C’est une affaire qui est partie d’un cri de corbeau, ainsi qu’on appelle familièrement un auteur d’une lettre anonyme.
En 2016 en effet, atterrit sur la table du contrôleur général d’Etat une plainte émanant d’un agent du CSC.
Cette « taupe », comme le désigne notre confrère L’Evènement qui a annoncé l’information dans sa parution du 10 juin 2016, accuse la présidente Nathalie Somé, et son DAF de malversations et de détournements sur les fonds alloués à l’institution dans le cadre de la couverture médiatique des élections couplées du 29 novembre 2015. Accédant à la requête du plaignant, l’ASCE-LC ouvre une enquête et ses fins limiers entament leurs investigations le 22 juin 2016 dans les locaux du CSC. Dès lors, on pensait que l’affaire était suspendue au rapport des gendarmes de la transparence.
Mais entre-temps, des échanges de courriers, pourtant confidentiels, entre les deux chefs d’institution fuitent dans la presse et révèlent que le torchon brûle entre Nathalie Somé et Luc Marius Ibriga.
Dans une correspondance en date du 11 janvier 2017, le contrôleur général d’Etat enjoint à la présidente du CSC de suspendre les mouvements de personnel afin « d’éviter une déperdition des informations et de permettre à l’équipe d’investigation de travailler dans de meilleures conditions ».
Celle qu’on avait vite fait de nommer « dame de fer » réplique le 13 janvier dans une lettre de « protestation » dont nous avons eu la teneur. L’ancienne journaliste y avoue ne pas comprendre la demande de Marius Ibriga. « Est-il dans les prérogatives de l’ASCE-LC d’organiser le fonctionnement des institutions républicaines ? Ou plutôt doit-on comprendre que quand une institution subit un contrôle, elle doit cesser de travailler » ? s’était-elle interrogée. Avant d’assurer qu’aucun mouvement de personnel n’était en cours, en dehors d’un projet de nomination à des postes stratégiques soumis au président du Faso, conformément à ses prérogatives. Elle interprète alors cette injonction de « Monsieur propre de la République » comme une « entrave à son action, une manière peu élégante, de saper ses efforts de construction d’une institution forte».
Mieux, elle affirme qu’elle s’est plutôt montrée bienveillante envers les fins limiers en leur affectant un bureau.
Six mois sans être entendue
Dans cette missive du 13 janvier, la présidente du CSC en profite pour dénoncer cette injustice : six mois après le début de l’audit, elle n’avait toujours pas été entendue par les enquêteurs alors qu’elle est l’ordonnatrice du budget. Cette entorse à la procédure, à laquelle viendront s’ajouter d’autres faits, comme l’annonçait dès le 10 janvier 2017 dans L’Evènement une lettre de Marius Ibriga, qui pourtant n’est parvenue au CSC que le 12 janvier, l’épisode de l’annulation de sa décoration (1), finissent de la convaincre que les conclusions de l’enquête sont déjà orientées contre sa personne, car on la présente déjà aux yeux de l’opinion comme coupable des faits qui lui sont reprochés.
Le 19 avril dernier, l’ASCE-LC livre effectivement un rapport accablant sur sa gestion. Entendue entre-temps par les enquêteurs, elle assure que ce rapport définitif n’a pas changé « d’un iota » du provisoire qui lui avait été soumis pour amendement. Et ce, malgré les pièces justificatives et les réponses qu’elle dit avoir apportées aux auditeurs.
Estimant donc être victime d’une cabale, elle s’en réfère au plus haut sommet de l’Etat. Dans une lettre adressée au président du Faso le 26 avril 2017 et dont nous avons obtenu copie grâce à une source qui a requis l’anonymat, Nathalie Somé sollicite une contre-expertise. Selon elle, le rapport de Luc Marius Ibriga pèche dans le fond et dans la forme.
L’ASCE-LC avait déjà son opinion toute faite
Dans la forme, la présidente du CSC insiste sur les différentes irrégularités qu’elle avait déjà évoquées dans sa correspondance adressée au contrôleur général, notamment le fait que dès le départ, les gendarmes de la transparence n’ont entendu que la partie accusatrice. « Il faut croire que l’ASCE-LC avait déjà son opinion toute faite sur les accusations de malversations, ignorant totalement le principe de la présomption d’innocence », s’était-elle offusquée. Et même lorsque l’équipe d’enquêteurs se résout à l’écouter le 6 février 2017, souligne-t-elle « cela n’a été qu’une simple formalité, à la limite inutile, car n’ayant pas été prise en compte dans l’élaboration du rapport final ».
