Consulat du Burkina à Pointe-Noire (Congo-Brazza) : Le Consul impliqué dans un « deal » de 120 millions

| 04.04.2014
Réagir
Souley Ouédraogo, Consul honoraire du Burkina à Pointe-Noire
© DR / Autre Presse
Souley Ouédraogo, Consul honoraire du Burkina à Pointe-Noire
L'affaire paraît invraisemblable. Le consul honoraire du Burkina à Pointe-Noire, en République du Congo (Brazzaville), Souley Ouédraogo, accusé d'avoir abusé de la confiance de deux de ses compatriotes, Karim Nougtara et Harouna Savadogo, tous deux commerçants résidant dans la deuxième ville de ce pays. L'affaire porte sur la rondelette somme de 120 millions F CFA, destinée à un projet d'exportation de bétails du Burkina vers le Congo et d'autres pays d'Afrique centrale. Cela fait près de 5 ans que le contentieux dure. Les deux infortunés, ruinés totalement, selon leurs propres dires, sont rentrés au pays et vivent le calvaire. Pourtant, c'est suite à une mission du ministère des Affaires étrangères à Pointe-Noire que les deux parties ont convenu de rentrer laver le linge sale en famille. Un protocole d'accord a été signé sous l'égide de la mission du ministère qui devait permettre le remboursement intégral de la somme due au plus tard fin décembre 2013. La suite, c'est une succession de déceptions, de non-respect des engagements et d'une attitude jugée complaisante du ministère des Affaires étrangères. Jusque-là, le Consul reste redevable de 16 millions F CFA aux deux compatriotes.

Tout a commencé le 16 décembre 2009. Les sieurs Nougtara et Savadogo remettent au Consul honoraire, Souley Ouédraogo, la somme de 120 millions F CFA. Les 80 millions devraient être rapatriés au Burkina Faso pour achat des animaux destinés à l'exportation vers le Congo et d'autres pays d'Afrique centrale. Les 40 millions sont prêtés au consul qui également opérateur économique avec promesse d'intérêts de 15% par an pendant 2 ans. La confiance entre les trois compatriotes était telle qu'aucun document n'a été signé ni pour le prêt, ni pour les 80 millions. Selon les sieurs Nougtara et Savadogo, ils avaient longuement échangé avec le Consul sur leur projet et celui-ci a non seulement soutenu l'idée, mais aussi promis de les aider. Il leur restait à mobiliser l'argent nécessaire pour leur business. Ils auraient même sollicité des prêts avec d'autres personnes pour mobiliser le capital nécessaire. L'affaire paraissait très juteuse à leurs yeux. C'était l'affaire de leur vie. Ils avaient évalué à près de 70 millions le bénéfice net par voyage. Ils pensaient pouvoir en faire plusieurs par an.

Forts donc de cet espoir d'avoir enfin trouvé l'affaire qui les mènerait au rang de grands exportateurs de bétail, ils se sont saignés pour mobiliser un fonds de démarrage de 120 millions, affirment-ils. Mais, lorsqu'ils sont allés voir le consul pour lui remettre ce montant, celui-ci leur aurait dit que la somme était élevée, disent-ils. Les deux parties s'accordent pour prêter les 40 millions au consul et investir les 80 millions dans leur affaire. Sur la base de cette entente, les deux futurs associés dans cette affaire débarquent au pays, une semaine après. Ils devraient rentrer ensemble avec le Consul. Mais celui-ci leur aurait dit qu'il avait eu une affaire de dernière minute à régler en France. Et c'est après ce saut à Paris qu'il les rejoindrait au pays. Dans tous les cas, selon l'entente entre les trois hommes, les 80 millions devraient être transférés au Burkina au profit des sieurs Nougtara et Savadogo. Cette somme devrait leur permettre d'engager l'affaire, c'est-à-dire acheter les animaux (bœufs, moutons, chèvres) et assurer tous les frais, notamment de vaccination et de toutes les démarches nécessaires pour l'exportation de bétail, le transport prévu par avion cargo, etc.

