Une manifestation culturelle, sinon la culture dans toutes ses dimensions, peut-elle jouer un grand rôle dans le développement d’une ville comme Bobo-Dioulasso, où beaucoup de choses sont à refaire ? Je veux parler de la voirie, l’assainissement, l’éclairage...
Il faut dire qu’une manifestation culturelle, est d’abord partie intégrante de l’aspect touristique d’une ville, de sa richesse. Pour moi, quand les gens ont de l’engouement à visiter Bobo pendant la Semaine nationale de la culture, quand les gens acceptent d’aller au « Sangamba », (grandes funérailles), je dirai que, tout ceci ressemble à un retour aux sources, dans le but de la valorisation de notre patrimoine culturel, qui est d’un intérêt particulier pour la population. Mais, il y a ce petit complexe dont je parlerai, et que peut être personne n’a jamais soulevé : c’est qu’aujourd’hui, nos langues nationales ont été troquées au profit du français, de l’anglais, voire abandonnées au profit d’autres langues. Quand on dit la fête de Chitoumou, beaucoup de Bobo-mandarê, résidents à Ouagadougou ou partout ailleurs, veulent bien venir, mais, comment être dans son terroir natal sans pouvoir parler le bobo-mandarê qui est la langue de naissance ? Voilà une problématique que je pense que personne n’a jamais eu le courage de soulever.
Vous n’avez pas répondu à ma question ! Est-ce que la culture peut influer sur le développement d’une ville ?
Je vous dis oui. Prenez certains pays, comme l’Ethiopie qui s’est développée aujourd’hui essentiellement sur la base du tourisme. J’ai eu la chance de traverser ce pays cinq fois, d’y dormir trois fois, et vous savez ce qui m’a surpris ? Il y a un certain nombre d’années, les Ethiopiens étaient symbolisés par ces enfants malnutris avec de gros ventres et cette sécheresse dont tout le monde parlait et par la dictature surtout, des dirigeants de ce pays. Mais quand vous allez en Ethiopie, j’ai eu à dire à un de mes « co-voyageurs » que si c’est cela la dictature, moi je préfère la dictature. A l’hôtel, l’ascenseur dans lequel nous avons été accompagnés dans nos chambres, c’était écrit, « Made in Ethiopia ». Pour moi, ça, c’est un signe de développement ! Est-ce qu’il y a des ascenseurs « Made in Burkina ». Ethiopian Air Line, est la meilleure compagnie africaine aujourd’hui, sur le plan du trafic aérien et c’est la flotte la plus importante en matière d’avions. Sur le plan du sport, notamment l’athlétisme, ils sont devant ! Sur le plan de la flotte, ils sont devant ! Qu’est ce qui fait leur beauté ? Ils croient en eux-mêmes et en leurs valeurs. Tous les pilotes d’Ethiopian air line sont des Ethiopiens. Toutes les hôtesses sont des Ethiopiennes. Tout le personnel au sol, ce sont des Ethiopiens. Ça ce n’est pas un signe de développement ? Démontrer au monde entier que vous avez les meilleurs pilotes. Une fois alors que je revenais d’Afrique du Sud, en sortant de l’aéroport en Ethiopie, j’ai demandé au pilote si c’est lui qui piloté l’avion qui transportait plus de 700 personnes. Il a dit oui et m’a dit qu’il avait 20 ans et qu’il est le plus jeune pilote de la compagnie. Ce n’est pas beau ça ? Si votre tourisme et votre culture vous permettent d’avoir des devises, en quoi vous allez avoir des problèmes de caniveaux, des problèmes de voirie ?
On vous entend souvent dire que votre prière de tous les jours est que Bobo-Dioulasso retrouve son lustre d’antan. Car pour vous, malgré notre pauvreté autrefois, il y avait la solidarité, l’entraide entre nous...
