On savait que, comme la santé, la paix sociale n’a pas de prix mais qu’elle a un coût ; on est maintenant fixé sur le montant : 100 millions. On le sait depuis cette crise qui a secoué en début d’année le secteur du transport des balles de coton.
Avec un peu plus de 500 mille tonnes de coton graine récoltées au cours de la campagne 2014-2015, la Sofitex (Société des fibres textiles du Burkina) en a tiré, après égrenage, entre 250 mille et 300 mille tonnes de coton fibre. Conditionnée sous le format de balles, cette marchandise est convoyée dans les ports ouest-africains d’où elle est expédiée aux acheteurs disséminés à travers le monde.
Et comme d’habitude, pour acheminer ses précieuses cargaisons jusqu’aux ports, la Sofitex lance un appel d’offres ouvert qui permet aux transporteurs de soumissionner.
Cette année, dans le lot habituel des soumissionnaires, il y avait un nouveau venu et pas n’importe lequel : Kanis Logistics. Son offre a été retenue (montant du contrat 100 millions de francs CFA) et ce géant du transport s’est vu octroyé une licence, ou disons un agrément pour convoyer en tout 3 000 tonnes de balles de coton vers le port d’Abidjan notamment.
Le 7 janvier 2016, ladite société obtient un bon de chargement du site de Banfora. Muni de ce sauf-conduit, le groupe positionne 10 camions bennes à l’usine d’égrenage de cette localité. Chaque véhicule a chargé 19,3 tonnes de balles de coton et mis le cap sur la Côte d’Ivoire.
Mais le convoi sera intercepté à Niangoloko par les transporteurs de la région des Cascades le lendemain 8 janvier. Les frondeurs sont des membres de syndicats de transporteurs comme le GTOF (Groupement des transporteurs organisés du Faso) et l’ONTTB (Syndicat des transporteurs terrestres du Burkina). Principal grief évoqué : l’utilisation de camions-bennes pour le transport des balles de coton. Contrairement à Kanis Logistics en effet, les autres transporteurs utilisent des camions à plateau ou à ridelles.
Les esprits s’échauffent, le ton monte. On frôle l’émeute. Après moult tractations, le cortège est contraint de regagner l’usine d’égrenage de Banfora.
Présent sur le théâtre des opérations ce jour-là, le transporteur Lassina Barro de Banfora, se dit proche du GTOF : «J’ai appelé mes camarades et on a ramené les balles de coton de Niangoloko à Banfora. On n’est pas des bandits. On a convoyé les bennes de Kanis jusque dans l’enceinte de l’usine d’égrenage pour éviter tout débordement ou que des malfrats en profitent pour mettre le feu».
Au bout des tractations qui se sont menées, les camions- bennes de Kanis ont pu finalement quitter le Burkina avec leur chargement qui sera livré au port 48 heures plus tard.
Mais le dossier était loin d’être clos. Car le bras de fer engagé entre les deux parties ne faisait que commencer, et la situation pourrait vite dégénérer à tout prochain chargement des bennes de Kanis. Face aux prévisibles remous sociaux qui pourraient s’en suivre, les autorités se sont saisies du dossier et ont instruit les gouverneurs des Cascades, du Mouhoun et le secrétaire général de la région des Hauts-Bassins (à l’époque il n’y avait pas de gouverneur nommé à Bobo-Dioulasso) d’organiser des concertations pour que Kanis Logistics et les autres transporteurs puissent fumer le calumet de la paix, gage d’une paix sociale dans cette partie ouest du Burkina Faso.
«Aucune solution d’ordre administratif...»
C’est ainsi que des rencontres ont eu lieu à Ouagadougou (4 février) et à Bobo-Dioulasso (9 février). Au cours de celles-ci, la Sofitex a toujours réaffirmé son attachement aux termes du contrat conclu avec Kanis Logistics, mais a clairement exprimé qu’elle «restait ouverte à tout réaménagement».
La Direction générale des transports terrestres et maritimes (DGTTM), qui prônait aussi une solution négociée, insiste sur le fait qu’il n’y a «aucune solution d’ordre administratif à trouver à un contrat de type commercial entre deux agents économiques».