La désillusion

Une fois arrivés au pays, l'argent tombait à compte-goutte. Tantôt 1 million, tantôt 2, 3 ou 4 millions, parfois à des intervalles de plusieurs jours, voire semaines ou mois. Bref, les montants reçus ne permettaient pas de faire l'affaire de leur vie. Malgré tout, avec la conviction que les choses vont se régler, ils ont démarré en achetant petit à petit les animaux. Malheureusement, plus le temps passe, plus les envois d'argent devenaient irréguliers. L'inquiétude commence à les gagner. 6 mois après, ils n'avaient pas pu réunir le nécessaire. Ça sentait le roussi. Ils décident de rejoindre Pointe-Noire pour pouvoir rentrer en possession de leur dû. L'un d'entre eux, Harouna Savadogo, s'y est rendu. Le Consul lui fait savoir que ses affaires sont bloquées notamment suite à un gros marché qu'il aurait obtenu au Gabon et qui lui aurait fait perdre plusieurs centaines de millions F CFA. C'est le début du calvaire. Il y passera 9 mois avant de revenir au pays en compagnie du Consul. On était en 2011. Et l'argent continue à entrer à compte-goutte. La confiance entre les trois hommes est rompue. Le Consul promet de tout rembourser et retourne à Pointe-Noire. Après, c'est le silence. Les deux infortunés décident de le retrouver sur place. Une fois sur place, c'est le marquage serré. Presque tous les jours, ils sont chez le Consul qui consent à faire de petits gestes. Malheureusement, le mode de remboursement est pour le moins curieux. Des sommes dérisoires : 1 million, 500 000, 200. 000, 50 000 et même 15 000 F CFA. Ainsi et en plus de ce qu'il leur avait transféré au pays, Souley Ouédraogo a pu éponger les 80 millions plus de 3 ans après. « Mais, la façon dont l'argent a été remboursé ne nous permettait plus de réaliser notre projet. Parfois, ce n'était même pas suffisant pour notre survie quotidienne, encore moins résoudre un problème ponctuel. Nous étions devenus comme ses obligés à qui il consentait de temps à autre à donner 20 000, 50 000 ou 100 000. Au moins nous avons pu rembourser l'argent des autres que nous avions emprunté », affirme Harouna Savadogo, d'une voix mélancolique mais teinté d'un brin de fierté de ne pas devoir à quelqu'un.

Il restait maintenant le prêt de 40 millions assortis des intérêts de 15%, soit un montant total de 54 millions. Pour ne pas subir les mêmes misères, les deux compères se résolvent à saisir le ministère des Affaires étrangères au Burkina Faso. Plusieurs courriers sont envoyés au ministère, sans réaction. Se sentant abandonnés de tous, ils décident d'attraire le Consul devant les tribunaux pour obtenir le paiement de leur argent. Interpellé devant le Procureur de la République, près le Tribunal de grande instance de Pointe-Noire, Souley Ouédraogo s'engage, suivant reconnaissance de dette en date du 15 mai 2012, « à remettre à chacun des deux 27 millions de Francs CFA, soit les 54 millions représentant le montant prêté plus les intérêts pour deux ans 4 mois », conformément à l'entente entre les 3 protagonistes.

Mais selon les sieurs Sawadogo et Nougtara, au lieu de respecter ses engagements, le Consul s'est plutôt livré à des menaces de rapatriement forcé et des tentatives d'intimidations. Ils les auraient même fait arrêter par la compagnie d'intervention rapide du commissariat central de police de Pointe-Noire le 14 novembre 2012. En novembre 2012, ils saisissent le président du Tribunal de grande instance de Pointe-Noire, juge des requêtes, d'une nouvelle requête aux fins d'injonction de payer. Grâce à cette requête, ils obtiennent des versements à hauteur de 19 millions F CFA. Pour en finir avec cette affaire, ils choisissent, avec l'aide de leur avocat, de passer par la méthode forte. Ils sollicitent du président du Tribunal qu'il les autorise à commettre les services d'un huissier de justice pour saisir les biens de Souley Ouédraogo en vue de pouvoir rentrer dans leur dû. C'était en février 2013.

Et le ministère des Affaires étrangères débarqua !

Contre toute attente, c'est en ce moment que le ministère des Affaires étrangères réagit en envoyant une mission de trois personnes pour contribuer à régler le contentieux à l'amiable. L'un des membres de la délégation aurait reproché aux sieurs Nougtara et Sawadogo d'avoir pris des initiatives qui ternissent l'image du Burkina en portant plainte contre le consul. C'est le monde en l'envers. Sous la médiation de la mission, les deux parties conviennent d'un protocole d'accord en vue du remboursement du reliquat de la créance qui était de 35 millions. Ce protocole est signé le 3 mars 2013 et prévoyait le remboursement en plusieurs tranches. Sur la base de cette entente, la plainte a été retirée. Nougtara et Sawadogo devraient ensuite regagner le pays. Désormais, c'est le ministère des Affaires étrangères qui servira d'intermédiaire entre les deux parties. Les différents versements devraient se faire au niveau de la Direction générale des affaires juridiques et consulaires.