Moi j’ai été étudiant en 1983. J’ai fini mes études en droit en 1987. Je suis inspecteur des impôts depuis 1992. J’ai été directeur des affaires administratives et financières du ministère de l’Agriculture qui était un grand ministère. J’ai été chef de brigade de vérification aux impôts. J’ai été directeur à la rédaction de la législation et du contentieux. J’ai ouvert une direction decentre des impôts, j’ai modernisé les moyennes entreprises du Burkina Faso à la Banque mondiale et au FMI en qualité de directeur de la direction des moyennes entreprises du Centre. J’ai été au Parlement comme conseiller financier et expert fiscal auprès de la commission des finances et du budget, avant de revenir le 14 janvier 2015, comme Directeur général des impôts de ce pays. La Direction générale des impôts est la première régie qui mobilise l’argent pour ce pays à hauteur de 48 % de l’ensemble des ressources du Burkina. Quand on vous dit de diriger une telle structure où vous devez faire au moins deux milliards par jour, avec 2600 agents au bas mot, ça veut dire que, même dans l’ossature nationale, vous représentez quelque chose. Quand je dis que j’ai été étudiant en 1983, de par notre présence à Ouagadougou, des familles qui ne se parlaient pas à Bobo, ont fini par être des familles amies. Vous savez comment ? Parce qu’à Ouagadougou, la solidarité que nous avions, faisait qu’on ne pouvait pas ne pas se connaître à Bobo ici. Etant à Ouagadougou, on ne venait pas tous en même temps ! Mais chacun prenait le temps de dire, « quand tu seras à Bobo, passe en famille chez moi et dit bonjour à mes parents ; dit leur que nous sommes ensemble et que tout va bien ici ». Quand on se retrouve à Bobo, tu pouvais quitter ta famille et passer deux ou trois jours chez un camarade. Tes parents disent, « Adama est chez les Salif ». Quand tu vas revenir chez toi, tu ne reviens pas seul. C’est ça la solidarité humaine et ça n’a rien à voir avec le côté matériel. Aujourd’hui, personne ne s’intéresse à la situation de l’autre. Parce que quand tu mets l’intérêt de la population, de la localité devant, il y a des actes que tu t’interdis toi-même. J’ai dit à des gens, que lorsque je dépasse le portique bienvenue à Sya, mon calvaire commence. Quand je regarde, il y a des immeubles, mais il n’y a aucune vie. C’est la désolation et la dépression qu’on lit sur la plupart des visages qu’on rencontre. La nuit quand vous sortez, au centre-ville, c’est la dépravation des mœurs. Moi Adama, je suis Sanou ; à notre enfance, il était impensable de voir un natif de Bobo manger dans un restaurant ! Qu’est-ce que tu vas chercher là-bas ? On n’a pas préparé chez toi en famille ? On a compris par la suite que c’était des activités commerciales et qu’il fallait les promouvoir si on voulait que cette ville se développe. Il est vrai que la commune n’a pas beaucoup de ressources. Mais le peu qui est là, n’est pas géré de façon rationnelle. Les voraces que nous avons eu à la tête de la commune, ne nous ont pas facilité les choses. Si on ne peut même pas circuler au centre de la ville, ne parlons pas des périphériques ! Avez-vous une explication au fait que, un monument aussi important que celui du cinquantenaire, soit un lieu où on part jeter des ordures ? On fait un monument à des millions de francs qu’on n’entretient pas ! Les deux voies, celle qui part vers l’Est et celle qui « monte » au Sud, quel est le problème qui explique qu’on ne pouvait pas les prolonger ne serait-ce que pour éloigner la poussière du monument ? N’est-ce pas de la cupidité ? Quelque part, il faut que les mentalités évoluent. Le développement c’est dans la tête d’abord. Il faut croire qu’on peut se développer avant d’être développé. Si les gens pensent que Ouagadougou a tout pris, nous sommes condamnés à la misère à Bobo ; moi j’appelle cela de la résignation. A l’occasion d’une interview que j’ai accordée à quelqu’un, j’ai eu à dire que, moi, je fais partie de ceux qui sont optimistes. Parce que, quoi qu’on dise, qu’on le veuille oui ou non, le développement du Burkina Faso repartira de Bobo.
Ce qui veut dire que vous ne partagez pas l’idée selon laquelle la ville de Bobo se meurt ?