De leurs côtés, les groupements de transporteurs, tout en faisant part de leur crainte d’une possible situation de quasi-monopole qui les affecterait à cause de la force de frappe de Kanis, ont proposé deux plans de sortie de crise. Le premier porte sur le retrait pur et simple de Kanis Logistics du transport des balles de coton. Le second l’autorise à transporter les balles de coton, mais uniquement avec les types de camions habituellement utilisés jusque-là.
Pour sa part, «l’indésirable» a relevé le fait qu’il avait signé un contrat avec la Sofitex pour enlever les balles de coton avec des camions-bennes et qu’il s’en tenait à cela car il lui est difficile, à l’exécution de ce contrat, de procéder à un changement de ses moyens de transport. Comme concession, il a sollicité qu’un quota lui soit alloué dans le transport du coton.
Finalement, après de longs moments d’échanges, Léontine Zagré, gouverneur des Cascades et présidente de la réunion de Bobo-Dioulasso a, «en vue de la préservation de la paix sociale à tout prix», conclu cette rencontre avec les résolutions suivantes :
- la poursuite des activités de transport des balles de coton avec les véhicules habituellement utilisés afin d’éviter l’arrêt de fonctionnement de la Sofitex ;
- un moratoire sur l’usage des camions-bennes afin de permettre à Kanis Logistics de les remplacer par des camions adaptés ;
- le respect par la Sofitex des anciennes pratiques qui constituent de fait «cahier des charges» pour le transport de ses balles de coton.
L’administration a ainsi tranché. Depuis, aucune benne de Kanis n’a plus été chargée de balles de coton dans les usines d’égrenage de la Sofitex.
Pour notre part, nous avons voulu savoir et comprendre pourquoi des bennes pouvaient être à l’origine de tant de remous et de branle-bas. A l’évidence, la question sur la capacité des bennes à transporter le coton n’est plus d’actualité puisqu’en 48 heures, 190 tonnes de balles ont pu être livrées au port d’Abidjan. Alors, pourquoi ce bras de fer entre Kanis Logistics et les autres groupements de transporteurs ?
Les bennes de la discorde
«On n’a pas interdit à Kanis de transporter les balles de coton. Tout le monde peut en transporter, mais seulement avec des camions adaptés, pas avec les camions-bennes». Voilà ce que Lassina Barro nous a confié depuis Banfora. Il précise que les camions-bennes ont leur domaine, à savoir le transport des agrégats. Et d’indiquer que «si les bennes entrent dans le domaine réservé aux camions-remorques à carrosserie ou à plateau, ce sera difficile pour nous».
Le même point de vue est partagé par Ardjouma Diao de l’ONTTB, qui a déclaré qu’une benne ne peut pas faire le travail que demande la Sofitex car «la benne c’est pour le transport du sable, du gravier, du clinker, etc.».
Et pour convaincre que les camions-bennes sont exclusivement pour le transport des agrégats, Sam Moustapha Traoré, premier vice-président du GTOF nous a confié que nombre de transporteurs disposent également de bennes «mais on ne les utilise pas pour le transport des balles de coton car la benne c’est pour les agrégats et les camions à carrosserie ou à plateau sont destinés au transport de marchandises diverses dont fait partie le coton».
Mais cette absence des bennes dans le transport des balles de coton émane-t-elle d’une mesure juridique ?
Tous nos interlocuteurs répondent par la négative. Les groupements de transporteurs ont déclaré ne pas connaître la loi pour ne pas dire le droit. Par contre, ils ont avoué avoir compris que les bennes ne faisaient pas partie des types de véhicules que la Sofitex cherchait pour le transport de ses balles de coton.
C’est d’ailleurs pourquoi Lassina Barro met ce problème, la crise actuelle, sur le dos de «la Sofitex qui, dans le passé, n’acceptait pas que son coton soit chargé dans des bennes. Du coup, je ne sais pas pourquoi cette année on les accepte ?»
Ardjouma Diao de l’ONTTB confesse : «Nous, on ne connaît pas la loi. On a simplement demandé aux autorités de nous aider pour qu’on gagne à manger un peu un peu avec la Sofitex. Nous travaillons depuis 15 ans avec la Sofitex, et elle n’a jamais accepté qu’on utilise les bennes».
