A contrario, des Burkinabè du secteur public ou privé, qui se sont pourtant investis sans compter dans leurs activités pour le bien du Burkina, n'ont jamais été honorés par la nation. Et les exemples sont légion. Tout Burkinabè épris de justice et d'équité devrait donc s'en offusquer, sans pour autant en être étonné. En effet, les décorations de complaisance et le fait que certains Burkinabè n'ont jamais été décorés, bien qu'ils soient exemplaires dans leurs activités, étaient parfaitement congruents avec le système Compaoré. Celui-ci, on le sait, avait mis un point d'honneur à célébrer le vice et à avoir de l'aversion pour la vertu. De ce point de vue, les Burkinabè qui avaient opté pour le sens du devoir et de la dignité représentaient la mauvaise conscience du régime et le gênaient aux entournures. Récompenser ces gens-là par des décorations était un risque que le système Compaoré ne pouvait pas prendre. Car ils pourraient susciter des émules. C'est pourquoi, l'on peut comprendre qu'un homme comme Laurent Bado n'ait jamais été décoré.
Le ton semble avoir été donné
Les décorations étaient tellement source de polémique, de suspicion et de trafics sous l'ère Compaoré, que certains Burkinabè en étaient arrivés à faire dans la boutade à leur sujet, en disant ceci : « Dis moi si oui ou non, tu as été décoré par le système Compaoré et je te dirai quel est ton profil moral et professionnel ». Certes, cette boutade peut paraître exagérée, parce que tous ceux qui ont été décorés sous l'ère Compaoré ne peuvent pas être logés à la même enseigne. Mais elle n'en traduit pas moins la philosophie qui a sous-tendu les décorations pendant les 27 ans de règne de Blaise Compaoré. Et cette philosophie a fait beaucoup de mal au pays. D'abord, elle a contribué à démonter à juste titre des Burkinabè dont certains ont fini par croire que l'honnêteté et le sens du devoir sont des délits au Burkina.
Ensuite, cette philosophie a permis de faire la promotion d'agents indélicats. Ces derniers, en bons calculateurs, n'ont eu aucun scrupule à négocier les médailles auprès de personnalités extérieures à leurs services. Ils le faisaient d'autant plus sans gène que le fait pour un fonctionnaire d'être décoré lui donne droit à une bonification d'un échelon. Et le tout se faisait naturellement à l'insu du supérieur hiérarchique qui pouvait, s'il n'était pas content, aller se faire cuire un œuf. Le résultat est que la course aux décorations, du fait de leurs enjeux financiers, était devenue un sport national. Tous les moyens étaient devenus bons pour se faire décorer. La dimension symbolique des médailles et « le qu'en dira-t-on » n'étaient pas une préoccupation. L'essentiel était leur dimension vénale.
Pour toutes ces considérations, le Burkina post-Blaise Compaoré doit en finir avec les décorations de complaisance. Le ton semble avoir été donné à l'occasion du premier 11-Décembre sans Blaise Compaoré par le gouvernement, à travers le toilettage de la liste des personnes proposées à la décoration. La mise en place de la culture d'une vraie citoyenneté et la marche vertueuse du Burkina vers le développement passeront passer par là.
Pousdem PICKOU