Une ville peut se mourir, mais dire que la ville de Bobo est condamnée à mourir, cette idée, je ne la partage pas. Bobo ne se meurt pas, on a mis le destin de Bobo entre les mains des gens qui veulent tuer Bobo. Pour ces gens, quand on dit que Bobo se meurt, ils sont contents, car ils veulent que nous ayons tous leur degré de médiocrité. Quand je dis que le développement du Burkina repartira de Bobo, je sais de quoi je parle. L’aéroport de Bobo, n’a-t-il pas la meilleure piste d’atterrissage ? N’est-ce pas cette piste qui était destinée à recevoir les gros porteurs qui transportent les marchandises ? Vous vous imaginez que si cet aéroport devait jouer son rôle, rien que les activités tout autour, vous savez ce que cela va apporter comme devises pour cette ville ? Parce que tous ceux qui arriveront au Burkina, leur première porte d’entrée serait Bobo-Dioulasso. Croyez-vous que le colonisateur était aussi bête quand il a dit que Bobo-Dioulasso était la capitale politique de ce pays, avant de devenir capitale économique ? Le gouverneur était au Sénégal ! Mais le commandant qui le secondait, était où ? A Bobo-Dioulasso ! C’est pour cela que vous avez l’aspect colonial du bâtiment du gouvernorat qui est aussi une richesse architecturale ! La direction des moyennes entreprises des Hauts-Bassins qui est à côté, avait le même format, mais en plus petite dimension. J’ai 54 ans, je sais comment Bobo était !
A vous entendre parler, on déduit que le développement de Bobo vous préoccupe. Pourtant, des sources soutiennent que vous avez été sollicité pour sauver les meubles dans cette ville, mais vous avez refusé ?
Dans tous les cas, je ne dirais pas que c’est faux ! Mais dans la vie, il faut être rationnel. La rationalité, c’est quoi ? Je vous ai dit tantôt que j’étais directeur des affaires administratives et financières du ministère de l’Agriculture de ce pays. L’Ouest, c’est le grenier du Burkina. Et ce n’est pas la mairie de Bobo qu’on m’a proposé en ce temps ! On était venu me proposer d’être Directeur général des impôts à la même époque ! Ce que vous ne savez pas aussi, de sources concordantes, le poste que j’occupais au ministère de l’Agriculture, certains estimaient que c’était un poste tellement stratégique, que la région d’où je venais, ne donnait pas beaucoup de chances de conserver le poste. Pire ! Il y a des gens qui pensaient que certaines informations ne devaient pas être sues et connues de Bobo, si vous ne relevez pas d’une certaine famille ou si vous n’êtes pas membre d’un grand peuplement de certaines zones de ce pays. Mais j’ai estimé que j’étais mieux à ce poste. Effectivement, j’ai été approché, pour voir comment apporter ma contribution au développement de cette ville. J’ai simplement dit, l’important ce n’est pas d’être devant, mais c’est de savoir ce qu’on peut apporter pour que cette ville puisse être devant. Des gens ont voulu me fatiguer, mais la vérité finit par éclater. En 2001, j’ai créé un réseau de développement des organisations de développement du Houet. Malheureusement, des gens sont allés présenter ce réseau comme un parti politique qui allait naître, et un parti de l’opposition, parce qu’on venait de me chasser de mon poste de DAF au ministère de l’Agriculture. Ce que vous dites, ce n’est pas faux, mais je ne pense pas que c’est quand on est devant qu’on est plus efficace. Tu viens nous trouver à Bobo avec ton « machin » ; si ça ne nous arrange pas, continue ta route ! La kermesse est finie maintenant. Nous n’allons pas continuer à être les moutons de quelqu’un.
Dites-nous quel profil le prochain maire de cette ville doit avoir ?
Ce qui a fatigué Bobo, vous le savez ? Un maire qui ne va pas prendre son téléphone appeler un ministre et demander, « monsieur le ministre, dans votre programme de gestion, qu’est-ce qui est prévu pour ma région, plus particulièrement pour ma commune ?». Tant qu’un maire ne peut pas faire ça, tant qu’un maire ne sait pas ce qui se trouve dans la SCADD, il ne réussira pas son mandat. Un bon maire doit savoir les priorités pour sa ville. Tout est urgent pour cette ville. Le prochain maire de cette ville doit être réaliste. Je pense qu’un maire qui a ces atouts, peut mieux faire un bon cadrage du développement de cette ville.
Entretien réalisé par Souro DAO