Mais on perçoit un son de cloche différent du côté de l’OTRAF (Organisation des transporteurs du Faso) dont un membre, sous le couvert de l’anonymat, nous a confié sans ambages que «le différend opposant Kanis aux transporteurs a été, en réalité, traité sous l’angle de la stabilité et de la paix sociale, sinon l’interdiction des bennes n’est pas réglementaire». C’est pourquoi notre interlocuteur nous a assuré que du point de vue légal, «Kanis Logistics n’a aucun souci». En conséquence, notre militant de l’OTRAF a invité «le gouvernement à ne pas fuir ses responsabilités». Il nous a appris, à l’occasion, qu’une nouvelle réglementation sera bientôt en place en août 2016 et permettra de tenir compte des bennes dans la réglementation car, explique-t-il, «le phénomène des bennes n’a été connu au Burkina qu’avec la CIMAT dans les années 95-98 donc bien après la réglementation révolutionnaire de 1987».
«C’est le propriétaire de la marchandise qui désigne le type de véhicule requis pour la transporter »
Propos similaires à la DGTTM où le directeur général, Mamadou Boukouma, nous a également informé que la nouvelle réglementation qui entrera en vigueur dans quelques mois, après un moratoire de 2 ans, va trancher définitivement ce genre de différend. En effet, cette nouvelle réglementation, selon Mamadou Boukouma, prévoit 5 catégories de transport (personnes ; marchandises diverses ; matières dangereuses ; bois de chauffe et charbon de bois ; agrégats-excrétas-ordures). Les types de véhicules pour chaque catégorie seront définis et «on ne pourra plus transporter pour son propre compte et vouloir transporter dans le même temps pour autrui». Pour lui, Kanis devra donc avoir deux agréments s’il tient à transporter le coton : le premier pour son clinker et le second pour le coton.
Mais dans le cas d’espèce du transport des balles de coton, et même de façon générale, le DG de la DGTTM a indiqué que «c’est le propriétaire de la marchandise qui dit quel type de véhicule transporte sa marchandise. Ainsi, Sofitex peut dire que je ne veux pas un véhicule contenant du bois car c’est inflammable ; et c’est son droit. La Sofitex est libre de dire voilà comment je veux qu’on transporte mon coton».
Mamadou Boukouma a tenu à préciser que «la DGTTM n’est pas une instance d’arbitrage ou de jugement», mais qu’elle a été appelée par les autorités à faciliter le dialogue parce que «l’exécution du contrat entre la Sofitex et Kanis Logistics peut troubler l’ordre public et la paix sociale». Selon le DG, les transporteurs ont, tout le temps, martelé que les bennes de Kanis ne sont pas pour le transport du coton mais pour le clinker et que depuis des années les bennes n’étaient pas utilisées pour les balles de coton. Jamais les transporteurs n’ont argumenté leur position par une disposition légale. Selon Mamadou Boukouma, «les transporteurs ne se sont pas prévalus d’une loi, mais ils ont surtout évoqué des raisons sociales».
En effet, Ardjouma Diao de l’ONTTB est clair : «on n’est pas d’accord car Kanis a de gros moyens mais pas nous. Alors s’il entre avec nous dans le transport des balles de coton, on est foutu, on n’aura plus rien à faire car on ne peut pas rivaliser avec lui. On a vraiment peur qu’il vienne dans le secteur du transport du coton car ça sera notre mort assurée. Vous voyez, Bobo n’a rien en dehors de la Sofitex et idem pour Banfora où la SN-SOSUCO (Société sucrière de la Comoé) est dans une situation catastrophique». Pour ce syndiqué à l’ONTTB, «si Kanis a acheté des centaines de bennes, c’est que c’était pour un projet qui n’a rien à voir avec le coton. S’il doit charger toutes ses bennes, il nous reste quoi ? On a peur, on a vraiment peur car Kanis est trop fort. Ce n’est pas de la méchanceté mais bien la peur qui nous anime». Notre interlocuteur supplie en conséquence Kanis de se retirer de ce marché «afin que les autres transporteurs puissent avoir à manger un peu».
Comme quoi la raison du plus... faible peut parfois être la meilleure.
