Côte d’Ivoire : Après leur déguerpissement, 1639 Burkinabè survivent dans les décombres à Gobelet sans assistance

| 20.03.2015
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Côte d’Ivoire : Après leur déguerpissement, 1639 Burkinabè survivent dans les décombres à Gobelet sans assistance
© DR / Autre Presse
Côte d’Ivoire : Après leur déguerpissement, 1639 Burkinabè survivent dans les décombres à Gobelet sans assistance
Abidjan- Assise sur un banc, la main à la tempe, Salimata Sawadogo est presque perdue dans ses pensées. Sur les lieux des habitations détruites le 5 février 2015 sous instruction du ministère ivoirien de la construction, se dresse un abri de fortune. A l'intérieur, on aperçoit quelques effets, des habits et des assiettes.


Les pleurs des premiers jours ont fait place aux angoisses des lendemains incertains. A proximité, des amas de toits froissés et des gravats de briques parsèment ce vaste site où habitait près de cent mille âmes. De l'autre côté, c'est une dame assise au milieu des décombres des maisons qui allaite son bébé, juste à côté d'elle se tient une fillette. Plus loin se dresse un autre abri de fortune où une autre femme s'affaire à la cuisine. Le calme du site est par moment déchiré par des cris des enfants crasseux et morveux pour la plupart dont l'âge prédispose d'aller à l'école. Ils y allaient d'ailleurs avant la date fatidique du 05 février où les bulldozers ont surpris leurs parents au réveil. Maintes fois annoncées et reportées, Gobelet a finalement été rasé. Conséquence : ce déguerpissement a fait des milliers de cas sociaux.

En effet, les images que renvoient ces personnes sinistrées du fait du déguerpissement ressemblent aux déplacés de guerre que l'on accueillait du côté d'Abidjan pendant la rébellion de 2002 ou encore pendant la crise postélectorale de 2011. Désolant et révoltant à la fois. C'est que les hommes, les femmes et les enfants vivent dans les décombres de leurs maisons, à la belle étoile. Exposés aux intempéries et à la froideur de la nuit, sans couverture et peut-être même sans espoir. Le drame est que depuis le passage des bulldozers, ces déguerpis n'ont pas d'autres lieux où partir. Ils sont donc obligés de camper sur place. Ils ne vivent plus mais vivotent. Se nourrir est devenu une véritable gageure pour ces familles dont la plupart vivaient, d'ailleurs dans leurs meilleurs moments, au jour le jour. Ils n'ont ni d'eau, ni d'électricité. Mais au milieu de ces ruines, un vendeur d'attikié (mets traditionnel ivoirien à base de manioc) tient sous un hangar ce qu'on pourrait appeler le point d'alimentation, mais pas un restaurent du cœur. Pourtant ce gros bidonville côtoyait des duplex et des villas cossues des gens de la haute bourgeoisie qui employaient même certains riverains comme gardiens ou domestiques.

La compassion du Président du CNB-CI

Le mercredi 18 mars 2015, le président du Conseil national des Burkinabè en Côte d'Ivoire (CNB-CI), Salogo Mamadou, s'est rendu sur le site aux environs de 13 heures, pour toucher du doigt les réalités de ses compatriotes. Il faut préciser que les quartiers rasés étaient peuplés à 90% de ressortissants du Burkina Faso. « Nous habitons ici depuis plus de 50 ans, aujourd'hui voici ce qui reste de nos maisons. Voici où nous dormons désormais. Votre venue nous réconforte. Aidez-nous à retrouver notre dignité », a lancé le chef de la communauté burkinabé, Sawadogo Salam, au bord des larmes. Quand la porte-parole des femmes, Awa Nikiéma, prend la parole devant la délégation du président du Cnb-ci, l'émotion est saisissante. « Nous n'avons ni couverture, ni argent. Personne ne peut souhaiter ce sort à son prochain. Nous vivons une situation plus qu'humiliante », dit-elle la gorge nouée, écrasant une larme de la main gauche. S'adressant au président Salogo Mamadou, M. Kaboré Hyacinthe parlant aux noms de l'ensemble des déguerpis, à indiquer que ce sont 1639 personnes vulnérables, toutes des Burkinabè, qui ont été recensés à ce jour dans les quartiers Gobelet et CMA. « Parmi ces personnes 235 souhaitent rentrer au Burkina Faso mais elles n'ont aucun moyen. Les enfants ont vu leur année scolaire s'arrêter », a-t-il expliqué.

Le faux bond des autorités consulaires

Dans la foulée des visites reçues par ces déshérités, M. Kaboré Hyacinthe, déclare que le 03 mars une délégation du Consulat Général du Burkina Faso est venue s'enquérir de la situation sur place et promis d'aider au retour des personnes qui le souhaitaient. «Malheureusement jusqu'à ce jour, nous n'avons plus de nouvelles. Ils nous ont abandonnés. Nous profitons de votre visite pour vous demander d'être notre avocat auprès des autorités», a-t-il déploré. C'est un homme bouleversé par la réalité qui s'offre à ses yeux qui cherche par deux fois en vain les mots de compassion à adresser à ses compatriotes. Salogo Mamadou ému par l'ampleur de la misère, lance du fond de la gorge ceci : « Je suis venu, j'ai vu et je voudrais vous exprimer toute ma compassion pour ce sort qui s'abat sur vous. Tout homme qui connait le calendrier scolaire ne peut pas voir des maisons et des écoles rasés en cette période de l'année sans s'interroger et sans s'indigner ». Selon le président du Conseil national des Burkinabè en Côte d'Ivoire la précarité dans laquelle se trouve aujourd'hui ces milliers de personnes ne peut pas et doit pas laisser indifférentes à la fois les autorités du Burkina Faso et de la Côte d'Ivoire. « Quelque chose doit être fait dans l'urgence afin que ceux qui veulent rentrer puissent le faire et que ceux qui veulent rester puissent trouver un site de recasement. Je m'emploierai à cela », a-t-il rassuré. Avant de lancer un appel à la solidarité avec ces personnes démunies qui manquent de tout et qu'aucun geste ni don à leur endroit ne saurait être petit. Salogo Mamadou a profité de l'occasion pour exhorter la communauté burkinabé à éviter les bidonvilles et autres sites non viabilisés. « L'Etat de Côte d'Ivoire a fait ce qu'il pensait conforme à la loi, nous n'allons pas revenir là-dessus. Mais nous n'avons pas le droit de vous abandonner et vous ne serez pas abandonner », a-t-il promis, avant d'offrir une enveloppe au Chef de communauté pour aider à nourrir les familles.

Faut-il le rappeler, le déguerpissement des quartiers de Gobelet dans la commune de Cocody s'inscrivait dans le cadre d'une opération d'assainissement qui a concerné plusieurs sites à risques dans le district d'Abidjan.

Un reportage de Jean François Fall

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