De retour au pays, après avoir reçu les premières tranches d'un montant total de 5,5 millions, ils devraient recevoir une nouvelle tranche de 10 millions en fin juin 2013. Cette somme a été reçue le 19 juillet. La prochaine tranche de 10 millions devait intervenir en fin septembre et la dernière, également de 10 millions en fin 2013. Mais jusqu'à l'heure où nous bouclions ces lignes, ils n'ont reçu que 4 millions FCFA. Le consul leur reste redevable de 16 millions. Depuis, c'est une succession de rendez-vous manqués. Le dernier, c'était le 10 mars dernier. Ce qui fait dire à monsieur Nougtara qu'il ne comprend pas l'attitude du ministère. « On tourne en rond sans qu'on ne sache ce qui se passe. Le ministère doit nous dédommager parce que ce sont eux qui nous ont fait venir et qui se sont engagés à faciliter le remboursement intégral de notre argent. Nous avons raté notre affaire et nous sommes devenus des nécessiteux. Le pire, le ministère nous tourne. On a parfois le sentiment qu'il y a des complicités avec le Consul qui se sent protégé par son statut », lâche-t-il.

Du côté du ministère, à la Direction des affaires juridiques et consulaires, l'on rassure qu'il n'y a aucune complicité. Le souci du ministère est de préserver l'image du pays tout en permettant aux protagonistes de régler le contentieux à l'amiable. C'est ce qui a justifié la mission qui a permis la signature du protocole d'accord. « L'affaire est prise au sérieux et des mesures sont prises pour la résoudre », nous confie un agent dudit ministère. Du reste, étant donné que l'affaire est pendante, la Direction des affaires juridiques n'a pas souhaité entrer dans les détails. Mais selon certaines indiscrétions, plusieurs notes ont été envoyées au Consul, l'enjoignant de respecter ses engagements. Les mêmes sources reconnaissent « une certaine mauvaise foi du Consul qui n'honore pas sa fonction et du même coup ternit l'image du pays ». Des mesures seraient en cours dans ce sens également et pourraient aboutir à décharger le consul de ses fonctions.

« J'ai des difficultés financières en ce moment mais je paierai »

Pour en savoir davantage, nous avons joint le consul au téléphone le 13 mars dernier. Sans faux- fuyant, il reconnaît les faits, mais rassure de sa bonne foi. « Je me suis engagé à payer et je paierai. Seulement, j'ai eu des difficultés suite à l'exécution d'un marché à Libreville qui m'a fait perdre plus de 300 millions. Depuis, j'ai d'énormes difficultés à mobiliser des ressources. C'est ce qui explique la situation actuelle. Sinon il n'y a aucune mauvaise foi. Ceux qui me connaissent savent que je suis toujours du côté de mes compatriotes ici à qui j'apporte beaucoup de soutiens divers. Mais les affaires ne marchent pas en ce moment ». Le Consul ne s'arrête pas là, il estime que les sieurs Nougtara et Sawadogo ne sont pas reconnaissants à son endroit. « Avant cette affaire, je les ai beaucoup aidés pour d'autres choses, surtout M. Sawadogo. Même pour cette affaire, c'était pour les aider. Moi,je sais comment ils ont eu cet argent. Ce n'est pas de l'argent propre. Mais, j'ai estimé que si c'est pour construire le Burkina Faso, il faut les aider. Sinon ce sont des gens qui viennent faire des pratiques illicites ici, qui escroquent des gens. Bref, je me suis engagé à rembourser et je rembourserai. S'il plaît à Dieu, d'ici la fin du mois, je leur donnerai leurs 16 millions. Ceux qui me connaissent savent que 16 millions ce n'est rien pour moi. Mais il y a des moments comme ce que je vis en ce moment », conclut-il. Non sans ajouter qu'il déplore la tournure des évènements qui ternit son image et sa réputation.

Pour ce qui est de l'origine douteuse de l'argent, M. Nougtara a simplement répliqué que si elle était aussi douteuse que le prétend le Consul, lui et son ami n'auraient jamais eu le courage de saisir les tribunaux congolais. Mieux, « si le Consul doit aider ses compatriotes à escroquer des Congolais, il est lui-même complice et n'honore pas le pays qu'il représente. Moi, je demande qu'il y ait une confrontation entre lui et nous, devant vous et les autorités du ministère. Comme ça on verra qui est escroc ».

Yamkayé Souley Ouédraogo, faut-il le noter, est Directeur général de la Société congolaise d'étanchéité, carrelage et revêtement (SOCECAR). Il est nommé Consul honoraire du Burkina à Pointe-Noire depuis mai 2004. Ce natif du Yatenga et chef coutumier du village de Sissamba est bien connu des Burkinabè vivant au pays de Sassou Nguesso. Jusqu'à cette affaire, il jouissait d'une bonne réputation auprès de ceux qui le connaissent. C'est peut-être aussi ce qui explique la confiance presqu'aveugle que lui ont fait les deux amis. Cette affaire ne serait pas la seule qui mette en doute l'intégrité du Consul. Il serait impliqué dans bien d'autres cas similaires.

PAR BOUREIMA OUEDRAOGO

Source : reporterbf

Publicité Publicité

Commentaires

Publicité Publicité