La raison sociale, un leitmotiv
Sam Moustapha Traoré, le premier vice-président du GTOF, insiste également sur les «raisons sociales» qui commandent, selon lui, que Kanis ne s’investisse pas dans le transport du coton. «A Bobo on n’a rien à part le coton. Kanis doit nous laisser ce petit truc-là ; on va grignoter aussi, car lui il a autre chose à faire avec ses bennes. On lui demande de faire pardon ; c’est vrai qu’aucune loi ne le lui interdit mais s’il entre dans le transport des balles de coton, nous on va mourir. Kanis même est plus fort que la Sofitex, ce n’est pas nous autres, propriétaires de 2 à 3 camions, qui ferons le poids face à lui», se lamente dans une longue tirade le second en chef du GTOF.
Revenant sur l’importance de la Nationale du coton, Sam Moustapha Traoré fait remarquer qu’à Bobo, «lorsque la Sofitex règle une facture, ça se sent dans tout le corps social jusqu’aux vendeuses d’arachides, les mécaniciens, les restaurateurs, etc. Ce jour-là on sent que la ville bouge».
Toujours dans cette logique de ...la fibre sociale Lassina Barro affirme que «Kanis seul aligne 600 camions alors tous les autres transporteurs, même réunis, n’ont pas un tel parc. Du coup, on ne peut pas faire le poids face à lui». Et en ajoutant toujours une couche sur la gamelle «raisons sociales», cet homme qui se réclame sympathisant du GTOF confie : «les Kanis-là sont grands, ils ont les moyens. C’est pourquoi ils doivent laisser nous les petits nous occuper du transport des balles de coton». Altruiste, notre transporteur de Banfora pense aussi à tous ceux qui seront frappés collatéralement par l’introduction des camions-bennes dans le transport du coton. En effet, a-t-il clamé, «si Sofitex laisse les bennes travailler, dans quelques années, les ouvriers comme les soudeurs, les menuisiers, les mécaniciens, les carrossiers, etc... auront des problèmes car tout ce monde mange avec nous en réparant et en entretenant nos outils de travail».
«Une affaire de coutume et non de loi»
Comme indiqué plus haut, Lassina Barro impute à la Sofitex la responsabilité de cette crise pour avoir, sans crier gare, accepté cette année que les bennes transportent le coton.
A ce propos, Adama Jean Traoré, directeur des Transports et de la Logistique de Sofitex, a confirmé qu’effectivement de 99 à 2010, la Sofitex a toujours refusé les bennes car «on nous proposait de petites bennes de faible capacité. Or chaque année, 6 à 8 000 rotations sont effectuées pour transporter l’ensemble de nos balles de coton. Si fait que si on acceptait les véhicules de petites capacité, le nombre de rotations nécessaires pour évacuer notre coton vers les ports ouest- africains atteindrait allègrement 10 000». Par contre, indique Adama Jean Traoré, les bennes actuelles et surtout celles proposées par Kanis sont des «semi-remorques articulées dont la capacité avoisine le wagon». Autrement dit, elles peuvent bien faire le job.
Le même argumentaire est servi par le DG de la Sofitex, Bernard Zougouri, qui nous a précisé qu’en effet, «dans l’histoire de la Sofitex, les bennes ne transportent pas. Mais on m’a dit que les bennes d’aujourd’hui sont différentes car elles sont plus longues avec une grande capacité». En somme, l’interdiction faite aux bennes de transporter les balles de coton est «plus une affaire de coutume et non de lois». La preuve est que les deux autres sociétés cotonnières, la SOCOMA et Faso Coton, transportent leurs balles dans les camions-bennes sans problème.
Mais sur le plan social, le DG de la Sofitex comprend la position des autres transporteurs car ils ne peuvent pas ... faire le poids face à Kanis Logistics.
Hormis le caractère social que chacun invoque pour interdire les bennes dans le transport du coton, ces véhicules ne constituent-ils pas un atout pour la Sofitex ?
Réponse de Adama Jean Traoré, directeur du Transport et de la Logistique de Sofitex : «Si on était libre de choisir, les bennes du type qu’utilise Kanis nous arrangent aujourd’hui surtout que seulement 30% des camions que les autres transporteurs nous présentent sont en bon état. Face à cette situation, si un opérateur peut proposer 600 bennes neuves, donc qui font moins de panne, cela fait notre affaire. Mais pour des raisons sociales, nous avons été instruits de retirer les bennes du circuit des transports de nos balles de coton». Une décision qui n’a rien d’économique car entièrement sous-tendue par une préoccupation sociale, voire politique.
