisation doit se poursuivre, en vue d'aplanir les appréhensions qui entourent la terre dans les contrées burkinabè. Mme Aline Zongo de INADES-Formation/Burkina, adjoint la nécessité de réveiller les mécanismes d'appui-conseil de l'Etat, afin de mieux guider les producteurs sur le terrain. Une autre bataille de la marche vers la sécurité alimentaire et nutritionnelle au Burkina Faso, déclinée par la chargée de projet résilience, plaidoyer et suivi des politiques publiques de l'Ong Christian Aid, Aïsseta Kabré, porte sur la réduction des risques de catastrophes. Elle explique que la mise en place de systèmes de prévention des catastrophes, d'alerte précoce ou de prise en charge rapide des sinistres, est un impératif, jusqu'au niveau village. Les «fruits» de qualité de dur labeur du monde paysan auront également besoin de consommateurs. A ce sujet, Issaka Ouandaogo de Oxfam confie que sa structure met déjà l'accent sur la promotion de la consommation des produits locaux, surtout par les citadins, pour que les paysans puissent tirer profit de leurs efforts.
Dans leur vision du développement des secteurs du monde rural, les Ong, OSC et producteurs, ne jurent que sur les petites exploitations agricoles rurales. Ce type d'exploitation, à les écouter, a fait ses preuves dans le domaine du coton. «Ce sont les petits producteurs de type familial, bien soutenus, qui ont hissé le Burkina Faso au rang de premier producteur de coton en Afrique», témoigne «Eric le paysan». Aussi, rappelle-t-il, ce sont ces producteurs qui ont su doubler la production nationale de riz, après avoir reçu les moyens adéquats de l'Etat, au lendemain de la crise alimentaire de 2008. «L'agriculture familiale bien soutenue, peut générer au moins 2 millions d'emplois aux jeunes.», abonde dans le même sens, Bruno Ouédraogo, de la Ligue des consommateurs. En tous les cas, le responsable de la Campagne Cultivons est formel que l'agriculture doit être au cœur des priorités, parce que, à son avis, si ce secteur décolle, les autres secteurs s'en porteront mieux : une bonne alimentation, plus de richesses pour pouvoir investir, la population aura un meilleur accès à l'éducation, à la santé, etc.).
Moumouni OUEDRAOGO
(Collaborateur)
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Les OSC et producteurs burkinabè ont formulé des attentes qu'ils ont soumises au ministre en charge de l'Agriculture, Mahama Zoungrana, en vue d'être partagées au Sommet de Malabo.
1)Une affectation d'ici à 2015, d'au moins 20% du budget national au secteur agricole;
2) Une contribution en ressources propres à hauteur d'au moins 50% du budget alloué à l'agriculture ;
3)La prise en compte par le gouvernement de la qualité des dépenses effectuées dans le secteur agricole ;
4) Le soutien des exploitations familiales et des femmes, à travers les différents programmes de développement ;
5) Une orientation du secteur privé impliqué dans la Nouvelle alliance pour la sécurité alimentaire et la nutrition et dans les pôles de croissance agricole, afin de susciter des investissements responsables ;
6) Un investissement dans le secteur de l'élevage à la hauteur de son importance et de son potentiel dans la lutte contre la pauvreté;
7) Une attention particulière du gouvernement aux organisations paysannes et à la société civile en renforçant leur participation à la définition, à la mise en œuvre et au suivi des politiques et programmes, notamment le Programme national du secteur rural.
M.O
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Dix recommandations pour reussir
1. Augmenter le volume des dépenses dans l'agriculture : des investissements agricoles efficaces à travers des budgets transparents et responsables
2. Améliorer la qualité des dépenses dans l'agriculture
3. Améliorer l'élaboration de politique agricole plus efficace, mutuellement redevable et participative
4. Améliorer la transparence des dépenses dans l'agriculture
5. Eliminer les disparités entre les sexes et promouvoir les jeunes dans le secteur agricole
6. Renforcer les droits fonciers des producteurs familiaux agricoles à travers l'adoption des principes-directeurs relatifs aux investissements fonciers à grande échelle qui protégeront leurs droits et augmenteront les ressources
7. Augmenter les investissements dans la recherche agricole inclusive, les services de vulgarisation et de conseils
8. Favoriser l'accès aux marchés pour les producteurs familiaux agricoles, les investissements dans l'agriculture familiale et des investissements responsables de la part du secteur privé
9. Intégrer la durabilité et les changements climatiques dans les plans agricoles nationaux
10. Mettre en place des mécanismes de prévention et de gestion des crises alimentaires et nutritionnelles récurrentes.
M.O