Quid du management de l’institution? Les auditeurs ne se sont pas donné la peine d’écouter le secrétaire général, le « poumon » de l’administration ni d’autres responsables commis aux tâches managériales. « Comment peut-on juger du management d’une institution sans se référer aux principaux responsables qui en assurent le pilotage quotidien ? », se demande-t-elle.
Mémoire en défense
Quant au fond du rapport qui fait état de nombreuses irrégularités dans sa gestion, madame Somé, tout en soulignant « ne pas être irréprochable », assure avoir apporté des preuves aux enquêteurs que certaines pratiques ne dataient pas de 2015, mais relèvent plutôt des contraintes liées aux périodes électorales.
Contraintes pour lesquelles, a-t-elle ajouté, certains de ses prédécesseurs ont eux aussi pris des libertés avec les procédures, sans compter que pour ce qui la concerne, les élections couplées de novembre 2015 se sont tenues dans un climat délétère marqué par le coup d’Etat, ce qui « a raccourci les délais et rendu quasi impossible le respect strict de la réglementation sur la dépense publique. »
A titre illustratif, les hommes d’Ibriga demandent, dans leurs conclusions, à la présidente de rembourser la subvention allouée à la presse privée qui s’élève à 72 153 660 FCFA aux motifs que la procédure d’acquisition du matériel au profit des médias privés n’a pas été respectée. Réponse de Nathalie Somé : « nous avons toujours procédé comme ça lors des élections antérieures ». Et d’expliquer encore au chef de l’Etat : « Nous n’aurions pas procédé par entente directe, que les médias n’auraient pas bénéficié du matériel à temps ». La plaignante juge par conséquent « exagéré, malgré le non-respect de la procédure de lui demander le remboursement intégral de ce montant, comme si les médias privés n’avaient pas reçu ce matériel, et comme si la couverture médiatique des élections par lesdits médias n’avaient pas été faite ». Le même reproche d’entorse à la procédure lui est fait pour l’acquisition de la salle de monitoring à Ouagadougou qui a coûté 109 998 644 FCFA. Tout comme dans l’achat « sans contrat » du matériel de sonorisation de 3 941 200 FCFA destiné à la délégation régionale du CSC de Bobo.
Sur ces deux cas, la présidente du CSC invoque l’extrême urgence dans laquelle ces commandes ont été faites. Ce qui ne serait pas un fait nouveau sous les cieux de l’institution depuis sa création.
Pour ce qui concerne l’accusation de détournement d’une partie du matériel complémentaire de monitoring acquis à hauteur de 19 800 000 FCFA au profit de la délégation régionale du CSC de Bobo-Dioulasso, elle soutient que les équipements ont bel et bien servi à l’observation des médias pendant les élections et peuvent jusqu’à ce jour être visités.
Un vrai faux achat fictif ?
Comme on peut le constater, sur ces cas de griefs, l’opposition entre Nathalie Somé et Luc Marius Ibriga porte sur une (simple) question de procédure.
Par contre, en ce qui concerne le matériel de mesure de champ qui a coûté 90 000 000 FCFA, le différend est beaucoup plus profond.
En effet, pour les enquêteurs, cette dépense serait fictive.
Une grave accusation que la présidente du CSC s’applique à réfuter, P-V de réception technique provisoire en main. Elle fait savoir que lors de son audition, elle a proposé d’apporter les deux appareils à l’équipe de l’ASCE-LC ou à défaut que celle-ci se déplace au CSC pour constater de visu l’existence du matériel.
Mais révèlera-t-elle, « les enquêteurs ont répondu que cela n’était pas nécessaire », avant d’ajouter : « Il a été dit que les enquêteurs n’ont pas rencontré le fournisseur alors qu’un P-V d’audition du fournisseur est annexé au rapport ».
Au regard de tout ce qui précède, la présidente du CSC conclut que le rapport est plein de « contradictions et d’exagérations ».
La contre-expertise qu’elle demande au président du Faso devra permettre, écrit-elle, « de situer clairement les responsabilités, et de déceler éventuellement le manque de transparence et d’impartialité dont a fait preuve l’ASCE-LC dans la conduite de cette mission d’investigation ».
La balle est donc désormais dans les mains de Roch Marc Christian Kaboré.
Hugues Richard Sama