«Kanis était une solution pour nous»
Sur ce point, le DG de la Sofitex rebondit sur ces propos de son collaborateur, en précisant que sa société est une société d’Etat qui n’est pas libre de faire tout ce qu’elle veut dans la recherche de la rentabilité. Et d’assurer que «si on était une société privée, il est clair qu’on allait profiter de Kanis. Mais l’Etat, c’est aussi du social. Vous connaissez le poids de la Sofitex dans l’Ouest-Burkina. C’est vrai, économiquement, c’est Kanis qui nous arrange, mais il faut aussi tenir compte de la préservation de la paix sociale».
Adama Jean Traoré explique que les bateaux qui viennent chercher les balles de coton dans les ports ont des dates impératives. Du coup, «il faut que nos transporteurs soient assez diligents pour convoyer à temps la marchandise sinon ils vont arriver quand le bateau est déjà parti et se trouve à 3 jours de la côte». Dans cette situation, il faut stocker les balles de coton pour attendre un prochain bateau et tout cela engendre des coûts supplémentaires. Au regard de tout cela, Adama Jean Traoré a déclaré que l’expérience avec Kanis est concluante puisqu’en moins de 72 heures après chargement dans les bennes, le coton était au port d’Abidjan alors qu’il arrive parfois que des transporteurs mettent 3 à 4 semaines pour livrer leur cargaison au port à cause des nombreuses pannes ou tout simplement parce qu’ils veulent une avance. «Or on n’a pas ce genre de souci avec Kanis» nous a-t-il glissé à l’oreille.
Le patron du Transport et de la Logistique a révélé un paradoxe à savoir que la Sofitex souffre énormément pour évacuer la production de Banfora car certains transporteurs trouvent que ce n’est pas rentable, cette localité étant très proche de la Côte d’Ivoire alors le prix est fixé en tonne/kilomètre. Véritablement dans ces conditions, «Kanis était une solution pour nous».
A l’heure qu’il est, Kanis Logistics ne charge plus les balles de coton de la Sofitex depuis le fâcheux épisode de janvier 2016. Mais plus que jamais, cette affaire repose avec acuité la question de l’utilisation ou non des camions-bennes de grande capacité dans l’évacuation des balles de la Nationale du coton vers les ports ouest africains.
San Evariste Barro
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Encadré 1
La Sofitex craint d’être traînée en justice
En début de campagne, la Sofitex a lancé un appel d’offres ouvert pour le transport des balles de coton vers les ports de la sous-région : Abidjan, San Pedro, Lomé, Cotonou et Tema. Les caractéristiques techniques de l’offre sont connues. Kanis Logistics a soumissionné, et sur la base du dossier technique, il a été retenu.
Mais voilà, sur le terrain, on s’est rendu compte que cette société, nouvelle dans le transport des balles de coton, utilisait, ô sacrilège, des camions-bennes alors que les autres transporteurs utilisent, par tradition, des camions-remorques à plateau ou à ridelles.
Adama Jean Traoré, directeur des Transports et de la Logistique de la Sofitex, parce que souffrant à l’époque, n’a pu prendre part aux séances de dépouillement des offres. Mais il a affirmé qu’à partir de la carte grise des véhicules, ses collaborateurs auraient dû savoir qu’il s’agissait de bennes même si c’est d’un type nouveau avec des bordures relevées comme les autres camions à ridelles. Pour Adama Jean Traoré, on aurait pu faire l’économie de la crise actuelle «si on nous avait informés à temps, si mes collaborateurs n’avaient pas gardé le silence».
Sur ce point, Lassina Barro, transporteur à Banfora est tout à fait d’accord avec le directeur des Transports et de la Logistique de la Sofitex. «Si j’étais Sofitex, j’allais informer tout le monde que cette année, les bennes peuvent transporter les balles de coton et là le problème était réglé».
Ce manque de communication est visiblement à l’origine de la poussée de fièvre dans ce micro-corps social des transporteurs.
Les autorités ont joué à l’apaisement et, «au nom de la paix sociale», il a été demandé expressément à Kanis de trouver des camions de même type que ses concurrents pour venir enlever le coton en direction de la Côte d’Ivoire.
Si les autorités semblent avoir eu gain de cause en retirant Kanis de ce marché du coton, et donc par ricochet, en préservant le climat social, la Sofitex, elle, est un peu mal à l’aise et vit dans la hantise d’un bras de fer judiciaire avec Kanis Logistics.
«Notre problème aujourd’hui, c’est que Kanis risque de nous attaquer en justice car il y a un contrat qui nous lie», a déclaré le DG de la Sofitex. Il précise cependant qu’une demande a été faite pour que cette année Kanis soit exempté de l’utilisation des camions à ridelles ou à plateau pour transporter le coton et que pour la prochaine saison il accepte d’utiliser le même type de camions que les autres transporteurs.
Cette solution ne pouvait pas prospérer puisqu’elle a été combattue, d’une part, par les autres transporteurs qui ne veulent rien entendre au sujet des bennes ; et d’autre part, par Kanis qui tient à son contrat en martelant qu’il avait soumissionné avec des bennes et que ce sont ces véhicules qu’il utilisera pour convoyer les balles de coton vers Abidjan.
Comme le craint le DG de la Sofitex, la société Kanis va-t-elle ester ou non en justice ou va-t-elle sacrifier ses intérêts sur l’autel de la paix sociale (qui profite, il est vrai, à tous) en acceptant, par exemple, un dédommagement amiable ? Wait and see !
S.E.B.
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Encadré 2
Albert Ima, DG Kanis Logistics
«Nous avons le droit avec nous »
Dans cette interview qu’il nous a accordée, Albert Ima, le directeur général de Kanis Logistics, nous fait la genèse de son contrat avec la Sofitex et réaffirme que dans cette affaire de transport de balles de coton, il a le droit avec lui.
Comment et dans quelles conditions Kanis Logistics a été retenue pour convoyer 3 000 tonnes de coton vers le port d’Abidjan ?
Suite à un appel d’offres que Sofitex lance chaque année pour le convoyage des balles de coton vers les ports de la sous-région, nous avons soumissionné et avons été retenu parce que nous répondons aux normes requises par la Sofitex. C’est ainsi qu’un contrat nous a été proposé portant sur le transport de près de 3 000 tonnes de balles de coton sur le corridor Ouaga-Abidjan.
C’est dans l’exécution de ce contrat que nous avons envoyé une dizaine de camions à Banfora pour charger les balles de coton.
Une fois chargés, nos 10 camions ont pris la direction de la frontière ivoirienne. C’est alors qu’un groupe d’individus se réclamant du GTOF (Groupement des transporteurs organisés du Faso) ont rejoint notre convoi au niveau de Niangologo. Sous prétexte qu’on n’a pas le droit de transporter des balles de coton, ils ont exigé que nos camions replient à Banfora pour décharger.
Nous avons refusé en arguant que nous avons un contrat, et que nous avons l’obligation de l’exécuter. Et il n’y a pas aujourd’hui une réglementation qui nous empêche de transporter le coton. De plus, c’est suite à un appel d’offres ouvert que nous avons été sélectionnés. Parce qu’ils menaçaient de brûler nos camions, nous avons obtempéré en repliant à Banfora. On a saisi l’ensemble des autorités dont le procureur de Banfora et nous avons demandé à ce que nos camions soient libérés.
Le GTOF qui est basé à Bobo a saisi la Sofitex pour lui signifier que nos camions ne sont pas habilités à transporter les balles de coton. C’est vrai qu’ils n’étaient pas au courant que les camions de type silhouette que nous avons sont aussi, en réalité, des carrosseries comme les autres. Pour eux, ce sont seulement des camions de type plateau ou ceux de fabrication artisanale qu’ils appellent carrosserie, qu’ils utilisent dans la zone qui sont habilités à transporter les balles de coton.
Ils ont aussi dit que nous avons beaucoup de camions et que si nous entrons dans le transport de coton, nous risquons de tout accaparer et qu’eux n’auront plus rien alors qu’ils ne vivent que de ça.
Les transporteurs soutiennent que les bennes ne sont pas qualifiées pour le transport des balles de coton. Que leur répondez-vous ? Est-ce qu’une benne peut faire le travail que demande la Sofitex ?
Nos véhicules ne sont que des semi-bennes, à savoir un ensemble routier avec un tracteur et une carrosserie. Il n’y a pas de différence entre la benne et les camions de type carrosserie. La seule différence est que la benne est munie d’un système mécanique de vérin qui permet de faire basculer la charge de façon latérale ou à l’arrière. En dehors de cela, il n’y a aucune différence car ce sont les mêmes silhouettes que les autres camions et tous peuvent transporter la même marchandise.
Nous ne pouvons pas comprendre que les wagons (le train) peuvent transporter et pas nous.
Aujourd’hui, la DGTTM vous dira, dans la règlementation, nos camions, sont des véhicules de transport de marchandises. Chacun de nos camions a pu charger 83 balles de coton et en 48 heures les camions étaient au port d’Abidjan. Cette célérité devrait participer à la compétitivité de la Sofitex.
Aujourd’hui, à l’heure où on parle, où en êtes-vous dans l’exécution du contrat que vous avez avec la Sofitex ?
On a eu une dernière rencontre à Bobo le 9 février. Il y a eu des échanges mais l’Administration a joué au faux-fuyant parce que nous avons simplement demandé que la règlementation soit dite : nous pouvons ou nous ne pouvons pas !
On n’a pas pu nous le dire. Mais l’autorité est passée outre pour nous dire que pour une question de paix sociale, il fallait que Kanis se retire du transport des balles de coton et que les autres groupements de transport nous demandent d’envoyer des camions de type plateau ou de type fabrication traditionnelle en carrosserie, pour transporter le coton parce que c’est ce qu’ils utilisent.
Nous avons indiqué que nous avons soumissionné avec les types de camions que nous avons, et qu’on ne peut pas nous imposer des véhicules que nous n’avons pas. Nos véhicules répondent aux normes internationales et ça doit être une fierté nationale quand nous empruntons un corridor de la sous-région.
Nous reprochons à l’Administration de n’avoir pas dit la réglementation. Elle pouvait dire la réglementation et passé outre en nous disant qu’à cause du climat social on ne devait pas transporter les balles de coton. On se serait compris.
Etes-vous persuadé d’avoir le droit avec vous dans cette affaire ?
Nous avons le droit avec nous. Nous n’avons enfreint aucune règle...
Allez-vous alors ester en justice ?
Nous sommes actuellement dans une phase de réflexion. Nous attendons et espérons que le gouvernement va réagir. Mais nous avons un contrat et nous comptons l’exécuter.
Au nom de la paix sociale on vous demande de vous retirer. La paix vaut bien 100 millions FCFA de sacrifice pour vous...
Paix sociale ! Vous savez, Kanis Logistics entre aussi dans le cadre du social. Nous sommes une entreprise structurée qui emploie près de 600 chauffeurs au Burkina et tous sont déclarés. Et nous nous inscrivons dans une perspective d’emplois durables, comme le prône le gouvernement. Mais, si au nom de la paix sociale, il faut sacrifier les entreprises structurées au profit de certains groupes de personnes qui emploient de façon occasionnelle leurs chauffeurs, nous laissons au gouvernement le soin d’apprécier.
Les autres transporteurs soutiennent que si vous intégrez le secteur du transport des balles de coton, dans deux ou trois ans, vous allez avoir le monopole dans ce domaine. Est-ce que cela fait partie de vos objectifs ?
Aujourd’hui, je souhaite à ces mêmes transporteurs d’avoir 10 à 30 camions et même plus. Mais est-ce parce qu’ils auront 30 camions que ceux qui en ont deux vont leur interdire de transporter le coton ? Est-ce que ces mêmes transporteurs accepteront qu’on les mette à l’écart ?
Dans cette logique, les charretiers qui vont chercher le coton aux fins fonds des villages diront que les véhicules ne peuvent pas transporter parce qu’eux charretiers vivent de cela.
Nous sommes entre Burkinabè, notre entreprise est burkinabè et il n’y a pas de mal à ce que chacun bénéficie du partage de la production nationale.
Vous savez, le Burkina ne peut pas vivre en vase clos. Tôt ou tard il faudra se développer, se moderniser et apprendre à être professionnel. C’est même déjà arrivé. Dans le cadre de l’intégration sous-régionale, le secteur des transports ne doit pas rester statique. Il faudra rajeunir et moderniser nos camions qui circulent dans l’espace de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA).
Entretien réalisé par
San Evariste Barro